Alors que bon nombre d’enseignants et enseignantes de lycées étaient en grève, les élèves de terminale ont pu composer dans le calme, les mobilisations n’ayant pas impacté la tenue des épreuves. Épreuves qui ont été parfois surveillées par du personnel administratif ou des AED. Une situation que dénonce Elsa Lafeille, professeure au lycée Guéhenno de Fougères : « si les élèves ont des questions sur le sujet, le surveillant peut ne pas être en mesure de répondre à leurs interrogations. Cela peut mettre certains en difficulté ». « Ils ont cassé la grève », se désespère Sandra Aligon secrétaire adjointe du SNFOLC53,
Au lycée Guéhenno de Fougères , Elsa Lafeille, responsable syndicale au SNES-FSU, campe avec une vingtaine de collègues devant son établissement. « Nous sommes mobilisés car nous voulions aller au bout de notre démarche, celle d’une demande de report des épreuves en juin que l’on demande depuis trois ans. L’utilisation du 49-3 est venu renforcer notre détermination. On s’est donc décidés à faire ce qui pourrait le plus bousculer le gouvernement. C’est un sacrifice pour nous de rester ici, devant l’établissement sans accompagner nos élèves dans cette épreuve ». Selon Elsa Lafeille, quelle que soit la forme, ils et elles étaient décidés à manifester leur mécontentement lors de ces épreuves, 49-3 ou pas. Un collègue d’Elsa acquiesce. « Cela fait vingt ans, depuis 2003, qu’on n’arrive pas à se faire entendre. À chaque fois que l’on s’est mobilisés, nous n’avons pas été écoutés. Ce n’est pas de gaieté de cœur que nous montons le ton, c’est même la mort dans l’âme ».
Une mobilisation pour dénoncer les effets délétères de la réforme du bac
Au lycée Honoré de Balzace de Mitry-Mory en Seine-et-Marne, beaucoup d’enseignants et enseignantes ont fait grève depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites. Lundi 20, ils étaient 40% à être grévistes mais à aucun moment il n’a été question de bloquer l’entrée des élèves ou le passage des examens précisent les enseignants. Une collation était même à disposition des candidats à l’entrée de l’établissement. « Le 49-3 et les violences policières de ce week-end ont renforcé notre détermination. Le droit de grève, c’est tout ce qui nous reste » déclare Renaud, professeur de SES. « On ne peut pas laisser une minorité de personnes se mettre en danger sans apporter notre contribution. Si toute la population se mobilise, le pouvoir aura plus de mal à réprimer ». Plusieurs voitures de police, dont la BAC, étaient devant l’établissement lundi midi, comme un message à l’attention des enseignants mobilisés. « On sent que le pouvoir est sur les dents ». Comme pour le lycée de Fougères, les professeurs de Mitry Mory se seraient mobilisés aujourd’hui, même sans la réforme des retraites. « Les dates des épreuves de spécialité ne sont absolument pas compatibles avec les programmes » ajoute Renaud. « D’ailleurs, les collègues qui ne sont pas en grève sont pris dans une forme de conflit de loyauté envers les élèves. On a un décalage d’appréciation sur les modalités d’action, mais absolument pas sur ce qu’est la réforme Blanquer ».
« Depuis 2018, on dénonce les effets néfastes de cette réforme, et nous avions tout juste » ajoute l’enseignant. « Les choix d’orientation filles/garçons, on avait prévenu, ça s’est réalisé. Les inégalités dans les sujets des jours 1 et 2, on avait prévenu, ça s’est réalisé. Les conflits entre parents, profs, élèves à cause des notes du contrôle continu, on avait prévenu, ça s’est réalisé. Une accentuation du tri social dans Parcoursup, on avait prévenu, ça s’est réalisé. Tout ce dont on avait peur s’est réalisé. Et d’autres choses que l’on découvre au fur et mesure comme l’éclatement du groupe classe qui vide de sons sens la fonction de délégué ou la difficulté d’organiser les conseils de classes ».
« Nous voulions montrer à nos élèves que même si nous avions tout fait pour les préparer, nous ne sommes pas d’accord avec la tenue de ces épreuves en mars » complète Camille, professeure d’histoire-géographie et collègue de Renaud au lycée Balzac. « Ils sont très inquiets, et on voulait leur signifier que nous aussi nous ne trouvions pas cela normal que cela ait lieu si tôt dans l’année ». Pour Camille, comme pour les autres professeurs, la réforme des retraites à encourager certains à sauter le pas mais « depuis des années, en salle des profs, on répète que cette réforme ne convient pas. Cette année, c’est la première année que les épreuves ont lieu si tôt et que les notes comptent dans Parcoursup » poursuit Camille. L’enseignante dénonce aussi le discours mensonger du ministère qui avait assuré en début d’année que les programmes seraient allégés. « Rien n’a bougé en histoire-géographie et en maths, on a même rajouté des chapitres. On ne nous écoute pas, on est méprisés sur ces sujets. Aujourd’hui, c’est l’occasion de montrer un gros ras-le-bol. Ce bac, c’est une catastrophe ».
Des surveillants venus de l’extérieur, une façon de casser la grève selon Sandra Aligon
Au lycée Douanier Rousseau de Laval, ils étaient là aussi plus d’une vingtaine d’enseignants en grève. « La réforme, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. La décision n’a pas été facile mais on s’est dit qu’aujourd’hui on avait un pouvoir d’action » commente Sandra Aligon secrétaire adjointe du SNFOLC53 . « Cette décision a été difficile mais s’impose du fait de la surdité du gouvernement après des semaines de grèves et de manifestations. Outre notre opposition à la réforme des retraites, nous refusons également la nouvelle organisation du baccalauréat. Cette nouvelle version qui prévoit des épreuves en mars bien trop tôt dans l’année, implique un manque de temps pour acquérir et approfondir des programmes très ambitieux . Ceci provoque ainsi un stress permanent en Première et en Terminale lié à l’évaluation et à la perspective de Parcoursup ». Au lycée Douanier Rousseau, ce sont des AED et des surveillants extérieurs au lycée qui ont surveillé les épreuves. « Ils ont cassé la grève » déplore la responsable syndicale.
Mardi 21 mars, les élèves de Terminale auront encore des épreuves de spécialité. La mobilisation sera-t-elle la même ? Certains des enseignants en doutent, « c’est compliqué quand on voit que cela ne chamboule aucunement leur agenda » soupire l’une d’entre eux.
Lilia Ben Hamouda