Quand dix élèves du collège Karl Marx de Villejuif se lancent dans le projet fou de se rendre au JO de Tokyo et qu’une pandémie mondiale, les prive de ce rêve… Ils décident de parcourir la France à la découverte du surf, du skate et de l’escalade, nouvelles disciplines olympiques ! Un projet pédagogique dingue qui montre que tout peut devenir possible. Jean Galabert, professeur d’EPS qui a participé à ce projet avec M Bouhier et M Renaud a accepté de répondre aux questions du café pédagogique.
C’est quoi le Petit Karl ?
« Le Petit Karl », c’est le nom du club médias du collège Karl MARX (Villejuif), un petit collège d’éducation prioritaire de l’académie de Créteil. Ce club a été fondé par l’ancienne documentaliste de l’établissement, madame Aumont, et dix élèves de 6ème en 2018-2019. Le but premier du club médias étaient de réaliser un journal du collège : le « Journal du Petit Karl ». En septembre 2019, suite au départ de Mme Aumont, son successeur M.Bouhier – Professeur documentaliste, M.Renaud – coordonateur EPS – et moi-même avons décidé de reprendre le club médias tout en l’habillant de quatre nouveaux objectifs : Former des Jeunes Reporter ; Élargir l’offre culturelle et sportive ; Défendre l’égalité Fille-Garçon ; Lutter contre le déterminisme social.
Également professeur de cinéma-audiovisuel, j’ai alors proposé à mes collègues de relier ces objectifs à une finalité, un fil rouge : celui d’emmener ces dix jeunes reporters aux Jeux Olympiques de Tokyo afin d’enquêter sur l’entrée de trois sports néo-olympiques – le surf, le skate et l’escalade, et faire un film de cette histoire.
Trois années de club, beaucoup d’efforts et une pandémie mondiale plus tard, la décision du Japon est claire ; il n’y aura pas de spectateurs aux JO de Tokyo. Il a alors fallu transformer le projet, et apprendre à rebondir.
Pourquoi et comment associer projet pédagogique et film documentaire ?
Dès le début de ce projet, l’ambition était de rendre les élèves acteurs du projet, comme du film. Il n’y a jamais eu d’un côté l’ambition de partir à Tokyo, et de l’autre la proposition extérieure d’en faire un film. Cette double volonté s’est construite dès le départ, de concert, et ce à plusieurs titres. Tout d’abord car nous voulions que les élèves réinvestissent les compétences acquises durant ces quatre années de formation dans « leur » film – in fine, plusieurs élèves ont été crédités comme assistants cadreurs. D’autre part, nous voulions également profiter de ce projet pédagogique pour montrer une autre image de la banlieue, de l’éducation prioritaire, et le documentaire s’avérait être le support optimal. Sur le plan technique enfin, ma rencontre avec « 13 Production » – première boite de production à avoir porté attention à notre histoire, et par extension avec Stéphane Marelli – réalisateur du film, a décuplé la force du propos. Son expérience avec les enfants et sa pleine intégration dans le groupe du « Petit Karl » a permis de faire oublier les caméras, de tourner de belles séquences et surtout de placer nos élèves en situation de confiance, offrant alors des témoignages pétris de sincérité.
Vous nous parliez de « rebondir ». En quoi cette notion était importante pour votre équipe pédagogique ?
Nous avions implanté un rêve dans l’esprit de ces jeunes, et nous nous sentions responsables de l’accomplissement de ce projet. Le report d’un an des Jeux Olympiques, le changement de municipalité en 2020 – faisant table rase de notre partenariat initial, et impliquant de renégocier une nouvelle subvention – ou encore la gestion de la crise covid étaient déjà des rebondissements délicats, avec lesquels il nous a fallu composer. Nous avions aussi à cœur de combattre ce « gel pédagogique » instauré avec la pandémie. La suppression des jauges publics et des spectateurs internationaux, annoncée officiellement en mars 2021, fût néanmoins un immense coup dur. Après tant d’années d’efforts, nous savions que nous ne pourrions rien faire contre cette décision. Nous ne faisions plus le poids. Une nouvelle fois, il a fallu choisir entre baisser les bras et rebondir. Nos référents étaient nombreux – J-P. Sartre, E.Morin, P.Bourdieu, B.Lahire…, et chacun des enseignants impliqués dans ce projet était animé par la conviction de donner une fin à cette « histoire ». Croire en ses idées, accepter les doutes mais repousser la peur d’échouer, adopter une posture résiliente et s’affranchir de tout déterminisme, constituaient les fondements de ce projet existentialiste. Celui de donner l’opportunité aux élèves de construire leur « projet d’être », quels qu’en soient les obstacles. Aussi, en l’espace de quelque mois, nous avons dû monter un projet bis, aussi ambitieux, pour ne pas dévaluer l’engagement des jeunes reporters. Dans l’ère du temps, cohérent avec la culture de ces sports et original pour un projet scolaire, le road trip s’est alors imposé de manière évidente. Dans la vie comme dans ce film, les ambitions sont faites de péripéties. L’aboutissement de ce projet est un incroyable soulagement, mais il n’a de sens que parce que pour y parvenir, nous avons beaucoup raté. « Rebondir » était à la fois le « moyen » pour nos élèves d’outrepasser les épreuves de cette aventure, tout comme un « objet » d’apprentissage à part entière.
Ce qui est marquant, c’est la transformation des élèves. Y-a-t-il d’autres éléments significatifs qui n’apparaissent pas dans le film ?
Effectivement, les élèves sont ressortis changés, grandis et transformés de cette expérience. De la part la durée du projet (3 ans), et le déroulé des événements d’autre part, ils se sont forgés de nouveaux idéaux, ont affirmés leurs identités, ont développé un sentiment d’appartenance et ont pu construire de nouvelles compétences. Les transformations physiques, morales ou encore techniques sont visibles. On les entend muer ! La contrainte des « 52min » du film imposait en revanche, pour mieux se centrer sur les élèves et leurs ressentis, de gommer le coeur de cible du métier, c’est à dire les centaines d’heures d’enseignements passés au club-médias, en stage, où sur le terrain à développer de nouveaux pouvoirs d’agir – écrire, filmer, interviewer, monter, photographier, placer sa voix, se construire un nouveau vocabulaire, travailler en distanciel….. Si le film montre que les élèves ont réalisé leurs rêves, on perçoit moins la quantité de travail nécessaire pour y parvenir. À titre d’exemple, on ne sait pas que Cheickna (dont un des propos a donné le sous-titre au film : « Faut pas trop rêver, mais en vrai rien n’est impossible ») s’est passionné de photographie et a remporté le concours académique MÉDIATICKS en catégorie reportage photo, à la Bibliothèque Nationale de France ; ou que Tidiane a remporté le concours « School Sport Photo » en catégorie collège, avec une photo de skateboard. Par ailleurs, grâce à leurs compétences, plusieurs élèves ont obtenus leur stage au sein de la boite de production « YAKA Production », obtenant ensuite leur certification UNSS « Jeune Reporter National ». Ces trajectoires ont par exemple permis à Yannis d’accompagner médiatiquement l’équipe de France féminine de Roller-Hockey lors de « l’Eurockey CUP 2022 » de Costa Brava. Romane et Flora ont, quant à elles, pu réaliser leur stage de 3ème au sein du célèbre journal « Le nouvel OBS », suite à leur interview remarquée de la journaliste D.BUI pendant leur podcast sur les « Fakes NEWS ». Parallèlement ce club médias a permis, à l’échelle de l’établissement, d’impulser une dynamique nouvelle et des projets connexes qui se sont agrégés autour du « Petit KARL ». Le prix académique des éco-délégués, remporté par Karl MARX, est par exemple le fruit d’un travail collaboratif entre jeunes reporters et éco-délégués, afin de mutualiser les approches et de décloisonner les savoirs disciplinaires. Dans une autre mesure, on perçoit le rôle de la ville – notre partenaire principal – mais on ne soupçonne moins la responsabilité essentielle d’autres partenaires privilégiés. Je pense évidemment à l’association des parents d’élèves dont le soutien fut indéfectible, au service des sports, ou encore à l’énergie des familles dans ce projet qui a soudé l’ensemble de la communauté éducative. A titre plus personnel, une dernière chose que l’on ne sait pas, c’est par exemple que ces 10 élèves et moi sommes arrivés dans l’établissement ensemble – en 6ème pour eux, en tant que néo-titulaire pour moi – et avons quitté le collège Karl MARX ensemble fin 2022. Nous avons partagé quatre années d’enseignements et d’apprentissages mutuels, et tandis qu’ils apprenaient à devenir jeune reporter, je faisais grâce à eux l’apprentissage du métier. Ils ont changé ma vision de l’éducation à tout jamais, et je les en remercie.
Vous avez donc quitté l’établissement récemment. Ce choix ne risque-t-il de porter atteinte à la pérennité de ces projets et quel regard portez-vous sur le turn-over en Île de France ?
Le choix de quitter Karl MARX était cornélien, mais l’opportunité d’enseigner dans mon STAPS d’origine, croisé à la nostalgie de voir cette génération d’élèves quitter l’établissement, m’a aidé à trancher. D’autant plus que ce départ ne rimait pas nécessairement avec l’abandon des projets initiés. Tout d’abord, car nous avons toujours eu à cœur de s’appuyer sur l’existant. En effet, je pense que dans le second degré, et sans doute en REP plus qu’ailleurs, il est important de ne pas faire fi du « déjà là », et de s’emparer des projets initiés. Ne pas les voir s’éteindre du fait du turn-over, c’est là tout l’enjeu. C’est ce que nous avons fait avec le club médias, en reprenant un projet lancé, tout en le faisant évoluer selon nos aspirations. Par ailleurs, face au succès du club, et dans un souci de démocratiser cette démarche d’éducation aux médias à plus grande échelle, nous avons créés deux classes « PEM » (Projet Éducation Médias, CLEMI) afin qu’une cinquantaine d’élèves puissent profiter d’expériences similaires. Ces classes médias sont encore d’actualité aujourd’hui, et je n’ai aucun doute quant à l’énergie déployé par M.BOUHIER et M.RENAUD dans la pérennité des projets. En outre, d’autres collègues ont également rejoint le projet en cours de route, comme Mme CHIOETTO lors du road-trip, ou plus récemment lors de la création d’un nouveau club médias avec une nouvelle génération d’élèves de 6ème. Ces derniers étaient d’ailleurs présents lors de l’avant-première du documentaire au Théatre Romain Rolland, afin que les 10 membres originels du Petit Karl puisse leur « passer le flambeau ». Pour les élèves comme pour les enseignants, la pérennité de ces projets n’est réelle que lorsque celle-ci est transgénérationnelle, et j’ai une totale confiance en cet incroyable collège et dans l’ensemble de la communauté éducative qui le compose.
Propos recueillis par Antoine Maurice