Doctorante en sciences de l’éducation, Chrystel HUARD est aussi directrice d’école d’application en Savoie. Elle a entamé une recherche sur la pédagogique Montessori. L’un de ses articles, publié sur le site de Philippe Meirieu étudie l’impact du prix du matériel pédagogie Montessori sur le développement de cette pédagogie – dont tout le monde a déjà entendu parler, ne serait-ce dans une publicité pour jeux et jouets – dans les écoles maternelles publiques. Elle répond aux questions du Café pédagogique.
Qui est Maria Montessori ?
Maria Montessori (1870-1952) fut la cinquième femme médecin italienne, non la première comme on le lit souvent, devenue par la suite pédagogue à l’origine de la méthode pédagogique qui porte son nom. C’est une femme aux multiples facettes. C’est d’abord une femme érudite, passionnée par les études scientifiques. Elle étudie tour à tour les mathématiques, les sciences physiques et les sciences naturelles pour intégrer la faculté de médecine par équivalence. Son doctorat de médecine obtenu en 1896, elle reprend des études de philosophie, de psychologie et d’anthropologie. Elle exerce aussi en psychiatrie auprès d’enfants dit « arriérés ». C’est auprès d’eux, par l’observation et la reprise des travaux de ses prédécesseurs – Esquirol, Itard et Séguin notamment – qu’elle commence à mettre au point sa méthode pédagogique, guidée par l’intuition qu’il faut éduquer ces enfants par les sens. Elle renonce à la médecine pour se consacrer exclusivement aux enfants. Encouragée par ses résultats, elle saisit l’occasion qui lui est donnée d’ouvrir une école pour mettre en pratique ses intuitions et expérimenter ses principes pédagogiques auprès d’enfants dit « normaux ». En 1907, la première maison des enfants voit le jour dans le quartier très populaire de San Lorenzo, à Rome. Durant deux ans, elle observe les enfants, affine sa méthode dont elle théorise les principes de base dans un premier ouvrage, Pédagogie scientifique, paru en 1909. De nombreux ouvrages et les quarante années suivantes seront consacrés à parfaire sa méthode et à l’étendre à tous les âges de l’enfance.
D’autres aspects de la vie de Maria Montessori sont moins connus et font polémique. C’est une femme enracinée à la fois dans son histoire familiale et dans son époque. Elle est empreinte de valeurs spirituelles. Élevée dans la religion catholique, elle sera influencée par la pensée théosophique puis par l’hindouisme, après avoir séjournée plusieurs années en Inde. Aux héritages médicaux qu’elle revendique s’ajoute sa formation issue du positivisme, les pensées de Rousseau, Locke ou encore Froebel… Des influences scientifiques et philosophiques plurielles dont il est parfois difficile de mesurer la portée.
Enfin, Maria Montessori est une femme engagée politiquement auprès des plus pauvres lorsqu’elle exerce comme médecin bénévole à Rome, pour la défense des droits de l’enfant en étant actrice du mouvement de l’Éducation nouvelle, en faveur d’une éducation à la paix. Son engagement un temps, aux côtés de Mussolini – voyant en lui un promoteur de sa pédagogie – avant qu’elle ne doive fuir l’Italie, fait débat. Mais Maria Montessori est aussi une militante pour le droit et l’émancipation des femmes, ce que la journée internationale pour le droit des femmes donne l’occasion de rappeler.
Qu’est-ce que la pédagogie Montessori ?
Je propose d’abord de rappeler quelques principes fondamentaux constitutifs de la pédagogie Montessori.
Les enfants d’un même groupe d’âge sont placés dans un environnement pensé et préparé par les adultes pour répondre à leurs besoins de développement et à leurs intérêts. Cet environnement très spécifique – l’ambiance – comprend un matériel que Maria Montessori qualifie de scientifique, regroupé dans la classe en cinq aires : vie pratique, matériel sensoriel, langage, mathématique et culture. Une fois le matériel présenté à l’enfant, celui-ci doit pour voir y revenir autant que cela est nécessaire. Ce dernier apprend en explorant le matériel, mais aussi avec et par ses pairs. L’espace de la classe répond également à des critères précis, établis pour permettre à l’enfant d’évoluer librement et d’accéder au matériel de manière autonome. De larges temps de travail sont prévus dans l’emploi du temps, de 2 à 3h par demi-journée, pour permettre de s’adapter aux rythmes de chacun et afin que les enfants ne soient pas interrompus dans leur activité. Dernier élément essentiel, l’adulte n’a pas pour seule vocation d’enseigner. Il a surtout celle d’accompagner l’enfant dans ses apprentissages. Il est médiateur entre l’enfant et le matériel. Pour cela, il observe, guide, suggère, présente, tout en étant garant d’un cadre éducatif et pédagogique.
Pourquoi est-elle toujours associée à une pédagogie pour les riches ?
On peut légitimement chercher à comprendre pourquoi la pédagogie Montessori a la réputation d’être chère et réservée « aux riches », car à l’exception du matériel très spécifique, les coûts générés par l’aménagement d’une salle de classe ne sont, a priori, pas différents de ceux d’une classe ordinaire. Ce qui diffère, en revanche, c’est le fait qu’en France, pendant plus d’un siècle, la pédagogie Montessori est restée circonscrite aux écoles privées hors contrat, sans pénétrer la sphère de l’école publique. Or, choisir de mettre son enfant dans un établissement hors contrat représente un coût de scolarité important ce qui exclut, de fait, une part importante des familles.
Le coût du matériel peut-il alors expliquer le fait que cette pédagogie soit l’apanage des établissements hors contrats ?
Jusqu’au début des années 2010, la question ne se posait pas en ces termes puisqu’en France, la pédagogie Montessori n’existait quasiment pas en dehors des établissements privés. Mes premières recherches sur la pédagogie Montessori ont consisté à montrer la naissance d’un mouvement d’enseignants pratiquant cette pédagogie au sein de l’école maternelle publique française, dont j’ai tenté de comprendre les raisons. C’est dans ce contexte que je me suis interrogée sur le coût du matériel Montessori comme frein éventuel à son introduction dans l’école publique, après avoir recueilli des témoignages d’enseignants. La question me semble encore plus légitime, dans le contexte de marché lucratif qu’est devenue la pédagogie Montessori au cours de la dernière décennie.
En 2021, je me suis saisie d’une participation à la 7ème journée du réseau de Recherches sur les pédagogies différentes – qui avait pour thématique la dimension économique des alternatives éducatives – pour réaliser une étude sur le coût du matériel mis au point par Maria Montessori. Mon objectif était d’évaluer le coût réel d’équipement d’une classe maternelle 3-6 ans en matériel. Cette communication a donné lieu à un article hébergé sur le site de Philippe Meirieu, qui s’intitule Le coût de la pédagogie Montessori freine-t-il son développement dans l’école maternelle française ? Quelles alternatives pour s’équiper à des coûts supportables ?
Le matériel Montessori occupe une place importante et singulière dans cette pédagogie, impliquant des normes précises de dimension, de poids, de matériaux, de qualité. Afin de garantir la conformité de ce matériel, l’Association Montessori de France (AMF) et l’Institut supérieur Maria Montessori (ISMM), ont élaboré, conjointement, une charte des établissements Montessori de France. Elle comporte la liste du matériel dont les écoles doivent intégralement se doter, par tranche d’âge, pour être accréditées. Elle fixe également des critères de qualité du matériel qui doit nécessairement provenir d’un des trois fabricants agrées par l’AMI dans le monde : Gonzagarredi (GAM), Nienhuis ainsi que Matsumoto réservé au marché asiatique.
J’ai établi le coût total de l’ensemble du matériel 3-6 ans – pour la marque Nienhuis. Pour s’équiper, une classe devait débourser, en 2021, une somme comprise entre 14 et 15 000 euros. Compte-tenu des sommes en jeu, l’option consistant à doter une classe maternelle publique uniquement de matériel Montessori agréé apparait peu réaliste. On pourrait en conclure que le coût du matériel Montessori explique que la pédagogie Montessori soit l’apanage des établissements hors contrat. C’est sans compter sur l’existence d’autres options.
Quelle alternatives pour les écoles maternelles ?
En réalité, seules les écoles Montessori agréés par l’AMF sont soumises aux obligations mentionnées dans la charte et l’on peut voir, sur leur site, que cela ne concerne actuellement que dix-huit écoles en France. Ces obligations ne s’appliquent pas aux écoles publiques qui disposent de plusieurs alternatives. La première consiste à équiper la classe d’un matériel en provenance de fournisseurs non agréés. Certains enseignants s’équipent progressivement, comparent les prix. D’autres trouvent une alternative au « tout achat », en fabriquant/faisant fabriquer ou encore en récupérant une partie du matériel – achat d’occasion par exemple. Nombreux sont aussi les sites Internet qui mettent à disposition des tutoriels pour fabriquer la partie du matériel Montessori la plus aisément reproductible.
Un dernier élément qu’il convient d’aborder concerne l’aspect quantitatif du matériel. La liste de matériel donnée par l’AMF vaut pour l’application intégrale et exclusive de la pédagogie Montessori. Or dans les classes maternelles publiques, les enseignants s’emparent de la pédagogie Montessori à des degrés très divers. La plupart du temps, ils la pratiquent de manière hybride. Posséder tout le matériel n’est alors pas nécessaire. Enfin, je n’ai qu’exceptionnellement vu, au cours de mes nombreuses visites dans les classes maternelles, les matériels très spécifiques permettant de travailler la multiplication, la division, les fractions ou encore la grammaire. D’une part, l’usage de ces matériels nécessite a minima d’être formé ; d’autre part, ils permettent d’aborder des compétences qui se situent bien au-delà des programmes de l’école maternelle. Pour conclure, si le matériel occupe une place importante dans la pédagogie Montessori, il n’est qu’un maillon d’une pédagogie qui repose sur des principes théoriques et des valeurs. Cela peut expliquer que, dans l’échantillon des enseignants interrogés en 2016, seul 13 % considéraient explicitement le coût du matériel comme un obstacle à la mise en place de la pédagogie Montessori dans leur classe.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda