Adieu les concours ? Saisi en 2021 d’une lettre de mission sur la formation et le recrutement des enseignants, le Conseil supérieur des programmes rend un « avis » qui recommande la suppression des concours et leur remplacement par une liste d’aptitude régionale ou leur réduction à des épreuves orales. Après la Cour des Comptes, c’est un organe de l’Education nationale qui invite à faire sauter le statut de fonctionnaire et à traiter les enseignants du public comme ceux du privé. La crise du recrutement est utilisée pour faire sauter le statut.
Une commande de JM Blanquer
Attention, tout ce qui va suivre ne concerne pas l’agrégation. Le Conseil supérieur des programmes (CSP) n’envisage pas de toucher au saint des saints. Par contre il recommande des évolutions définitives des concours de professeurs des écoles et de certifiés.
A l’origine de cet avis, une commande ministérielle lancée par JM Blanquer en 2021. Et aussi la crise du recrutement des enseignants. Près de 4000 postes n’ont pas été pourvus cette année encore. La crise est bien installée alors que les besoins d’enseignants augmentent. Selon le CSP, 328 000 postes seront à pourvoir d’ici 2030. « Ces importants besoins de recrutement s’accompagnent d’une faible attractivité du métier d’enseignant qui se manifeste par une baisse tendancielle des inscriptions aux concours, particulièrement sensible dans certaines académies pour le premier degré et dans certaines disciplines pour le second degré« , écrit le CSP.
Des concours dénigrés
Comment y remédier ? Le CSP s’inscrit dans la même logique que le très récent rapport de la Cour des Comptes. Plutôt qu’envisager une amélioration de la rémunération et des conditions de travail pour rendre le métier plus attractif, le CSP préfère tordre le cou aux concours. Ce qui remet en cause le statut des enseignants.
Au CSP, tout est bon pour critiquer les concours. « Cette baisse du nombre de candidats aux concours de recrutement d’enseignants est d’autant plus préoccupante qu’elle ne permet plus de garantir la qualité de tous les lauréats des concours« , écrit le CSP. « Malheureusement, la lecture des rapports des jurys des différents concours de recrutement permet de douter de l’atteinte de cet objectif » (le haut niveau académique des candidats). Et le CSP constate qu’à l’étranger on sait se passer de concours. « Avec l’Italie, l’Espagne et le Luxembourg, la France est l’un des pays européens à conditionner le recrutement des enseignants à la réussite d’un concours qui est national pour les professeurs du second degré et académique pour ceux du premier degré. De nombreux autres États exigent des diplômés une qualification qui atteste un niveau de connaissances et de compétences établi au niveau national… Dans ces pays, le recrutement des enseignants est souvent géré au niveau local« . Mieux même. Dans certains pays le CSP relève que les enseignants du second degré sont multivalents. Apparemment cela ne contrarie pas pour le CSP la « qualité académique« . Et on imagine la simplification que cela entrainerait pour la technostructure ministérielle !
Réduire les concours à des épreuves orales
Le CSP propose de nombreux scénarios pour améliorer le recrutement des enseignants, y compris ne rien changer à l’existant ou revenir à l’avant 2019. Mais la plupart des scénarios, après cette longue argumentation hostile aux concours, les remettent en cause.
En ce qui concerne les PE, on retrouve dans les propositions du CSP deux obsessions exprimées à des degrés divers : la suppression du concours et la réduction des épreuves au français et aux maths. Ainsi, dans un premier scénario, le CSP propose une filière de formation qui commencerait dès la première année de licence (L1) et donc un pré-recrutement précoce. Les épreuves de pré-recrutement seraient académiques et ouvriraient l’accès à un statut d’élève rémunéré. Les candidats seraient jugés sur leur niveau en français et en maths avec une épreuve orale (!) d’EPS… Evidemment rémunérer les élèves aurait un coût en L2 et L3. Mais en master (M1 et M2) les élèves seraient en stage en responsabilité. Autrement dit ils fourniraient une main d’œuvre à bas coût au ministère. Le concours final serait ramené à une épreuve sur dossier et un entretien. Toujours pas d’épreuves écrites au concours.
Un autre scénario supprime lui aussi les épreuves écrites du concours « qui ne permet plus aujourd’hui de pourvoir tous les postes » remplacées par deux épreuves orales : une séance en français et en maths et un entretien sur l’éthique du fonctionnaire. On retrouve là aussi la penchant du CSP pour les « fondamentaux » assimilés à ces deux disciplines.
Recruter les enseignants sur liste d’aptitude
Un dernier scénario va encore plus loin en supprimant totalement le concours de recrutement. Les titulaires d’un master seraient inscrits sur une liste d’aptitude. Ils devraient ensuite trouver une école. Ils seraient embauchés par une commission associant un inspecteur et un directeur d’école sur dossier. Dans ce scénario les enseignants du public sont traités comme ceux du privé. C’en est fini du statut de fonctionnaire.
On retrouve les mêmes orientations pour les enseignants du second degré. Avec une différence : le CSP propose d’en finir avec la monovalence des formations. Ainsi il propose, comme pour les PE, une formation dès la L1 mais sur deux disciplines suivies de stages en responsabilité en master. Un autre scénario propose de réduire le concours à une épreuve sur dossier et un entretien. Le CSP propose aussi le recrutement sur liste d’aptitude avec recrutement par un IPR et un chef d’établissement comme dans le privé.
Le projet de Blanquer mis en œuvre ?
A vrai dire rien de vraiment étonnant dans cet avis du CSP. Il vient après le rapport de la Cour des Comptes publié en février dernier. Pour améliorer le recrutement des enseignants, la Cour ne misait pas sur l’amélioration de leur rémunération. Mais sur la suppression des concours, remplacés par des entretiens. Ce rapport a probablement permis au CSP de publier son « avis ».
Mais l’inspiration réelle du CSP vient d’encore plus loin. En 2016, dans « L’Ecole de demain », JM Blanquer souhaitait que le concours ne soit plus « qu’une habilitation à enseigner… le recrutement étant de la responsabilité du chef d’établissement« . L’avantage étant d’avoir une gestion plus proche du terrain et donc « plus humaine » des enseignants. En aout 2017, dans le Nouvel observateur, il annonçait que les chefs d’établissement auraient leur mot à dire dans le recrutement des professeurs. » Mon objectif est simple : des établissements avec des équipes unies, partageant un projet éducatif fort. Dans ce cadre, oui, il est logique que le chef d’établissement ait un rôle à jouer en matière de recrutement« . Tout au long de son ministère, JM Blanquer a posé les jalons de cette évolution. Une étape décisive a été prise en 2018 en portant les épreuves d’admissibilité en L3 tout en supprimant l’accès au statut de fonctionnaire stagiaire. Cette mesure a permis de réelles économies budgétaires. Mais elle a aussi fragilisé le statut des enseignants, comme nous l’expliquions.
Pousser Pap ndiaye
C’est ce projet que porte un CSP nommé par JM Blanquer. Son président, Mark Sherringham, est l’ancien conseiller pédagogique du prédécesseur de Pap Ndiaye. Et ce projet est cohérent avec le développement de l’autonomie des écoles et établissements porté par le « Pacte » voulu par E Macron. La crise du recrutement est instrumentalisée pour une nouvelle étape dans la révolution libérale : la mise à mal du statut des enseignants.
On comprend que la publication de cet « avis », comme celle du rapport de la Cour des Comptes, pousse Pap Ndiaye à prendre des décisions. Celles-ci devront être se faire en accord avec la philosophie du « Pacte » et de l’autonomie des établissements. Pas à pas, la privatisation de l’Education nationale, c’est à dire l’alignement de sa gestion sur celle du privé, avance.
François Jarraud
Le rapport de la Cour des Comptes
Que veut dire le recrutement en L3 ?
A t-on vraiment besoin de concours de recrutement ?