Aurélie Badard, contributrice régulière du Café pédagogique, est professeure de physique Chimie au lycée Jean Lurçat de Martigues. Selon elle, la fin de la technologie en sixième envoie un signal négatif à toutes la filière technologique. Un constat que partagent nombre de ses collègues. Elle livre aux lecteurs du café pédagogique une série d’interviews de professeurs exerçant dans ces filières : ST2S, STMG, TSTI2D et STL.
Alors que près de 40 000 personnes ont déjà signé la pétition s’opposant à la suppression de la technologie, et que cette décision a été unanimement dénoncée par les syndicats et fédérations de parents d’élèves, le ministère semble faire la sourde oreille.
Ce choix arbitraire qui n’a été ni présenté, ni discuté dans aucune instance de dialogue social avec les organisations représentatives laisse à penser que la technologie au collège, mais peut-être plus globalement la filière technologique, pourraient être des variables d’ajustement dans le cadre d’un budget de plus en plus contraint.
Les plus anciens qui ont connu l’EMT (éducation manuelle et technique) au collège puis le passage en 1986 à une nouvelle matière, la technologie, savent que cette discipline a su évoluer avec son temps pour répondre aux transformations majeures de notre société. Grâce à l’étude des outils et des techniques, le collégien s’ouvre aux Sciences et à la Technologie. Il peut ainsi mesurer les enjeux forts liés à la production de biens et de services mais aussi se familiariser à « l’intelligence de la main » trop souvent dénigrée dans notre système éducatif.
On ne peut que regretter cette décision hasardeuse car cette première approche au collège de la technologie permet parfois de susciter la curiosité des élèves, de valoriser des compétences transverses et de créer des vocations pour une orientation choisie vers la voie professionnelle ou technologique.
Pour enseigner depuis 3 ans en Terminale STI2D, je mesure au quotidien tout l’intérêt de ces 8 séries technologiques. Elles permettent à des élèves fragiles ou, plus généralement, en manque de situations réellement concrètes de révéler tout leur potentiel et de quitter le lycée avec un dossier scolaire leur permettant une orientation le plus souvent réussie vers le supérieur.
Des élèves témoignent
Coralie Przybyszewski, 20 ans, a fait un bac STL puis un BTS métiers de la chimie pour finaliser son parcours cette année en licence professionnelle (management de l’industrie cosmétiques et de la chimie fine). « Lors de mon parcours en STL, j’ai pu apprendre toutes les techniques de laboratoire que ce soit en manipulation ou en théorie avec de nombreuses heures de chimie générale mais aussi de chimie moléculaire, analytique que j’ai pu consolider ensuite en BTS. Pour ma part, j’ai choisi le domaine de la cosmétique que j’ai découvert en BTS. J’ai donc voulu faire une licence professionnelle en industries de la cosmétique et de la chimie fine afin d’approfondir mes connaissances théoriques et pratiques avec un stage de 6 mois en laboratoire cosmétique, en développement et recherche de nouveaux produits. La voie technologique m’a permis d’acquérir des connaissances solides et surtout de développer des compétences expérimentales en chimie que j’aurais survolées dans un cursus général. Grâce à ça, mon passage vers le supérieur a été assez fluide. Le suivi permanent de mes professeurs a été fondamental pour m’aider à dépasser mes difficultés et reprendre confiance en moi. Je recommande vivement ce parcours ».
Charlotte Lafeuille, 18 ans, a fait un bac STI2D et est actuellement en faculté de droit où elle a validé son premier semestre. « Réellement, la voie technologique m’a été proposée à la fin de la seconde générale afin d’éviter le redoublement. La filière STI2D ne m’était pas inconnue car mon frère avait effectué un baccalauréat technologique en STI2D. Au départ, j’étais un peu réticente car je souhaitais déjà m’orienter vers le droit mais, en même temps, j’étais très intéressée par la technologie que j’avais découverte au collège. La filière technologique m’a permis de découvrir les outils numériques, le travail en mode projet ainsi que des disciplines scientifiques et techniques très intéressantes et gratifiantes car j’étais en réussite. Le passage de la voie technologique au droit ne m’a pas perturbée. A la faculté, nous arrivons tous novices et ce sont nos habitudes de travail qui font notre réussite. Moi, même s’il me manquait quelques connaissances, j’avais l’habitude du travail en équipe, de l’entraide et de suivre un cahier des charges exigeant donc je me suis très vite sentie à l’aise. J’avais fait ma place dans une formation où j’étais la seule fille alors je vais me faire ma place ici aussi »
Ces deux témoignages montrent que des motivations diverses peuvent mener à la voie technologique et que son existence est une opportunité pour des élèves aux profils multiples.
La voie générale, trop souvent décrite comme « le graal », est parfois synonyme de souffrances. Par méconnaissance, ou parce que la communication menée au sein des établissements scolaires n’est pas toujours adaptée, les élèves « forcent » parfois un passage vers une voie générale dans laquelle ils auront du mal à se réaliser et qui est source de fortes désillusions lors de l’orientation post bac quand les dossiers sont très fragiles.
Les bacs généraux, technologiques et professionnelles ne devraient-ils pas être enfin réellement mis sur un pied d’égalité ?
Au lieu de supprimer la technologie en 6eme, n’aurait-il pas été plus judicieux de lui donner encore plus de place en créant, par exemple, une heure « connaissance des métiers » pour participer à rééquilibrer la balance ?
Pour conclure, je repense au travail que j’avais mené avec Christian Janier (MOF) quand j’œuvrais en tant que chargée de mission école entreprise au Rectorat de Lyon.
Lors des interventions menées en collège par les Meilleurs Ouvriers de France, les élèves qu’on dit sensibles à la réussite « facile » des influenceurs étaient fascinés par le parcours de labeur, d’abnégation de ces artisans de l’excellence. Leur charte ne serait-elle pas un exemple concret à suivre pour nos jeunes ?
Alors que le Ministre continue à dire qu’il faut « revaloriser » la technologie au collège pour « susciter des vocations pour le numérique, les sciences de l’ingénieur, la voie professionnelle, y compris dans l’équilibre entre filles et garçons », revenons à un peu de pragmatisme et donnons enfin à l’ensemble de la voie technologique une vraie place dans notre paysage éducatif !
Aurélie Badard