« Les couleurs » est une fenêtre sur une salle de cours mais c’est aussi une fenêtre sur ce qui se passe dans la tête et dans le cœur de la professeure. Ce livre qui apporte un regard doux sur des épreuves de vie de ces jeunes nous rappelle que les élèves ne sont pas « que » des élèves, mais qu’ils viennent, parfois avec des valises bien chargées. Certains passages sont pesants, mais cette matière est traitée avec une légèreté et une générosité touchantes. On voit que travailler avec ce public a un coût pour Amandine Hamet, qu’elle transcende grâce à l’écriture. L’autrice répond à nos questions.
Vous êtes passée de l’enseignement du français à l’enseignement de FLS ?
Après plusieurs années passées en tant que TZR de Lettres dans l’académie de Paris, j’ai eu envie de poser mes valises dans un seul établissement. Pour écrire une histoire quelque part au lieu d’arriver chaque année dans des établissements différents. Je savais que passer la certification de FLE me permettrait plus facilement d’obtenir un poste fixe en établissement. Après avoir enseigné et en lycée et auprès d’étudiants de BTS, puis quelques temps en collège dans Paris, je trouvais intéressant de me retrouver face à un autre type de public. J’avais passé une année à l’étranger en tant qu’étudiante et m’étais aussi retrouvée à suivre des cours de langue pour suivre mes études. Je jugeais le défi intéressant : apprendre notre langue à des enfants venant d’ailleurs. Passer la certification représentait une forme de challenge intellectuel aussi après quinze ans d’enseignement et j’ai effectivement obtenu un poste fixe en UPE2A dès l’obtention de la certification. Je n’avais pas mesuré qu’être prof en UPE2A relevait bien plus que d’un travail de professeur : nous sommes en réalité davantage des travailleurs sociaux. Sans en avoir les moyens : psychologue, médecin scolaire et assistante sociale travaillent sur plusieurs établissements. Les élèves ne sont pas suivis convenablement.
Sur quoi s’appuient vos préparations de cours ?
Pour préparer mes cours, j’ai glané à droite, à gauche. Vu des collègues déjà en UPE2A ENSA qui m’ont donné des conseils – sitographie essentiellement d’enseignants du 1er degré, quelques manuels de FLE. Mais en réalité, il y a peu de ressources pour les ENSA. Les préparations se construisent avec le niveau des élèves. C’est une improvisation laquelle, avec l’expérience, s’affirme. J’ai appris à identifier plus individuellement et rapidement les besoins : graphie pour un tel, lecture syllabique pour une autre, expression écrite ou orale. J’ai quelques habitudes sur des sites mais je fabrique aussi beaucoup toute seule, en joignant des images, en choisissant des thématiques – la maison, l’écologie… etc – car j’aime garder une idée de ce que l’on appelle « la séquence » de cours, malgré les discontinuités inhérentes aux absences, aléas du quotidien et RDV médicaux, sociaux ou juridiques de mes élèves. Je me lance parfois dans des cours de géographie, d’histoire, de SVT car TOUT leur est utile. Et qu’ils n’ont pas ces disciplines au collège. Ils suivent essentiellement des cours de français, un peu de mathématiques, quelques heures d’EPS et d’anglais, 1h de physique-chimie et de technologie.
L’enseignement en FLS a-t-il instauré un nouveau rapport à la langue ?
Un nouveau rapport à la langue s’installe, oui. J’essaie le plus possible de passer par la langue de mes élèves pour leur faire comprendre un mot français. Montrer ainsi que leur langue a une valeur. Un élève m’a par exemple appris une partie de l’alphabet arabe l’année dernière et me félicitait quand je prononçais bien. J’ai aussi appris des mots de bangladais cette année : boyd pour cahier, colom pour stylo. Les élèves rient beaucoup quand je répète mal. J’essaie d’utiliser ces mots quand je m’en souviens, comme pour leur faire honneur. J’aime que l’orthographe disparaisse aussi, elle qui fait souvent complexer les élèves. Je suis bien incapable d’orthographier « boyd »… Ça leur montre aussi que chacun est en difficulté aussi face à une langue étrangère. Même un prof.
Un souvenir qui vous a particulièrement marqué ?
Un élève arrive en retard un jour. Il ne parlait pas du tout, était très prostré à son entrée en UPE2A ENSA. Il était d’origine pakistanaise. Je lui demande :
- Pourquoi tu es en retard ? Un peu énervée.
Il me répond très sérieusement, s’appliquant à faire une phrase correcte :
- Parce que j’ai très bien dormi madame.
J’ai trouvé que c’était une bonne et belle réponse alors j’ai ri plutôt que de le rappeler à l’ordre cette fois-là. Je pense que ça résume bien l’enseignement en UPE2A ENSA. S’adapter à l’autre et comprendre ce qui ne se dit pas, ce qui est entre les lignes. Et rire. Malgré tout.
Propos recueillis par Djéhanne Gani
Amandine Hamet, Les Couleurs publié aux éditions Les Avrils, 2022