Pierre Merle, sociologue spécialiste des questions des politiques éducatives, réagit aux annonces du ministre sur la mixité sociale. Pour lui certaines idées proposées par le ministre de l’Éducation sont un premier pas mais leurs effets seront limités. Pour une mixité sociale et scolaire, le chercheur prône une modification ambitieuse de la sectorisation et une offre pédagogique plus homogène.
Pourquoi promouvoir une mixité scolaire ?
De nombreuses recherche ont montré que la mixité sociale – mixité selon l’origine sociale des élèves, et académique – mixité selon le niveau scolaire, favorisent l’équité et l’efficacité. L’équité est constituée par la réduction des écarts entre les élèves forts et les élèves forts. L’efficacité mesure l’amélioration du niveau moyen. La mixité sociale ne provoque pas, comme on l’entend souvent, un nivellement par le bas. Bien au contraire, la mixité permet une diminution des écarts et une amélioration du niveau moyen. Les données internationales montrent que l’école française est très peu équitable et moyennement efficace. La mixité sociale et académique est donc une ambition politique éducative nécessaire.
Les effets positifs de la mixité tiennent aux effets de pairs. Dans une classe où sont regroupés des élèves en difficulté scolaire, il n’y a pas de « locomotives ». Il n’y a pas d’élèves qui favorisent un effet d’entrainement sur les autres. Il est donc plus difficile pour les élèves de progresser et pour les professeurs de faire « avancer » la classe. La mixité scolaire permet de créer un effet de pairs positifs favorable à tous. Même si la progression des meilleurs élèves est parfois moindre, cet effet est largement compensé par la progression des élèves en difficulté. Dans les années 1960, l’expérience du busing aux États-unis – les enfants noirs des ghettos noirs étaient répartis dans des classes des enfants blancs grâce aux bus scolaires – a montré une progression sensible des résultats des élèves noirs sans baisser les performances des élèves blancs.
La mixité sociale et académique n’a pas seulement un effet favorable sur l’École en général, elle exerce aussi un effet favorable sur les conditions de travail des enseignants. Une classe difficile rend l’exercice du métier plus compliqué et, de surcroît, les enseignants débutants sont plus souvent affectés sur ce type de classe. Favoriser la mixité scolaire permet de rendre progressivement moins difficile l’entrée dans le métier des jeunes professeurs.
Que pensez-vous des propositions du ministre ?
Développer les collèges en binôme dans un même secteur est une bonne idée. Une des expériences de ce type menée à Paris a montré les effets positifs d’un tel dispositif, sans fuite des familles les plus privilégiées vers le privé. Les parents fuient les établissements très stigmatisés d’un point de vue scolaire et social. Mais il n’y a pas de refus de la mixité, du mélange social. C’est la forte ségrégation sociale et scolaire qui favorise finalement la fuite vers le privé. Toutefois, la mesure proposée par le ministre aura des effets limités puisque seulement 200 collèges seraient concernés.
Réserver l’implantation de sections d’excellence dans les seuls établissements défavorisés aura également des effets limités tellement le déséquilibre est important entre les établissements favorisés et défavorisés en termes de sections d’excellence. Un pas est fait dans la bonne direction mais il demeure également limité.
Modifier le découpage des secteurs est une bonne piste. Un tel travail sur la sectorisation avait été réalisé à titre expérimental à l’initiative de Najat vallaud-Belkacem. Créer des secteurs plus homogènes socialement est favorable à la mixité sociale. C’est une démarche intéressante à mettre en œuvre si cette politique est menée sur une grande échelle.
Et l’enseignement privé, quelle place peut-il jouer ?
Le secteur privé sous contrat est majoritairement financé par les fonds publics. Il bénéficie d’une mission de service public mais n’en assume pas totalement les contraintes puisqu’il veut rester libre de son recrutement. Dans sa pratique, le secteur privé choisit ses élèves à sa guise et de façon opaque. Ainsi, l’étude de Brodaty, Du Parquet et Petit en 2014 a montré la sélection ethnique opérée par l’école privée. Ce constat est problématique. De la même façon, une Note d’information du ministère de 2022 montre que l’écart de recrutement social entre les écoles publiques et privées s’accroît en raison d’un recrutement social de plus en plus favorisé de l’école privée. Les recherches montrent que le secteur privé contribue à la faiblesse de la mixité sociale de l’école française. Bénéficiant d’une mission de service public, le secteur privé sous contrat doit participer, comme le secteur public, à une politique de mixité sociale.
Que proposez-vous pour une meilleure mixité scolaire ?
Travailler sur une meilleure sectorisation afin d’accroître la mixité des secteurs de recrutement est une des pistes. Il faut une impulsion politique, des rectorats mobilisés et une évaluation des résultats. Il faudrait aussi une offre pédagogique plus homogène qui éviterait les dérogations plus fréquentes à la carte scolaire parmi les catégories aisées. Il n’y a pas de raisons qu’il y ait tant de différences d’offres pédagogiques, notamment en langues, entre certains établissements.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda