Alors que les annonces de fermetures de classes se multiplient, celles d’écoles sont aussi nombreuses. Dans ce dernier cas, les élèves sont bien souvent envoyés dans des écoles de quartiers, de villes ou de villages limitrophes. Fermer une école impacte toute la vie de la cité, l’école primaire étant, depuis sa création, un maillon essentiel de la vie locale. À Montauban, c’est l’école Marcel Pagnol qui fermera définitivement ses portes le 7 juillet. Une situation qui émeut les habitants et habitantes mais aussi les enseignantes de cette école de trois classes. Pascale Prat, la directrice, a écrit une lettre ouverte à Pap Ndiaye. Le Café pédagogique a décidé de la retranscrire intégralement. On lit à travers ces lignes le désarroi d’une directrice (elle n’est pas sans rappeler celle de Christine Renon) et d’une équipe au service des élèves. On y lit aussi le désarroi et l’incompréhensions de celles-ci et de tous les acteurs et actrices de l’école.
Les fermetures de classes et d’écoles sont théoriquement actées par le Dasen – Directeur académique des services de l’éducation nationale. Dans le cas présent, c’est la mairie qui a pris les devants, et le Dasen – qui aurait pu s’y opposer – s’est hâté d’acter la décision selon la FSU SNUipp deux Tarn et Garonne. « L’école connait une baisse d’effectif, les élèves seront 47 à la prochaine rentrée selon les prévisions » nous explique Sandra Rubio co-secrétaire départementale. « Cela justifie une fermeture de classe, mais pas une fermeture d’école… ». Contactées, la municipalité et la direction académique n’ont pas souhaité commenté.
La lettre ouverte de la directrice :
Monsieur le Ministre,
Je fais le choix de vous adresser une lettre ouverte afin de donner de l’écho au désarroi que je traverse depuis l’annonce le 9 janvier dernier, par la mairie de Montauban, de sa volonté de fermer purement et simplement l’école Marcel Pagnol.
Enseignante depuis 1993, je suis directrice et enseignante de cette école primaire de trois classes depuis septembre 2002. 21 années d’une vie. 21 années intenses, passionnantes, enrichissantes à tous points de vue.
Moi, enseignante de l’école Marcel Pagnol, j’ai la chance d’exercer « en ville » dans une petite structure semblable à une école de village et dans des classes à multi-niveaux avec un public très hétérogène.
Moi, enseignante de l’école Marcel Pagnol, je peux faire vivre au quotidien les valeurs de respect, d’entraide et de solidarité auxquelles je crois si fortement. Dans les classes de cette petite école, se développe un fort sentiment, celui d’appartenir à une famille. Famille qui perdure d’ailleurs au-delà des années de primaire au sein du collège voisin, collège Jean Jaurès.
Moi, enseignante de l’école Marcel Pagnol en CP-CE1-CE2 (cycle 2), j’ai la chance d’accompagner des enfants sur le chemin de la lecture, de partager leur joie et leur fierté de se découvrir lecteur. J’ai la chance de partager leur curiosité, leur enthousiasme, tout en guidant leurs apprentissages scolaires dans le cadre des programmes officiels.
Moi, enseignante de l’école Marcel Pagnol, j’essaye d’accompagner au mieux les élèves dans les difficultés rencontrées et dans leurs différences, de tout mettre en œuvre pour que chacun puisse être fier du chemin parcouru.
Moi, directrice de l’école Marcel Pagnol, je mets un point d’honneur à faire respecter le principe de gratuité de l’École de la République en faisant de cette école primaire une des rares, voire la seule, à fournir la quasi-totalité des fournitures aux élèves.
Moi, directrice de l’école Marcel Pagnol, j’impulse des projets, petits ou grands aux yeux du monde extérieur, mais porteurs de sens pour les élèves (découverte et appropriation du patrimoine local, actions écocitoyennes à vivre au quotidien, coopération, classes ou séjours découvertes…). Tous ne sont pas mis en avant, tous ne voient pas le jour, mais toute l’équipe pédagogique s’inscrit dans une même démarche, celle de favoriser l’égalité des chances.
Moi, directrice de l’école Marcel Pagnol, je veille à la bonne marche de l’école. Je veille à la qualité de son climat scolaire. Je veille au bien-être de chacun des membres de la communauté éducative. Je veille à la qualité des relations avec l’ensemble des partenaires.
Moi, directrice de l’école Marcel Pagnol, je suis soucieuse de l’ensemble des personnels, de l’Éducation Nationale et de la collectivité municipale (agents, ATSEM, vacataires…) pour garantir le meilleur accueil possible des enfants sur les différents temps à l’école.
Moi, directrice de l’école Marcel Pagnol, j’ai assuré de longues années ce travail de direction sans temps de décharge spécifique. J’y consacre de nombreuses soirées, de nombreux week-ends, sans compter, sans regretter.
Ces 21 années de ma vie, je ne peux me résoudre à les clore en fermant définitivement le portail de l’école Marcel Pagnol au soir du 7 juillet prochain. En ne remettant les clés à personne. En ne transmettant aucun flambeau.
Cette année, j’envisageais de faire valoir mes droits à la retraite. La crise inédite que je traverse aux cotés de l’ensemble de la communauté éducative de l’école rend cette décision encore plus difficile, à tel point que je suis incapable de la prendre. J’ai le sentiment d’abandonner les élèves et leurs familles.
L’argument de locaux dégradés, avancé par la mairie de Montauban pour justifier la fermeture définitive de cette école, est tout simplement fallacieux.
Tout au long de ces 21 années, des travaux d’entretien réguliers ont été effectués. D’importants travaux d’amélioration ont d’ailleurs été entrepris récemment comme la mise aux normes d’accessibilité aux personnes en situation de handicap ou la fermeture et l’insonorisation du préau.
Les derniers Conseils d’École sollicitent la poursuite des travaux de remplacement des fenêtres et la suppression des inégalités du sol des deux cours de récréation.
Rien qui ne soit rendu impossible par le Plan de Prévention des Risques Inondations mis en avant par la mairie comme frein à la mise en œuvre de ces travaux qui ne sont pourtant pas des travaux d’extension.
Rien qui ne justifie une fermeture d’école.
L’école Marcel Pagnol, comme de nombreuses autres écoles de la ville, a été achevée au début des années 1960, Il semble qu’aucune mesure d’urgence sur l’état des bâtiments ne justifie la fermeture prochaine de l’école, malgré des rénovations nécessaires pour améliorer l’accueil des élèves.
Une délégation de l’UD 82 des DDEN s’est rendue dans les écoles les plus proches (F, Buisson élémentaire, Villebourbon maternelle, primaire P. Gamarra, H. Panassié maternelle et élémentaire, primaire G. Sand), écoles susceptibles d’accueillir les élèves de l’école Marcel Pagnol si la fermeture était actée. La synthèse de leurs met en avant diverses difficultés pour ces écoles de scolariser en l’état et dans des conditions optimales ces nombreux nouveaux élèves.
Ce projet va à l’encontre de l’intérêt de plusieurs centaines d’enfants qui auraient à subir des effectifs très chargés et des conditions d’apprentissage dégradées dans des écoles déstabilisées par cette nouvelle donne.
Face à cette volonté de la mairie, les parents d’élèves ont exprimé et continuent à exprimer leur incompréhension, leur mécontentement, leur colère.
L’école du quartier de Rouges voit rouge. Les familles de ce quartier excentré ne veulent pas la voir disparaître et le font savoir.
De nombreuses actions organisées par les parents d’élèves, relayées par la presse locale, ont vu le jour : distribution des vœux des élèves de l’école le soir de la présentation des vœux de Madame la Maire aux Montalbanais le 12 janvier 2023, création d’une page Facebook, pétition, motion présentée en Conseil d’École le 26 janvier 2023, distributions de tracts dans le quartier et sur le marché, manifestations devant l’école, devant la Préfecture, présence dans les cortèges de ces derniers jours.
D’anciens élèves et leurs familles se mobilisent également et leur apportent leur soutien.
Je ne peux qu’être à leurs côtés.
Être à leurs côtés pour que les cris d’enfants continuent à raisonner dans la cour de récréation.
Être à leurs côtés pour que leur quotidien et leurs organisations familiales ne soient pas bouleversés.
Être à leurs côtés pour que la vie continue dans ce quartier.
Être à leurs côtés pour la défense du Service Public.
La baisse des effectifs que nous connaissons avec 47 élèves prévus pour septembre prochain ne justifie nullement la fermeture par l’Éducation Nationale des trois postes d’enseignants de l’école Marcel Pagnol.
Au vu du nombre d’élèves devant poursuivre leur scolarité dans cet établissement en septembre prochain, des fratries arrivant en PS, des enfants arrivant dans le quartier, force est de constater que les seuils retenus en Tarn-et-Garonne pour les ouvertures et fermetures de classe ne sont pas appliqués.
Pourquoi les élèves et les familles de ce quartier devraient-ils quitter leur école pour aller plus loin (les plus proches sont à près de 3 km) ? Cela au risque de connaître des classes plus chargées dans lesquelles, selon les écoles de repli, il leur sera plus difficile de bénéficier de conditions d’apprentissages optimales.
Les responsables décisionnaires doivent réfléchir aux effets et conséquences que leurs choix auront sur les enfants. Ils doivent faire ce qui est le mieux pour les élèves. Ils le leur doivent.
Je ne peux accepter sans réagir que les élèves de cette école apprennent si tôt que «Telle est la vie des hommes. Quelques joies très vites effacées par d’inoubliables chagrins.» (Marcel Pagnol).
Leur scolarité est actuellement fortement impactée par cette volonté de fermer leur école, volonté qu’ils ressentent comme une injustice, qui les peine, qui les effraie et qui les prive de leur insouciance.
Pour toutes ces raisons, j’ai peur.
Peur qu’à Montauban, à la prochaine rentrée scolaire, l’école Marcel Pagnol ne puisse plus offrir conformément à la circulaire de rentrée de septembre 2022 « un temps et un espace communs à des enfants de tous horizons, pour apprendre, comprendre, agir et devenir des citoyens libres, éclairés, égaux et fraternels. »
Circulaire qui affirme également que «L’École n’est pas seulement le cœur battant de notre société, elle est aussi son principal vecteur d’unité. »
Je demande que l’Éducation Nationale ne soit pas porteuse de cette décision.
Je demande que l’Éducation Nationale relaye la voix de l’équipe éducative de l’école Marcel Pagnol en pesant de tout son poids auprès de la mairie de Montauban pour qu’elle revienne sur sa position concernant la fermeture de cette école.
Veuillez croire, Monsieur le ministre de l’Éducation Nationale, en mon profond attachement à un service public d’éducation de qualité.
Mme Pascale Prat