Comment faire le lien entre les chercheurs en didactique et les enseignants ? Pégase vous répondra Jacques Vince, professeur de physique-chimie aux multiples casquettes. Fort d’une thèse en didactique de la physique, il enseigne au lycée Ampère de Lyon et mène une activité de formateur d’enseignants. Il fait aussi partie du bureau national de l’UdPPC. Professeur associé à l’IFé (Institut français de l’éducation), il anime depuis plusieurs années le groupe Pégase (Acronyme de Pour les Professeurs et leurs Élèves, un Guide pour l’Apprentissage des Sciences et leur Enseignement et anciennement Sesames). Ce collectif d’enseignants et de chercheurs en didactique propose via son site internet de nombreux outils mais aussi des formations en lien avec la didactique propre à la physique-chimie. Jacques Vince répond à nos questions.
Qu’est-ce que le groupe Pégase ?
Depuis une vingtaine d’années, dans l’académie de Lyon, des enseignants travaillent avec des chercheurs en didactique pour co-contruire des ressources d’enseignement et de formation pour la physique-chimie, tant au lycée et ceci sans interruption depuis le début, qu’au collège avec un peu plus d’intermittence. Ces documents conçus pour enseigner sont accompagnés de ressources qui aident les collègues à se les approprier et à les mettre en œuvre dans leurs classes. Et comme ces ressources sont étayées par les résultats de recherche en didactique ou plus largement en sciences de l’éducation, nous sommes aussi amenés à produire des ressources de formation, indépendantes d’un thème donné de physique ou de chimie, mais qui permettent aux collègues de comprendre nos choix ou de produire ou modifier leurs propres ressources. Notre groupe, comme le site, a donc une visée de formation dans l’action.
Cette activité de production de ressources s’appuie sur la recherche mais peut également la susciter. Les ressources sont régulièrement modifiées à la suite de nos expérimentations en classe mais aussi parfois à la suite de recherches menées par les chercheurs de l’équipe ou par des résultats de recherche disponibles dans la littérature. Il convient alors de mettre à disposition du groupe ces travaux, en en tirant ce qui peut être utile pour l’activité du groupe. Ma formation initiale en didactique de la physique et mon activité d’enseignant, à laquelle je tiens beaucoup, me permettent parfois de jouer ce rôle de « passeur » entre les deux mondes, celui de la recherche en éducation et celui de l’enseignement. En ce sens, le travail de Pegase s’inscrit pleinement dans le courant des recherches collaboratives.
Quels sont concrètement les outils proposés aux enseignants via le site internet ?
Il y a toujours eu deux entrées possibles dans PEGASE : enseigner et se former. C’est tellement assumé que nous avons gardé cette double entrée lors des deux refontes que nous avons déjà faites du site – la dernière en 2019. C’est en cohérence avec les publics que nous ciblons.
Les enseignants privilégient évidemment la rubrique enseigner : ils vont y trouver des séquences d’enseignement complètes classées par niveau et largement commentées pour accompagner leur mise en œuvre en classe mais aussi des ressources plus transversales par exemple sur les incertitudes ou des simulateurs. Nous laissons aussi accessibles les séquences des programmes passés. Ces séquences sont structurées par activités et sont conçus à partir de quelques choix forts comme : la modélisation – bien avant que ce soit aussi un axe structurant des programmes, l’explicitation et la prise en charge des idées initiales, la réflexivité des apprentissages, l’explicitation des attendus, le rôle du langage et des registres de représentation, la construction collective d’un savoir commun partagé par la classe…
Le formateur entrera plus spontanément par la rubrique Se former qui explicite et détaille ces choix de conception. On trouve ainsi 10 fiches de formation, classées par thème et volontairement courtes : en effet il ne s’agit pas de mettre en ligne un cours d’INSPE mais de s’adresser aussi à l’enseignant qui voudrait en savoir un peu plus parce que quelque chose a aiguisé sa curiosité lors de son enseignement. Nous avons toujours pensé ces deux rubriques comme poreuses, l’une éclairant l’autre. Enfin on trouve dans cette deuxième rubrique dédiée à la formation nos supports de formation en présentiel ou nos publications diverses, pour les enseignants – par exemple des articles dans le BUP – ou la communauté des chercheurs.
Vos formations sont-elles proposées au plan académique de formation ?
Oui, nous faisons quelques actions de formations chaque année dans l’académie de Lyon – et plus épisodiquement dans d’autres académies. Elles peuvent concerner un contenu disciplinaire particulier – enseigner la mécanique au lycée, enseigner l’énergie au collège, ou au cycle terminal du lycée – mais aussi des aspects plus transversaux – l’activité de modélisation, la structuration par activité, la formation et l’évaluation par capacités, la simulation…. Cette année est un peu différente car l’académie de Lyon a déployé son EAFC – école académique de la formation continue – et a fait disparaitre son PAF. Nous sommes donc en réflexion pour construire des parcours, de l’ordre de 25 heures, à soumettre à l’EAFC.
Quels impacts votre engagement dans ce groupe a eu sur vos pratiques dans vos classes ?
Ils sont énormes ! Les collègues qui viennent faire un bout de chemin avec nous – nous renouvelons partiellement l’équipe environ tous les trois ans, ou qui utilisent fréquemment nos documents nous disent toujours que cette expérience – de co-conception ou d’utilisation – a radicalement changé leur façon d’enseigner. Pour moi, c’est assez difficile à dire car il n’y a quasiment pas eu d’avant : j’ai juste enseigné deux ans avant ma thèse et j’avais déjà entamé un cursus en didactique, j’ai donc quasiment toujours été hybridé dans ma pratique enseignante par la recherche en didactique.
Mais il est normal que ce type d’activité transforme notre pratique. Les occasions sont rares de se mettre autour d’une table une demi-journée par quinzaine, pour concevoir collectivement à partir de nos expériences immédiates en classe. Enseignants et chercheurs partagent un but commun, chacun avec leur expertise : concevoir des ressources pour enseigner. Après une analyse fine des programmes et des concepts en jeu, après le partage d’un cadre « théorique » commun, nous sommes amenés à porter un regard réflexif sur ce que nous pratiquons, ça oblige à se dévoiler, à se poser des questions, et le regard de la recherche donne de l’épaisseur à ces réflexions : nous prenons conscience de nos routines, de nos croyances, sans pouvoir toujours les étayer. Nous prenons conscience aussi chaque jour que penser la construction des connaissances et des capacités pour nos élèves impose d’avoir les idées claires sur le savoir à enseigner : il nous arrive donc aussi d’approfondir le contenu et de refaire de la physique ou de la chimie… Didactique et contenu disciplinaire ne s’opposent pas, ils s’enrichissent mutuellement. De ce point de vue, nous rejetons totalement les fausses querelles entre les soi-disant tenants du savoir et d’autres qui seraient d’affreux « pédagogistes », comme on aime à dire lorsqu’on veut s’en moquer. Nous sommes donc en remise en cause permanente sans perdre de vue que nous devons maintenir un cap et un « contrat » avec nos élèves, sans en changer sans cesse en cours d’année.
Quelles sont les perspectives de développement de Pégase ?
Le rythme des programmes n’est pas celui de notre production… Nous avons toujours eu du mal à couvrir tous les programmes rapidement, ne serait-ce que parce que nous nous imposons d’avoir testé avec nos élèves une séquence avant de la mettre en ligne. Si nous avons réactivé un groupe collègue il y a trois ans, qui produit beaucoup, des pans entiers ne sont pas couverts : la chimie au lycée mais aussi la physique dans les filières technologiques – mais les collections numériques reprennent des structures équivalentes aux nôtres. Il nous manque clairement des moyens. Nous sommes heureusement soutenus financièrement par la DGESCO via l’Ifé et c’est ce qui nous permet de ne pas travailler totalement bénévolement. Ce soutien de l’ENS de Lyon est essentiel car il nous permet aussi d’assurer la maintenance du site. C’est une chance mais il y aurait du travail pour au moins un autre groupe. Et puis nous nous imposons aussi d’avoir un ou une chercheur dans chaque groupe. Or c’est souvent une difficulté : nous n’avons par exemple plus de collaboration directe avec la didactique de la chimie, alors que ce fut le cas au début de l’aventure Pegase…
Il nous reste donc encore beaucoup de thèmes à couvrir et nous travaillons aussi à l’amélioration des documents d’accompagnement, chapitre par chapitre, pour nos collègues.
Enfin, nous devons progresser quant à la visibilité du site, malgré l’hébergement par l’ENS et le soutien de l’IFé. En faire la promotion est une activité en tant que telle, à laquelle nous sommes peu formés et nous consacrons trop peu de temps. Aujourd’hui pour suivre ce que nous mettons à jour sur le site, il faut être abonné à notre compte twitter @pegase_ife…
Propos recueillis par Aurélie BADARD