Mais qu’ont fait les CPE – Conseillers principaux d’éducation – lors du premier confinement, lorsque tous les établissements étaient fermés ? Magali Boutrais, maîtresse de conférences en Sciences de l’éducation et de la formation, nous explique que leur rôle a été central dans la gestion des élèves. Ils ont servi de lien entre les élèves, les parents, les enseignants, les chefs d’établissements.
Quelle place occupe les CPE dans les établissements ?
Selon la circulaire ministérielle de 2015 qui fixe leurs fonctions et missions, les conseillères et conseillers principaux d’éducation (CPE) sont des personnels de l’éducation nationale présents dans les établissements scolaires du second degré et placés sous l’autorité du chef d’établissement. Leurs responsabilités éducatives s’exercent dans l’organisation et l’animation de la vie scolaire. Ils organisent le service et « contrôlent les activités des personnels chargés des tâches de surveillance ». En partenariat avec les enseignants, ils assurent le suivi individuel des élèves. De plus, selon cette même circulaire, « ils contribuent à conseiller les élèves dans le choix de leur projet d’orientation ». Ce texte définit le cadre général de la vie scolaire ainsi : « placer les adolescents dans les meilleures conditions de vie individuelle et collective, de réussite scolaire et d’épanouissement personnel. » Cette phrase laisse la possibilité d’une interprétation subjective très large de ce que peuvent être « les meilleures conditions de vie individuelle et collective » pour un adolescent, mais aussi ce qui est sous-entendu par « réussite scolaire » et « épanouissement personnel ».
Et concrètement ?
De manière plus praxéologique, dans les établissements, les CPE organisent le travail de l’équipe des surveillants, les « assistants d’éducation » – AED, reçoivent les élèves dans leur bureau, par exemple lors de manquement au règlement intérieur. Ce sont eux qui s’occupent de contacter les familles des élèves quand ceux-ci sont absents ou malades. Ils sont en permanence présents dans le collège ou le lycée et sont en relation avec tous les personnels de l’établissement – chef d’établissement et adjoint, enseignants, assistante sociale, infirmière, etc.
Vous avez une recherche sur le rôle des CPE lors du confinement, de quoi s’agit-il ?
L’objet de la recherche que j’ai commencée au moment du premier confinement en France, en mars 2020, est de comprendre comment les CPE ont exercé leur métier de la relation et de l’humain, à distance. Quelles ont été alors leurs missions ? Ont-elles été modifiées du fait des conditions de confinement ? Quel rôle ont-ils joué ? Quelles pratiques professionnelles ont-ils mis en œuvre ? En quoi cela était différent de ce qu’ils font habituellement. Cette recherche s’inscrit dans un projet émergent – projet « COVID et vulnérabilités éducatives », COVED – porté par le Centre Amiénois de Recherche en Éducation et Formation (CAREF), et financé par la Maison Européenne des Sciences de Homme et de la Société (MESHS) de Lille.
Après la diffusion d’un questionnaire en ligne auprès de CPE de toutes les académies de France, qui a recueilli 226 réponses, j’ai procédé à plus d’une quarantaine d’entretiens semi-directifs, à distance, avec les CPE volontaires ayant répondu au questionnaire. La passation du questionnaire a eu lieu en mai et juin 2020, et les entretiens en juin, juillet et septembre 2020.
Et donc, ont-ils pu exercer leurs missions lors du premier confinement ?
A partir des données recueillies, je peux dire que pendant la période de confinement, les missions des CPE ont été peu modifiées mais qu’elle se sont centrées sur le « cœur de métier », le suivi des élèves. En effet, pendant cette période, les CPE étaient énormément en contact avec les personnels de l’établissement, mais à l’aide des moyens numériques de communication, plutôt qu’en présence physique directe – le téléphone et la messagerie électronique, puis, quelques semaines après le début du confinement, les salles virtuelles en visioconférence quand elles ont été accessibles.
Les enseignants et les chefs d’établissement ont sollicité les CPE pour qu’ils contactent les élèves qui ne se connectaient pas lors des classes virtuelles et/ou ne rendaient pas le travail scolaire demandé.
Les CPE témoignent d’une utilisation accrue du courrier électronique et du téléphone pour communiquer avec les familles des élèves et soulignent que cette communication avec les parents d’élèves a augmenté alors que la communication directe avec les élèves a diminué.
Les motifs de communication avec les enseignants se sont modifiés aussi. Les enseignants ont aussi sollicité les CPE quand ils étaient confrontés à des problèmes techniques, liés à l’utilisation des outils numériques. De même, les parents d’élèves et les élèves eux-mêmes ont fait appel aux CPE pour ce type de difficulté. Les CPE ont ainsi été les témoins des écarts importants entre élèves – et leurs familles également – concernant la maîtrise des outils numériques. Ils ont constaté que certaines familles ne disposaient pas d’une connexion internet ni d’un ordinateur permettant aux enfants et adolescents de prendre part au travail scolaire proposé à distance. De nombreux jeunes n’avaient que leur téléphone portable pour accéder à l’espace numérique de travail. Parfois, l’unique ordinateur présent dans le foyer ne permettait pas aux parents et aux enfants de travailler à distance. Des priorités devaient être faites alors. Au-delà de l’accès à du matériel informatique, ce sont surtout les capacités d’utilisation des outils et des logiciels qui faisaient défaut aux élèves et parfois à leurs parents – savoir télécharger un document, être capable d’utiliser un logiciel de traitement de texte, de joindre un document à un mail, etc.
Ils étaient donc aux « premières loges » pour constater les difficultés réelles engendrées par « la classe à la maison » ?
Ils ont constaté que la « fracture numérique » existe réellement dans notre pays et que les outils proposés par l’École – ENT, classes virtuelles, notamment -, au moment du confinement, ne parvenaient pas à limiter les écarts en la matière.
En plus d’un rôle de « dépanneur informatique », les CPE ont consacré une large part de leur travail, pendant le confinement, à maintenir un lien social plus que pédagogique avec les élèves et les familles, et cela d’autant plus quand ils exerçaient dans des territoires où les logements étaient exigus pour le nombre de personnes confinées. Au cours de cette période, les CPE ont été fréquemment en contact avec les conseillers d’orientation psychologues (CoPsy) pour soutenir les élèves qui présentaient des fragilités psychiques et une anxiété importante face à la situation sanitaire, et qui étaient parfois confrontés à la maladie et au décès dans leurs familles.
Pour de nombreux CPE, le rôle majeur qu’ils ont eu pendant le premier confinement a été un rôle d’accompagnant sur le plan social plus que scolaire auprès des enseignants, des élèves et de leurs familles.
J’ajoute que, sur le plan personnel, si les CPE ont été majoritairement satisfaits de pouvoir profiter de leur famille, durant le confinement du printemps 2020, cette période a été, pour la plupart, assez mal vécue sur le plan professionnel. Toutes et tous ont apprécié de pouvoir retourner dans leurs établissements en juin 2020, afin d’exercer leur métier comme ils en ont l’habitude, au contact des personnes – adultes et élèves.
Pendant ce confinement, la majorité des CPE ont trouvé que les temporalités étaient mélangées du fait d’un lieu unique et indifférencié où ils vivaient leur vie privée et professionnelle. Il semble que cette période de confinement généralisé ait entraîné un malaise professionnel, en raison d’un empiètement des temps de travail sur les temps de la vie personnelle, tout en mettant en exergue l’importance des relations dans la vie humaine.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
Pour aller plus loin :
Communication colloque WIMS 2021, disponible en ligne
Communications au Congrès de l’AREF 2022 à Lausanne
« La présence professionnelle des conseillers principaux d’éducation (CPE) pendant le confinement ». Disponible en ligne