À l’heure où les enseignants et enseignantes évoquent leur mal-être, le manque de considération dont ils se sentent victimes, que les étudiants se projetant dans le métier craquent sous la pression, le Café pédagogique propose de faire le point sur le moral des directeurs et directrices d’école, des inspecteurs de l’éducation national et des personnels de direction. Là encore, le tableau est loin d’être rose. Georges Fotinos a mené plusieurs études sur la question. Il répond à nos questions.
Au moment où sont annoncées des décisions importantes concernant les différents niveaux de la scolarité de la maternelle au Lycée, il paraît plus que nécessaire de connaître un élément fondamental « pierre de touche » de ces changements : le moral des acteurs en charge directe sur le terrain de leur mise en œuvre – IEN, Directeur d’école et Chef d’établissement. En effet le « Moral professionnel » concept de la sociologie du travail – absent des enquêtes du ministère de l’Éducation nationale est défini comme « l’élément synthétique des comportements et attitudes captés dans l’évolution du contexte environnemental professionnel ». Il est reconnu comme « le moteur des organisations ». « Nous avons introduit ce concept à l’Education nationale à quatre reprises depuis 2017 pour des études nationales inscrites dans l’Accord-cadre CASDEN-MENJS et soutenues par des syndicats UNSA » nous explique Georges Fotinos, ancien chargé d’inspection Générale Établissement et Vie scolaire et président du groupe de travail « Qualité de Vie au travail » du Comité National de suivi des Inspé. « À la lumière des très récentes alertes publiques concernant la situation alarmante des IEN et PERDIR et du mal être et à l’insatisfaction des Directeurs d’école il nous est apparu, pour mieux comprendre cette situation, de rappeler quelques résultats importants de ce travail ». Il répond à nos questions.
Dans quel état est le moral des Inspecteurs de l’Éducation Nationale (IEN) ?
L’étude sur le Moral des IEN de 2016 indique que 78% de ce personnel déclare un moyen/mauvais moral, 97% un volume de travail trop lourd, 81% trop de réorganisations et changements de structure, 72% insatisfaits des possibilités de mobilités professionnelles, 53% un manque de reconnaissance de leur travail, 46% un manque d’autonomie, 42% l’absence de soutien hiérarchique, 9,4% une présomption de burnout clinique… Le MEN s’était ému de cette situation … Bien vite oubliée. D’après le SIEN-UNSA une réactualisation de ces données montrerait à coup sûr un aggravement des dérives identifiées.
Et celui des directeurs d’école ?
L’étude sur le Moral des Directeurs d’école de 2018 indique que : 66% de ce personnel déclare un moyen/mauvais moral, 88% un manque de reconnaissance sociale,82% l’absence d’évolution professionnelle, 56% l’augmentation des différends avec les parents,52% le manque d’autonomie, 52% ont été insultés dans l’année (78% par les parents),23% une présomption de burnout clinique.
En rapport direct avec ce travail une étude récente « Violences et Citoyenneté à l’École Primaire » montre « l’irruption » d’un nouveau composant des différends avec les directeurs. Les atteintes à la laïcité : un directeur sur trois indique avoir eu un ou des différends avec les parents relatifs à la légitimité de certains enseignements et de choix pédagogiques – motifs tenant à des convictions religieuses, un directeur sur trois indique avoir eu des différends avec les parents sur l’aménagement du service public temps scolaire et périscolaire- motifs tenant à des prescriptions religieuses.
Et celui des Personnels de Direction des Lycées et Collèges – les Perdir ?
L’étude sur le moral des Personnels de Direction des Lycées et Collèges l’étude de 2021 montre une nette dégradation en 5 ans : Moral moyen/mauvais 78% des Perdir en 2021 contre 58% en 2017. Là aussi les principaux composants de cette situation sont connus : 83% indiquent trop de réorganisations et de changements de structure, 72% indiquent une évolution des conditions de travail dégradées, 72% un dessaisissement de leurs responsabilités « décisions prises d’en haut », 69% l’absence d’évolution professionnelle, 58% un manque d’autonomie et/ou de marge de manœuvre, 56% une dégradation des relations avec les parents, 50% ont été insulté dans l’année – 51% par les parents, 14% une présomption de burnout clinique.
Qu’en conclure ?
L’ensemble de ces informations montre à l’évidence que les bases vitales du fonctionnement de notre système éducatif sont aujourd’hui pour le moins fragilisées et ne pas considérer l’urgence de remédier à cette situation serait une erreur aux résonances profondes.
Ces résultats sont-ils la conséquence d’une gouvernance inadaptée ?
En effet, ces résultats sont en grande partie la conséquence d’une gouvernance administrative inadaptée encore, quoi qu’on en dise fortement centralisée et hiérarchisée qui s’autoalimente en multipliant les textes et les prescriptions centrés très majoritairement sur les résultats attendus et non sur les conditions d’exercice nécessaires aux acteurs en charge de leur mise en œuvre sur des terrains très différents.
Mettre ce changement de centre de gravité au cœur et comme moteur de notre système éducatif c’est -comme la recherche nationale et internationale le démontre- non seulement améliorer le bien être des personnels et des élèves et leurs réussites mais aussi le travail collectif dans les établissements et in fine rendre notre Ecole plus attractive et plus performante.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
Les études :
Le Moral des Inspecteurs IEN, IA-IPR
Qualité de vie au travail et épuisement professionnel
829 Inspecteurs témoignent
Georges Fotinos, José Mario Horenstein Casden (2016)
Alerte : Le Moral des Personnels de Direction des Lycées et Collèges en 2017
3000 PERDIR témoignent
Georges Fotinos José Mario Horenstein CASDEN (2018).
Le Moral des Directeurs en 2018
Conditions de travail, qualité de vie professionnelle, burnout
Avenir professionnel et organisation de l’Ecole.
7400 Directeurs témoignent
Georges Fotinos, José Mario Horenstein Casden (2018)
Violences et Citoyenneté à l’Ecole Primaire en 2021
3000 Directrices-Directeurs témoignent
Georges Fotinos DDEN (2021)
Les Personnels de Direction à bout de souffle en demande d’Avenirs
Evolution du métier (2004-2021)
4400 PERDIR témoignent
Georges Fotinos, José Mario Horenstein SNPDEN, CASDEN (2021)