Dans un article publié sur Médiapart, Jean-François Simonpoli, docteur en sciences du langage qui a consacré ses travaux à l’école maternelle, livre une analyse de l’école maternelle et de l’effet de l’avancement de l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans. Il ouvre le débat et fait une proposition pour le moins intéressante et originale : la transformation de l’école maternelle en école des petits et la création d’un nouveau corps d’enseignant. Il répond aux questions du Café pédagogique.
Vous évoquez une mutation de l’organisation du système scolaire avec l’obligation de scolarisation à trois ans. Pourquoi dites-vous que cela est en rupture avec l’école pour tous ?
Il y a deux façons de définir les objectifs de l’école : par sa promesse ou par son aboutissement. La promesse c’était plutôt le modèle de la France, l’aboutissement celui de la Corée.
En avançant l’âge de la scolarité obligatoire à 3 ans, la France change de modèle et passe à un objectif par aboutissement. Pour que « l’école pour tous » tienne sa promesse pour tous les enfants de recevoir un enseignement identique, quels que soient leurs aptitudes personnelles, leurs familles, leurs lieux d’habitation, « l’école maternelle » avait pour rôle de les préparer à devenir élèves. En intégrant la maternelle dans le continuum scolaire, c’est la fin de scolarité qui devient le but ultime. Il s’agit, dès l’âge de 3ans, de faire entrer l’enfant dans l’école intégrée dans ce dispositif de formation éducation.
Cet événement a permis à l’État de financer à hauteur de 250 millions d’euros supplémentaires par an l’enseignement privé, tout en rapprochant le fonctionnement de l’enseignement public à celui du privé. Dorénavant, il s’agira pour les familles de choisir leur école en fonction de leurs projets et du projet pédagogique annoncé par chaque école qu’elle soit publique ou privée.
Qu’est-ce qui se cache derrière la formule d’école de la confiance selon vous ?
Derrière l’idée de l’école de la confiance se cache l’intention de transformer l’école de la République en école des familles. Ce qui importe ce n’est plus de construire l’émancipation de chacun par l’accès aux savoirs et l’apprentissage des méthodes pour atteindre le libre arbitre mais bien de construire la future employabilité de chaque élève à la fin de son cursus.
En inversant les priorités et en confiant à la seule famille le soin de décider pour ses enfants, on lui donne à la fois un rôle de protection et un rôle de choix des enseignements qui, bien que relatif, peut être exercé à l’encontre des intérêts de la république et ceux de l’enfant.
La responsabilité éducative est du ressort des parents et il est hors de question d’en modifier l’attribution. Cependant si les enseignants se sont vu confier un rôle de surveillance et de signalement dans le cadre de la protection infantile, c’est bien parce que le législateur a considéré que la famille était un lieu de danger. Alors pourquoi se référer à la famille pour décider de l’avenir d’un enfant et en faire le premier décideur du contrat de confiance avec l’école. L’école de la République n’est pas celle des familles. Dans l’école pour tous c’est la République qui décide des programmes et des méthodes d’enseignement pas la famille. Dans l’école de la confiance c’est la famille qui décide ce que son enfant doit ou pas suivre comme enseignement et à quelle école elle décide de faire confiance.
Vous faites le parallèle avec l’école inclusive qui selon vous est un leurre. Pourriez-vous vous expliquer ?
Si je mets en garde contre la possibilité de détruire la spécificité pédagogique de l’école maternelle c’est en effet parce que cela est arrivé à l’enseignement spécialisé pour l’enfance inadaptée. Cette filière s’est vue détruite au profit de l’école inclusive. Pour permettre à tous les enfants, quelles que soient leurs aptitudes physiques psychiques affectives ou intellectuelles de suivre le même cursus scolaire, on a dilué le savoir-faire des enseignants spécialisés et empêcher l’adaptation de l’enseignement aux conditions particulières des élèves en difficulté. On a laissé des enseignants non formés et des assistants précarisés face a des situations particulièrement délicates. On aurait pu au contraire prendre l’enseignement spécialisé comme exemple pour l’acquisition des connaissances et l’apprentissage de ressources nouvelles à tous les enfants. Et ainsi comme, ce fut le cas, depuis les années 40 jusque dans les années 80, dans le réseau des « écoles de plein air » accueillir des enfants de toutes conditions ayant toutes sortes d’aptitudes ou de déficiences afin qu’ils s’épanouissent dans le travail en commun.
Cette option est d’ailleurs tellement préférable qu’un certain nombre de marketeurs de l’enseignement privé s’en sont emparés pour vendre aux familles riches des modèles pédagogiques différents. Des écoles Summerhill aux écoles Montessori en passant par les écoles coopératives ces modèles développés dans la filière de l’enfance inadaptée sont aujourd’hui réservés à des familles riches.
Vous portez l’idée d’une refondation de l’école maternelle vers une école des petits. Que signifierait ce changement d’appellation ?
Refonder « l’école maternelle » et la transformer en « école des petits » me semble nécessaire pour accompagner les problématiques de la parentalité, de la recomposition familiale, ou des relations interpersonnelles telles qu’elles existent. « L’école des petits » sera tout simplement le lieu de socialisation des futurs élèves et de création du bien-être des enfants avant l’école. Il faut sortir du modèle consumériste qui place l’enfant comme un objet ou un support de consommation y compris pour son éducation. Il est urgent de refonder l’école maternelle en retrouvant son objet initial défini par Pauline Kergomard : « l’école maternelle » a pour but de donner aux enfants au-dessous de l’âge scolaire les soins que réclame leur développement physique moral et intellectuel.
Votre projet ressemble un peu à l’école maternelle de Kergomard, non ?
C’est comme cela que Pauline Kergomard a défini dans son arrêté du 28 juillet 1882 le rôle de l’école maternelle. Le comité des inspectrices générales des écoles maternelles a ensuite initié des instructions officielles relatives aux activités recommandées en 1908.
Pour elles « l’école maternelle » n’est pas une école au sens ordinaire. « C’est un abri destiné à sauvegarder l’enfant des dangers…Tous les exercices de l’école maternelle doivent aider au développement des diverses facultés de l’enfant, sans fatigue, sans contrainte, sans excès d’applications…. Le but à atteindre en tenant compte des diversités de tempérament de la précocité des uns et de la lenteur des autres, c’est qu’ils aiment leurs taches… » Dans l’école maternelle de madame Kergomard il s’agit de sortir les enfants de leurs familles pour « les faire élèves » dans le respect du rythme des tout petits. Évidemment les conditions de vie de nos familles ne sont plus celles de 1908 pour autant les objectifs restent les mêmes : rechercher et promouvoir l’émancipation des enfants par l’accès aux savoirs.
Pourquoi un nouveau corps d’enseignant et plus de Professeurs des écoles ?
Après tout peu importe qu’elle ou il soit ou non « professeur des écoles ». L’objectif serait que la maîtresse ou le maître de l’école des petits retrouve la compétence et le rôle des « maîtresses d’école maternelles ». C’est un vieux métier. Il apparait en 1638 dans « l’hôpital des enfants trouvés » de Vincent de Paul pour éduquer des gosses des rues, et en 1770 dans les « petites écoles à tricoter » du Pasteur Oberlin pour permettre à des mamans d’occuper leurs enfants pendant qu’elles travaillaient, tout en leur permettant de découvrir d’autres connaissances que celles qu’elles étaient capables de leur transmettre. Ces maîtresses étaient toutes engagées sur le versant des activités d’apprentissages tandis que d’autres femmes s’occupaient des autres aspects éducationnels.
La promesse reste la même. Elle concerne mais elle concerne tous les enfants pour leur permettre l’accès aux connaissances, tout en veillant à leur sécurité et à leur épanouissement. Pour ce faire nous avons besoin d’équipes pluridisciplinaires particulièrement bien formées dans tous les domaines liés aux acquisitions premières.
C’est la raison pour laquelle je préconise que les maîtres et maîtresses d’école des petits soient davantage des institutrices ou instituteurs que des professeurs, que leur rôle consiste à fonder des connaissances plutôt qu’à proclamer des croyances, des opinions ou des connaissances avérées. En complément, une ou un éducateur de jeunes enfants assumera la responsabilité éducative afin que chaque enfant devienne un élève parmi d’autres engagé dans un projet collectif. Pour les aider, veiller à l’hygiène et la santé, et faciliter les conditions de travail de la classe, une ou un assistant de vie scolaire sera le troisième personnage de cette équipe.
Vous êtes à contre-courant de nombreuses recherches sur la lutte contre les inégalités qui préconisent une scolarisation précoce des 2 ans, vous proposez de retarder d’un an l’accès à l’école. Pourquoi ?
Ce qui prime pour les partisans de la scolarisation à 2 ans c’est de trouver un dispositif de garde. Ce n’est pas le rôle de l’école maternelle. Il existe une structure plus adaptée aux premiers âges de la vie qui complète la vie familiale : la crèche. Elle assure dans de bien meilleures conditions que l’école les apprentissages de la vie domestique tout en préparant à la vie en collectivité. Il faut réserver à « l’école des petits » la préparation aux acquisitions de la langue de l’école et aux situations de travail en groupe restreints. Ces objectifs d’enseignement trouvent leur place à partir de la section de moyens c’est à dire pour des enfants de 4ans. C’est l’âge essentiel pour la scolarisation dans ‘l’école des petits’. Gardons à l’école des petits sa raison d’être : donner aux enfants au-dessous de l’âge scolaire les soins que réclame leur développement physique moral et intellectuel.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
« Entrées pour l’école maternelle » Jean-François Simonpoli, Emmanuelle Cuge, Pierre Berthier, Thomas Roller chez Hachette éducation.
ISBN 978-2-01-703729-3