Dans sa chronique du mercredi, Claude Lelièvre revient sur le rapport de la cour des comptes qui appelle à la contractualisation pour le recrutement des enseignants. Un rapport qui porte une vision politique plus qu’il n’apporte un regard d’expertise selon le chercheur.
C’est du moins ce qui transpire du rapport rendu public par la Cour des comptes mercredi dernier. Il préconise d’ « expérimenter dans les académies en difficulté et les disciplines en tension une nouvelle voie d’accès au métier d’enseignant» via des contrats de trois à cinq ans qui prévoiraient une « affectation sur un poste précis avec l’engagement de l’enseignant d’y demeurer pour la durée du contrat ». Selon le rapport, et ce serait une innovation de taille – non pas seulement conjoncturelle mais structurelle, « dépasser les difficultés persistantes de la formation et du recrutement des enseignants suppose d’engager des réformes structurelles ».
Rien de vraiment nouveau
Pourtant, ces difficultés sont loin d’être inédites, tant s’en faut. Il y a eu en effet dans le passé des périodes où l’on a eu dans les écoles, les collèges ou les lycées une proportion bien plus importante de non-titulaires qu’actuellement, mis en place le plus souvent sans aucune formation professionnelle et recrutés hors concours ou procédures normales sans que cela aboutisse à une réforme structurelle des modalités normales de recrutement – en principe sur concours…
Par exemple, un rapport du 4° Plan en date de 1964 estime que les nouveaux postes de l’enseignement primaire ont été couverts à partir de 1955 par des « remplaçants » à raison de plus de 10000 par année. Entre 1951 et 1964, environ 70000 normaliens – la voie normale pour être « titulaire » – ont été recrutés contre environ 90000 non-normaliens nommés par le biais latéral du « remplacement ». Face à cette situation pour le moins inédite – et qui l’est restée…, la formation d’un semestre donnée alors à certains de ces « suppléants » ou « remplaçants » paraît historiquement dérisoire, car l’effectif touché a oscillé durant toutes les années 1960 entre 1200 et 1300.
Au cours des années 1960, les « collèges » (CEG et CES) sont amenés à recourir massivement à des recrutements de « fortune » pour faire face à la marée montante des élèves en raison de la démographie et de la poursuite des études de beaucoup d’entre eux. En 1967, sur dix professeurs de collège (CEG ou CES), six seulement sont titulaires. Le pourcentage de titulaires s’améliore ensuite assez rapidement, puisque le taux de non-titulaires s’établit en 1975-1976 à 11% pour les collèges et 8% pour les lycées. C’est l’effet d’une augmentation des recrutements par concours, mais surtout de plans de résorption de « l’auxiliariat » qui n’exigent ni formation dédiée ni acquisition de diplôme. Et ce taux descend même à moins de 5% durant le début des années 1980 ; pour repartir à la hausse – importante, mais moindre que dans la période des années 1960 – en raison de la mise en œuvre progressive de l’ambition de « 80% des élèves au niveau bac en l’an 2000 ». Là encore, pas de problématiques concernant alors le nombre et la place des contractuels – et des modifications qui seraient à entrevoir quant au statut « normal » de fonctionnaire d’État du professeur.
Une proposition politique avec une dimension idéologique
On le voit, la proposition de changement « structurel » apparue dans le récent rapport de la Cour des comptes ne peut être tenue pour le simple corollaire obligé d’un diagnostic partagé, pour le simple effet d’une expertise. Il s’agit d’un avis politique, avec sa dimension idéologique. Elle est en phase avec la déclaration sans fard faite il y a déjà plus de trois ans par Olivier Dussopt.
Le 13 mai 2019, dans un cadre plus large (celui de la Fonction publique toute entière, mais où l »Education nationale figure pour la moitié des fonctionnaires d’Etat), Olivier Dussopt – alors secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics – n’a pas hésité à présenter ainsi la loi de transformation de la Fonction publique devant l’Assemblée nationale: « Le projet de loi opère une profonde modernisation de la gestion des ressources humaines dans la Fonction publique […]. Le deuxième pilier du projet de loi vise à développer les leviers managériaux pour une action publique plus efficace, avec comme premier objectif – peut-être l’une des mesures les plus emblématiques de ce texte – l’ouverture accrue du recours aux contrats. »
Claude Lelièvre