« Quel effet de la priorité donnée à l’enseignement du lire-écrire-compter sur le lien entre l’IEN et sa circonscription ? » Telle est la question à laquelle s’est chargée de répondre l’Inspection Générale dans son rapport « Appropriation des évaluations nationales de CP, CE1 et de sixième dans le pilotage des circonscriptions du premier degré » paru en janvier dernier. Un rapport qui présente les évaluations nationales comme un outil scientifique et précieux pour « positionner les élèves », qui demande que les directeurs soient « installer dans leur fonction » – fonction instaurée par la loi Rihlac et que leur recrutement se fasse dorénavant sur profil.
Basé sur l’étude de 240 circonscriptions sur les 1261 existantes, les inspecteurs généraux se sont attachés à rendre compte des pratiques des IEN, conseils pédagogiques et enseignants de ces territoires dont les résultats aux évaluations nationales de CP et CE1 dépassaient ou étaient inférieures à ceux de circonscriptions de sociologie similaire.
À sociologie équivalente, des disparités importantes de résultats
« Les résultats en fluence des élèves sont corrélés à la sociologie du territoire. Globalement, plus l’IPS est bas, plus les résultats sont faibles » indique le rapport. Ce qui n’est pas une grande découverte mais ce que cherche à mesurer la mission, c’est la capacité « d’une circonscription ou d’un département à faire progresser les élèves en dépit du poids de la sociologie »
Pour ce faire, les inspecteurs généraux sont allés voir « l’ancienneté dans la fonction de l’IEN, le nombre d’IEN depuis 2015, le nombre de visites d’école, le nombre de CPC, de PEMF, de directeurs à décharge totale, le nombre d’ATSEM, le pourcentage de contractuels, le nombre de postes à profil, le nombre de journées remplacées ». Ils ont constaté que le nombre de personnels au sein de l’équipe de circonscription, le nombre de professeurs, le nombre de remplaçants… – « ne varient pas de manière proportionnelle au nombre d’élèves. Les circonscriptions visitées par la mission comptent de 2 443 à 8 563 élèves. 91 % de ces circonscriptions disposent d’un secrétariat à temps plein ». Secrétariat dont le rôle central dans la gestion des remplacements est souligné. La mission note aussi que « le ratio entre le nombre de CPC et le nombre d’enseignants est très variable d’une circonscription à l’autre et ne semble pas répondre à une logique précisée, ou explicitée par des réalités locales ». Le rapport conclut que ces divers éléments « ne semblent avoir une influence sur le fait que, dans la circonscription, les élèves réussissent mieux ou moins bien que dans les circonscriptions de sociologie comparable ». On s’en étonne.
C’est du côté de la stabilité des équipes dans les écoles – question dont ne s’empare absolument pas les inspecteurs généraux de la mission – et de la qualité de la pédagogie dispensée que les réponses seraient donc à trouver.
Des pratiques enseignantes passées au crible
Du côté des professeurs des écoles, la mission estime que « la culture de certains gestes professionnels est bien installée, mais qu’il existe des marges de progression ». Elle attire l’attention sur plusieurs points à améliorer : explicitation des enjeux de la leçon et des notions à apprendre demeure parfois inexistante, faire coïncider les leçons à la « zone proximale de développement » des élèves, automatiser les connaissances fondamentales et les capacités techniques de base « pour soulager la mémoire de travail » , choisir la méthode avérer la plus efficace (par qui ? la mission ne le précise pas… même si elle fait très souvent référence aux petits guides de l’ère Blanquer…), valoriser et questionner individuellement les élèves.
Par ailleurs, la mission constate un « apprentissage de la lecture renforcé » avec une évolution certaine du rythme d’apprentissage. « En moyenne, avant les vacances de la Toussaint, les élèves ont appris 14,2 correspondances grapho-phonémiques dans les classes de CP où la mission a mené ses observations, ce qui est le rythme indiqué pour un apprentissage de la lecture efficace » souligne-t-elle. Mais dans « 16,3 % des classes visitées, la lecture n’est pas enseignée par une entrée « principalement graphémique », ce qui déroge aux recommandations du conseil scientifique de l’éducation nationale et, au-delà, de la recherche en éducation » déplore-t-elle. « Dans 75 % des classes de CE1 visitées, les professeurs continuent l’enseignement du décodage, ce qui est à la fois une bonne chose si cela consiste à entrainer les élèves, un point plus contestable s’il s’agit de continuer l’apprentissage du code qui n’aurait pas été achevé au CP. Dans 70 % des classes de CP visitées, les élèves lisent des textes entièrement déchiffrables par eux, ce qui signifie que 30 % sont confrontés à des textes qu’ils ne peuvent pas entièrement déchiffrer, pratique susceptible d’ébranler leur confiance et qui nuit à l’apprentissage de la lecture » précisent les inspecteurs généraux. Du côté de l’écriture, l’apprentissage reste à consolider selon le rapport. La dictée n’est pas assez automatisée, ceci expliquerait la focalisation du ministre sur la question ? « Les activités de mémorisation orthographique et grammaticale, notamment par des exercices de dictées, sont moyennement fréquentes (6,47/10) en dépit d’une recommandation officielle qui prescrit une dictée quotidienne ». Lexique et calcul mental mériteraient eux aussi « un enseignement plus systématique ».
Les enseignants, dans leur grande majorité, ne s’appuient pas sur les résultats des évaluations nationales déplore les IG. Elles servent essentiellement à alimenter les dispositifs hors la classe, tels que les Rased, les APC… « Elles ne servent que très rarement à une réflexion sur les pratiques ordinaires, quotidiennes, adoptées en classe ». Beaucoup de professeurs des écoles interrogent aussi « la pertinence de leur calendrier de passation ». Les IG leur répondent qu’« il est très important de comprendre que ces évaluations ne sont pas un examen et encore moins une évaluation traditionnelle. Elles visent à faire un bilan de compétences. Il n’y a donc ni échec ni réussite, seulement un positionnement de l’élèves ». On peut s’interroger sur la sincérité de cette affirmation lorsque l’on constate l’usage politique qui est fait de ces évaluations…
Les directeurs, nouvel échelon de la circonscription ?
La mission insiste beaucoup sur le rôle du directeur dont « les évolutions de statut » devraient soulager les IEN. Pourtant, « héritiers d’une culture de travail entre pairs, leur acceptation de la responsabilité de cadre et de pilote que leur confie explicitement la loi Rilhac est hétérogène. Leur souci de la cohésion de l’équipe pédagogique, liée pour eux à cette position de pair, l’emporte souvent sur l’intention d’un pilotage effectif ». Et en effet, plusieurs enquêtes, même celles menées par l’institution ont démontré que les directeurs ne voulaient pas d’un statut dans leur grande majorité. Pour la mission, « il revient donc aux inspecteurs de les installer dans ce qui est devenu depuis décembre 2021 une fonction ». Et elle va même plus loin, elle appelant à ce que soit « engagé une réflexion sur les modalités de leur recrutement… La mission recommande la montée en puissance du recrutement sur profil des directeurs tant leur rôle devient de plus en plus stratégique ».
Le rôle des conseillers pédagogiques – « des experts didactiques qui fait d’eux les acteurs principaux de la formation continue » – est lui aussi analysé à l’aune des évaluations nationales et de leur capacité à accompagner les enseignants pour une meilleure réussite des élèves. La mission relève le poids des missions qui leur sont maintenant dévolues. « Le poids exercé par le suivi des constellations, ajouté à l’ensemble des missions des conseillers pédagogiques, rend la situation des conseillers pédagogiques particulièrement préoccupantes. Si tous disent l’intérêt qu’ils trouvent à leur mission, beaucoup souhaitent retrouver un poste en classe ou redevenir directeurs d’école ».
Seule élément de satisfaction pour les CPC selon les IG, les plans de formations maths et français qui ont permis « de redonner du sens et de l’ampleur à une formation statutaire dont la qualité était devenue inégale sur les territoires et de renouveler des modalités de formation souvent très descendantes. Les constellations ont remobilisé formateurs et professeurs autour de la formation continue ». Pourtant la mission regrette que « les constellations semblent de plus en plus organisées au niveau de la DSDEN », elle rappelle que « les directives nationales des plans mathématiques et français insistent fortement sur la nécessité de l’autonomie dévolue sur ce champ ». Un regret que partagent les IEN interrogés qui « n’hésitent pas à parler de « gestion normative », qui touche aussi à l’imposition des horaires voulue par les plans, en décalage avec les besoins identifiés par leurs soins et ceux de leur équipe dans les écoles ».
Pour la mission, « il apparait nettement que les résultats scolaires des élèves sont tout aussi affectés par la sociologie de leur territoire scolaire que par les stratégies pédagogiques mises en place par les personnels de l’éducation nationale dans la classe, dans la circonscription, le département, l’académie et par le pilotage global du système par le ministère ».
Ainsi, les origines sociales des élèves n’expliqueraient pas à elles seules leurs difficultés scolaires. Les pratiques pédagogiques des enseignants ainsi que la gouvernance du système éducatif à l’échelle de l’école, de la circonscription, du département et du ministère aurait un rôle prépondérant dans la réussite des élèves les plus précaires. Pas vraiment une découverte…
Lilia Ben Hamouda
Le rapport et les préconisations