Alors que l’école maternelle ne tient pas pour tous sa promesse de découvertes, de rencontres, de plaisir d’apprendre… le dernier (?) Plan qui la concerne confirme des choix inégalitaires, formalisés de manière autoritaire comme les précédents. Rien de nouveau donc, mais une école maternelle de plus en plus menacée dans ses missions.
Le plan et les grands marqueurs de la sélection
– l’évacuation du social : « L’école maternelle […] est une étape déterminante pour l‘épanouissement des élèves ». Un peu plus loin : « Sa mission est de donner envie d’aller à l’école pour apprendre, pour affirmer et épanouir leur personnalité, pour exercer leur curiosité́ sur le monde qui les entoure, tout en respectant le rythme de développement de chacun ». La rhétorique naturalisante, déjà présente en 2015, continue à s’affirmer sans la moindre preuve mais sans l’affirmation d’alors de la capacité de tous à apprendre et progresser. En l’absence de l’expertise de la fameuse bosse, à ce jour aucun gène des maths n’a été identifié. A contrario les travaux scientifiques abondent pour assurer l’inanité de la longue opposition inné/acquis et explorer le rôle des différents milieux dans le développement humain. La « personnalité », est le produit d’une construction tout au long de la vie, dans la rencontre avec ces milieux. C’est parce que les rencontres sont singulières, que chaque sujet est singulier, sans pour autant que cette singularité puisse être synonyme d’inégalité. Pour les mêmes raisons le développement d’un enfant n’est pas assimilable à celui d’une plante, qui, elle, s’épanouit à partir d’un déjà là, la graine. Quant aux rythmes scolaires individuels, ils ne peuvent être antérieurs à l’école et sont le produit du rapport que les enfants entretiennent aux apprentissages scolaires spécifiques, dans la perception ou la compréhension qu’ils ont des attendus et de la place qu’ils ont à prendre dans ce nouveau milieu. La volonté d’évacuer le social pour rendre chaque individu seul responsable de ses échecs ou réussites est ancienne, mais elle nécessite une grande attention quand on assiste à « L’inquiétant retour du gêne roi » (Stéphane Foucart dans Le Monde du 21 janvier 2023) : ainsi le généticien Robert Plomin, largement repris par la presse, affirme que la réussite scolaire est déterminée par les gènes à 50 %, le reste ne relevant pas de l’éducation familiale ou scolaire mais du hasard…
Une école maternelle pour quoi faire ? C’est la question qu’il nous faut nous poser, car elle engage bien au-delà de l’école elle-même.
– les « fondamentaux » vs culture commune. Les fondamentaux seraient la grande révolution pour éradiquer l’échec scolaire, alors qu’il s’agit d’un retour en arrière de plusieurs décennies, lorsque l’école maternelle, dans un tout autre contexte, dispensait de courts apprentissages préparatoires au cycle élémentaire et destinés aux enfants issus des classes populaires. Or, en 2023 alors que le monde s’est terriblement complexifié, les fondamentaux sont les outils adaptés à la mise en œuvre concrète de l’idéologie inégalitaire du plan, destinés à ceux qui n’ont pas « naturellement » les « talents » requis dont d’autres « héritent naturellement » dans leur milieu familial.
Avec ce nouveau plan les enseignants ne pourront se plaindre de changements permanents. Il est en effet remarquablement fidèle aux textes du précédent ministre. La culture n’est décidément pas au rendez-vous. En matière de contenus, le plan réitère la priorité du langage ce qui pourrait rassurer, s’il en était question ! Mais en lieu et place la langue, les correspondances graphie-phonie et le désormais (mais pas vraiment nouveau) fondamental des fondamentaux, le vocabulaire. Langage et mathématiques, d’évidence destinés à préparer précocement aux évaluations en CP, et à la concurrence que cela entraîne, relèvent donc encore et toujours d’apprentissages technicistes, très largement insuffisants pour faire culture. En entraînant les enfants à s’exercer, mémoriser, exécuter des tâches ou des consignes, l’école maternelle les nie comme sujets capables de réfléchir, comprendre… Alors que la difficulté est inhérente à tout apprentissage (c’est difficile tant que je ne sais pas) ce plan ne peut qu’aggraver les écarts en imposant des apprentissages précoces, totalement inadaptés à l’âge des enfants concernés.
Le risque s’amplifie d’une école maternelle où nombre d’enfants des classes populaires feront « l’apprentissage douloureux de l’infériorité » (Dans L’école des incapables. La maternelle, un apprentissage de la domination de Jean-Claude Croizet et Mathias Millet). Qu’en est-il avec le plan de cette école maternelle, publique, qui a pour mission de réduire les inégalités et ne se donne plus pour priorité les enfants qui ont le plus besoin d’elle ?
Refonder l’école maternelle
Tout ne se joue pas à la maternelle, mais c’est le seul lieu institutionnalisé qui a pour fonction de permettre à tous les enfants de transformer leur rapport aux apprentissages, aux autres comme à eux-mêmes.
Une refondation de l’école maternelle nécessite de redéfinir ses missions. La première est l’acculturation de tous les enfants, vraiment tous, à ce qui est indispensable à leur développement. C’est à l’école maternelle d’organiser les rencontres avec la littérature, les arts, les sciences, l’éducation physique… en accordant une attention particulière à l’appropriation par les enfants des outils langagiers et cognitifs requis pour que ces rencontres aient lieu.
C’est à l’école maternelle de rendre explicite et compréhensible ce qui ne peut l’être spontanément par tous, afin d’instaurer l’indispensable sécurité cognitive sans laquelle aucun développement n’est possible. Les enfants entrent dans les apprentissages scolaires lorsqu’ils découvrent des capacités qu’ils ignoraient, le plaisir et le pouvoir de faire, de dire et de penser lorsqu’ils ont de nouveaux besoins et de nouveaux intérêts. C’est-à-dire lorsque l’école leur donne ce qu’ils ne peuvent seuls inventer. En cela elle est une étape déterminante dans les histoires individuelles, un premier pas vers l’émancipation. Individuelle et collective.
Christine Passerieux