Comment aborder l’oral avec les élèves ? Sous quelles formes et pour quels objectifs pédagogiques ? Pascal Dupont, Professeur des Universités en Sciences de l’Éducation et de la Formation et Dorothée Sales-Hitier – Docteure en Sciences de l’Éducation et de la Formation ont travaillé la question dans le cadre d’un LéA (Lieu d’Éducation Associé) avec pour objectif l’élaboration d’une évaluation « inclusive et positive » simple et lisible. Ils répondent aux questions du Café pédagogique
Qu’est-ce qui est à l’origine de cette collaboration ?
La possibilité et la nécessité d’enseigner l’oral sont largement admises, notamment pour réduire les inégalités scolaires et développer un registre de compétences langagières diversifiées. Celles-ci sont effectivement attendues et évaluées tout au long du parcours scolaire des élèves mais font rarement l’objet d’un enseignement explicite. Les enjeux en sont pourtant importants. Il s’agit de dénaturaliser l’oral, c’est-à-dire de développer une posture réflexive pour adapter sa communication dans diverses situations, de passer de simples pratiques à l’acquisition de connaissances et de compétences dans les domaines de la réception, de la production, des interactions et de l’analyse de l’oral. Il s’agit également de répondre à des questions professionnelles inhérentes à cet enseignement comme celles de la gestion du temps, de la programmation, des modalités d’organisation de la classe pour que chaque élève puisse prendre la parole et de l’évaluation qui reste pour la plupart du temps encore centrée sur les performances des élèves et non leurs apprentissages.
Pour la plupart d’entre eux, les enseignants sont sensibilisés à ces problématiques mais rencontrent parfois des difficultés à démêler les différentes fonctions de l’oral dans la classe qui est un lieu où il y a toujours une circulation de la parole. D’autre part, ils se sentent peu outillés pour programmer cet enseignement tout au long d’une année scolaire et pour évaluer les progrès des élèves en fonction des apprentissages effectivement réalisés. L’ensemble de ces éclaircissements nécessaires sur les fonctions de l’oral et ses enjeux, le découpage du continuum langagier de la classe, les contraintes professionnelles liées à sa nature, une évaluation positive ont été intégrés à la réflexion sur la conception de nouvelles séquences didactiques.
De là est né le projet avec des enseignants de primaire et de collège de mettre en place un dispositif d’enseignement de l’oral s’appuyant sur leurs pratiques ordinaires dans le cadre d’un Lieu d’éducation Associé (LéA), en partenariat avec l’Institut Français d’Éducation (IFÉ), qui permet de développer une recherche collaborative entre chercheurs et praticiens de terrain sur une durée de trois ans. Dix-neuf enseignants participent à ce jour à ce projet : Onze professeurs de l’école primaire de la 4ème et 5ème circonscription de Toulouse et neuf professeurs de différentes disciplines du collège Rosa Parks. Ce dispositif programmé à partir de l’unité d’enseignement des genres oraux – la lecture à d’autres, l’exposé, l’interview, le débat, le compte-rendu, etc., dans différentes disciplines. C’est pourquoi nous parlons de genres oraux scolaires disciplinaires. est structuré en quatre étapes : une étape d’acculturation, une étape de présentation des enjeux de la prise de parole, une étape de régulation des apprentissages sous forme d’ateliers, et une étape d’intégration au cours de laquelle les élèves mobilisent les connaissances et compétences construites. Le travail commun entre chercheurs et enseignants fait alterner des moments d’apports didactiques, de mises en œuvre pratiques et d’analyses réflexives.
Des exemples de supports pédagogiques utilisés pour « enseigner l’oral » ?
Des ressources à destination des enseignants et des élèves ont été élaborées dans le projet : des déroulés possibles de séances, des fiches descriptives des genres oraux, des indicateurs linguistiques ou discursifs, des fiches d’observations flottantes des productions des élèves.
Par exemple, des dossiers documentaires sur des contenus disciplinaires – Sciences, EPS, Histoire, Français, EMC…, ont été proposés et adaptés aux contextes des classes afin de nourrir les échanges et de poser les enjeux concrets aux prises de parole publique sont conçus. Ou encore, la construction des connaissances sur le genre oral et l’identification des compétences à développer pour réaliser une production langagière, ont pu s’appuyer sur le visionnage de documents vidéo de pratiques sociales pour établir de premières représentations des genres : conférences d’experts scientifiques, corpus d’émissions radiophoniques et audiovisuelles ; concours de lecture à haute voix sur la scène de la Comédie Française.
Pour les élèves, des affiches reprennent les caractéristiques de chacun des genres. Elles sont complétées au fur et à mesure à partir d’écrits réflexifs qui témoignent des normes de réussite en cours de construction au sein de la communauté du groupe classe.
Une réflexion a été engagée sur la matérialisation d’un carnet de bord individuel de suivi des apprentissages du langage oral pour rendre plus concrets les progrès des élèves.
Finalement, qu’est-ce que « l’oral enseigné » ?
Pour dépasser une approche cloisonnée entre un oral à apprendre et un oral pour apprendre, nous envisageons cet enseignement sous l’angle de l’articulation d’un oral travaillé et d’un oral enseigné.
L’oral est dit travaillé au cours de séances qui n’ont pas nécessairement pour finalité première l’apprentissage du langage oral mais qui permettent aux élèves de mettre en pratique les compétences en cours d’acquisition et d’exercer les compétences acquises.
L’oral est dit enseigné au cours de séances dans lesquelles l’enseignant pointe explicitement des contenus de savoirs oraux pouvant être évalués à l’aide de critères de réalisation et d’indicateurs de réussite. Il suppose l’élaboration d’une séquence d’enseignement, le ciblage de connaissances et de compétences limitées.
Cette articulation entre ces deux types de séance donne aux enseignants un moyen de différencier et de clarifier pour les élèves les types de situations en classe. Les élèves, quant à eux, peuvent réinvestir les connaissances et compétences construites dans une plus grande variété de situation.
Combien d’heures ont-été consacrées à ce dispositif ?
À l’école primaire, l’enseignant est polyvalent. Les séances peuvent être complètement réalisées au sein des horaires de la discipline Français ou bien, lorsque les élèves s’exercent, dans le cadre des horaires de la discipline concernée.
Au collège, le dispositif est pris en charge par des équipes pluridisciplinaires dans le cadre de projets. En général, la première étape d’acculturation qui pose le contrat didactique est réalisée dans la discipline Français. Les autres étapes peuvent être prises en charge par des enseignants des autres disciplines scolaires.
Le temps de réalisation des séquences est variable entre 8 et 12 heures – dans la plupart des cas, deux séances par étape.
Un curriculum au niveau de l’école a-t-il pu être construit ?
Le dispositif est conçu pour se dérouler sur une année scolaire complète. La programmation tient compte du découpage en cinq périodes des enseignements à l’école française. La première période – septembre/octobre – ne comprend pas d’enseignements explicites à proprement dire. C’est un temps pendant lequel l’enseignant crée un environnement sécurisant. Des activités ritualisées sont mises en place pour établir un climat de confiance dans la classe et que les élèvent osent prendre la parole. Les quatre périodes suivantes de l’année scolaire sont chacune consacrées à l’enseignement de quatre genres dans quatre disciplines différentes pour renouveler les enjeux des prises de parole selon des problématiques disciplinaires. Cette programmation prend en compte les apprentissages des élèves dont les compétences sont réinvesties d’une séquence à l’autre.
D’autre part, d’une année à l’autre, un même genre peut être enseigné dans une autre discipline que l’année précédente afin de renouveler les enjeux des prises de parole tout en s’appuyant sur les acquis déjà là des élèves.
Quels effets avez-vous pu constater au niveau de l’oralité des enfants, de la coopération entre enseignants, de l’accueil des collègues non impliqués…?
Les plus-values que les enseignants participant au projet soulignent portent sur plusieurs points. L’organisation des enseignements sur l’année scolaire et sur le cycle, la clarification des contenus à enseigner, la reprise d’une séquence type générique déclinée suivant les différents genres et les disciplines, le développement de leur expertise pour évaluer les progrès des élèves, la construction de supports pour enseigner dossiers documentaires, écrits réflexifs, affiches, carnet de bord, fiches d’observations, etc, et l’échange de pratiques sur un Padlet – (trucs et astuces, photos de classe, conseils….
Pour les élèves, puiseurs effets sont là aussi constatés. La distinction de différents moments dans le continuum langagier de la classe, la conscientisation de leurs apprentissages, la capitalisation des connaissances et des compétences et un sentiment de réussite qui favorise la prise de risque.
Savez-vous si ce dispositif va être généralisé ?
Trois axes sont proposés pour conforter le paradigme d’une école bienveillante : le renforcement des organisations pédagogiques et éducatives, le suivi des apprentissages des élèves, et une évaluation positive. Le dispositif proposé prend en compte ces trois axes. Les enseignants énoncent les objectifs d’enseignement et s’assurent de leur compréhension par les élèves et mettent en valeur leur cheminement et les progrès qu’ils font par eux-mêmes, notamment en gardant et en organisant des traces afin que chaque élève puisse percevoir son évolution et évaluer son travail grâce à des critères de réussite précis.
La mobilisation de ces critères de réussite doit pouvoir prendre en considération des variations de l’oral afin de ne pas envisager les productions des élèves uniquement en tenant compte de la norme de l’écrit – faire des phrases à l’oral – mais également en fonction de leurs usages dans un contexte situé, afin de construire une norme à et par l’activité. Ainsi, dans le but de faire progresser chaque élève, une évaluation positive vise à être suffisamment simple et lisible, à valoriser les progrès, à soutenir la motivation des élèves et à encourager leurs initiatives.
Pour reprendre l’affirmation d’un enseignant concerné : « Je vois bien un système similaire en maths ! », quels obstacles éventuels voyez-vous à cette perspective ?
Ces principes structurants d’une évaluation positive peuvent certainement être développés dans d’autres disciplines d’enseignement.
Propos recueillis par Jean-François Liaudois