Près de 3 millions de manifestants, 1 270 000 selon le gouvernement, à travers la France. Les syndicats ont démontré leur capacité à mobiliser les Français contre la réforme des retraites. Forte de cette victoire, l’intersyndicale appelle à deux nouvelles journées de mobilisation dès la semaine prochaine, mardi 7 et samedi 11 février. « Ce gouvernement doit entendre le rejet massif de ce projet et le retirer » a expliqué Patricia Drevon, secrétaire confédérale de Force ouvrière. Du côté des enseignants, ils étaient 50% à faire grève dans le premier degré, 55% dans le second selon le SNUipp-FSU et le SNES-FSU. Le ministère annonçait de son côté respectivement 26,65 et 25,22%. Un chiffre légèrement en recul mais qui montre une mobilisation qui s’installe.
A Marseille, c’est sous un soleil radieux que de très nombreux enseignants se sont joints au cortège. La cité phocéenne a vu défiler 205 000 manifestants – soit 60 000 de plus que le 19 janvier selon la CGT (40 000 et 26 000 selon la préfecture). Alia Marconi, professeure PLP en Eco Gestion en lycée professionnel, était du cortège. « La réforme de la retraite voulue par le président Macron ne prend pas en compte les années d’études. En imposant les 43 annuités, commencer avec un Bac +5 impliquerait de devoir travailler jusqu’à 67 ans. Notre métier nous demande de la patience, de l’énergie, comment peut-on imaginer une professeure des écoles à 67 ans avec une classe de CP, une professeure du second degré avec une classe de 35 élèves à 67 ans, une CPE devant gérer des centaines d’élèves à 67 ans ? Je dis UNE, car plus de 70% des personnels de l’éducation nationale sont des femmes, cette réforme va renforcer les inégalités de salaires préexistantes et donc de pension. Tout comme les congés parentaux, dont seulement 4 trimestres seraient comptabilisés pour la retraite or nous savons que ces congés sont quasi-exclusivement pris par des femmes, tout comme les temps partiels ». Interrogé sur les raisons de sa mobilisation, Philippe Senegas, professeur d’histoire géographie en lycée explique que « la question n’est pas de savoir pourquoi j’y suis mais plutôt comment je pourrais faire pour ne pas y être ! Je suis prof d’histoire et pour moi l’héritage du CNR c’est une ligne rouge à ne pas franchir. Le système de retraite par répartition est l’héritage que nous ont légué nos anciens, nous devons le défendre bec et ongles, pour nous mais aussi pour nos enfants ». « Il faut que le gouvernement comprenne qu’il ne peut avoir raison seul contre tous, contre le peuple. À moins de vouloir dissoudre le peuple comme disait B. Brecht » ajoute-t-il.
Grève reconductible ?
Dans la capitale, les manifestants étaient en nombre – 500 000 contre 400 000 le 19 janvier selon la CGT – 87 000 selon le ministère de l’intérieur. De nombreux enseignants et enseignantes du premier degré étaient en grève, 60% selon le SNUipp-FSU. 100 écoles ont fermé leur porte. Le Café pédagogique a assisté à l’assemblée générale intersyndicale du premier degré. CGT Éduc’Action, CNT, SE-UNSA, SNUDI-FO, SNUipp-FSU et SUD éducation ont co-animé la rencontre qui réunissait un peu moins de 150 de personnes. La question de la grève reconductible était au centre des interventions. Certains commencent dès jeudi, d’autres tempèrent. Christelle, professeure des écoles dans le 19ème se dit très inquiète mais déterminée, « nos conditions de travail sont déjà très difficiles, on ne veut pas que nos fins de carrières le soient davantage. Alors on fera grève le temps qu’il faudra, je suis prête à faire des sacrifices ». « Je suis en grève contre l’intensification du temps de travail sur une carrière » explique Marc enseignant en RASED à Paris. « Il faut moins travailler pour moins produire, moins consommer, moins polluer, mieux vivre. Cette réforme est un maillon du monde Macron et tout ce qu’ils représentent et ce qu’ils impliquent dans leur rapport au travail et à la vie. Cette réforme est une régression historique ».
À Rennes, mobilisation record là aussi. 35 000 manifestants ont battu le pavé (23 000 selon la préfecture). « J’ai aidé à bloquer mon lycée ce matin et je suis venue manifester toute la journée », nous raconte Lola, élève en Terminale. « Mes parents ont des petits salaires. Je trouve cette réforme très injuste ». « Je soutiens le mouvement. Il n’y a pas que le travail et l’argent dans la vie. Je me mobilise pour une politique plus humaine pour les gens » » complète Bastien, lycéen en première.
Un peu plus loin dans le cortège, Marc, professeur de français témoigne. « Après le 19 janvier, nous sommes bien plus nombreux dans les rues. J’enseigne depuis 24 ans en collège. J’ai encore de l’énergie mais quand je vois mes collègues les plus âgés, je ne pense pas que deux années supplémentaires seront possibles pour la majorité des profs. Les élèves d’aujourd’hui demandent beaucoup plus d’aisance et d’énergie ».
Pour les responsable syndicaux, cette journée de mobilisation est une grande réussite. « Cette journée marque encore une très grosse mobilisation » commente Benoît Teste, secrétaire général de la FSU. « 50% dans l’éducation alors qu’on avait démarré très haut le 19 janvier, pour nous ça veut dire que le mouvement s’ancre. Dans les secteurs moins mobilisés le 19 – enseignement sup, personnels territoriaux, c’est plus haut que le 19. Donc l’un dans l’autre on a vu plus de monde dans les manifs ». Même son de cloche à l’UNSA éducation. « On sait la difficulté à renouveler les journées de grèves pour les enseignants » constate Frédérique Marchand secrétaire général. « Les chiffres montrent que la mobilisation est importante, on le voit dans les manifestations. La colère ne retombe pas. Le gouvernement commet une grave erreur à vouloir continuer à avancer sur cette réforme alors même que l’opinion publique y est de plus en plus opposée. Dans le champ de l’éducation, ça ne passe pas. Ça se cumule avec des questions autour des attentes sur la rémunération, sur les conditions de travail. Il y a une forte exaspération, on a de vraies attentes ».
Les lycéens mobilisés
« Allonger la durée du travail nous concerne, c’est notre avenir. Nous sommes concernés et solidaires de l’ensemble des travailleurs » explique Manès Nadel, responsable fédéral de la Voix Lycéenne Paris, premier syndicat de lycéens. « 200 lycées bloqués aujourd’hui, et ce n’est qu’un début » avertit le jeune lycéen de 15 ans. « Le mouvement s’amplifie. Malgré la répression policière et institutionnelles (plusieurs lycéens se sont vus infligés des sanctions disciplinaires pour suspicion d’organisation de blocus en novembre dernier, notamment au lycée Ravel de Paris), on continuera. Si on avait un droit de grève, le droit de se mobiliser, on ne bloquerait pas les lycées. Aujourd’hui, c’est notre seul mode d’expression ».
Rendez-vous est donc pris dès la semaine prochaine. La première zone partira en vacances scolaires dès vendredi, les enseignants et enseignantes resteront-ils mobilisés ?
Lilia Ben Hamouda