Marie Beretti est docteure en sciences de l’éducation et de la formation et membre de l’unité de recherche Éducation, Cultures, Politiques. Ses travaux se centrent ses travaux sur l’étude de la relation d’autorité éducative et de la confiance interpersonnelle. Elle revient sur la notion d’autorité, sur ce qu’elle signifie et ce qu’elle implique.
On parle beaucoup d’autorité, qu’est-ce que cela signifie ?
Les textes officiels décrivent la norme en matière d’autorité, pour les élèves comme pour les enseignants. Pour ces derniers, l’exercice de l’autorité est une compétence professionnelle à maitriser, mais qui n’est ni précisément décrite, ni même explicitement nommée « autorité » : c’est la compétence à « assurer le bien-être, la sécurité et la sûreté des élèves, à prévenir et à gérer les violences scolaires » et à « organiser et assurer un mode de fonctionnement du groupe favorisant l’apprentissage et la socialisation des élèves » – compétence P4 – dans une « relation de confiance et de bienveillance ». C’est une autorité positive, directement corrélée aux apprentissages. La compétence d’autorité est donc sous-entendue, mais non explicitée, en termes de modalités d’action. Les textes décrivent plutôt de grands principes – permettre la mise au travail des élèves et garantir un ordre social sécurisant pour tous, mais pas la conduite à tenir : l’« autorité » d’un enseignant résultera de la compétences acquise.
Les textes applicables aux élèves, eux, définissent les attendus et objectifs à atteindre, à partir de valeurs : respect de soi, des autres et des règles, sans plus de précision en matière d’usage.
Pour l’institution, l’autorité est donc une norme professionnelle, une compétence à acquérir, et pour les élèves, c’est une norme sociale, visée par l’autorité de l’enseignant. L’autorité est donc à la fois objet d’une norme professionnelle et vecteur d’une norme sociale. Mais ces injonctions ne sont pas des prescriptions : ce sont des normes décontextualisées, qui seront soumises à interprétation lors de leur traduction en contexte.
Qu’est-ce qu’une bonne autorité ?
En tant que norme professionnelle, la « bonne » autorité est le respect des grands principes décrits dans les textes officiels. Mais en pratique dans les établissements, la bonne autorité se traduit pour le groupe de pairs – les collègues, par des signes extérieurs : utiliser peu de démonstrations d’autorité – l’enseignant ne crie pas, ne répète pas les consignes, sanctionne peu – et obtenir des comportements d’élèves calme et respectueux. L’autorité semble fonctionner de manière automatique, voire naturelle : il n’y a rien à voir, ou presque. La bonne autorité est donc une autorité efficace – évaluée à partir de ses effets sur le comportement des élèves, tout en étant bienveillante – sans générer de peur en eux.
Qu’est-ce qu’un bon comportement ?
Le « bon comportement », c’est l’intégration par l’élève de la norme sociale visée par l’autorité éducative : là encore, c’est le respect des grands principes édictés par l’institution, mais de manière contextualisée. Dès lors, le « bon comportement » est le résultat de « la bonne autorité ». En miroir de cette autorité idéale qui ne se voit pas, les élèves adoptent le comportement attendu -propice au travail et à la sécurité de chacun- spontanément, sans qu’on ait besoin de les y contraindre, ou de le leur demander explicitement. En clair, ce sont des rituels d’autorité qui semblent fonctionner d’eux-mêmes – mise en rang, entrée en classe, etc.- et une attitude des élèves conforme à la forme scolaire attendue : faible niveau sonore, peu d’agitation, mise au travail rapide et efficace, pas de prise de parole intempestive ou de déplacements inutiles. Là encore, le « bon comportement » est celui qui ne se fait pas remarquer, et qui semble s’ajuster automatiquement aux attendus.
Ces normes sont, en quelque sorte, interdépendantes. Pourquoi ?
Si les textes les décrivent séparément, cette distinction n’est plus possible dès lors qu’on est en contexte. La norme d’une « bonne autorité » est directement reliée au « bon comportement » des élèves : en contexte, il y a fusion entre les deux types de normes. Le comportement des élèves est autant un résultat, qu’un critère d’évaluation de la posture d’autorité de l’enseignant, en particulier dans le regard des pairs, mais aussi dans celui des évaluateurs – en inspection. Et les deux normes – norme de comportement et norme professionnelle – sont l’une et l’autre définies « en creux » : moins on les remarque, plus elles sont jugées efficaces et automatisées, puisque tout écart de comportement – ce qui se voit – entraine des démonstrations d’autorité – qui se voient, et signe donc un manque d’efficacité de l’une sur l’autre. Inversement, lorsque ça semble aller tout seul, sans effet visible – ni côté élèves, ni coté enseignant, c’est le signe que la relation d’autorité fonctionne automatiquement, sans heurt : en matière d’autorité, dès qu’on entre en contexte, il s’agit donc plutôt de normes relationnelles, car la norme professionnelle – coté enseignant et la norme sociale – coté élève – deviennent indissociables, et sont directement corrélées l’une à l’autre.
Concrètement dans la classe, comment « s’organise », s’exerce cette autorité ? Une forme de négociation permanente prof/élève ?
Si l’on analyse ces normes non plus au niveau de l’établissement mais de la classe, on s’aperçoit le groupe restreint – l’enseignant et ses élèves – construit et partage une nouvelle interprétation des normes institutionnelles : la traduction en pratique des grands principes édictés par l’institution donne donc lieu à des variabilités. Variabilités interindividuelles – l’interprétation des grands principes peut s’avérer différente d’un groupe-classe à l’autre – par un phénomène d’appropriation de ces normes institutionnelles, et variabilités intra individuelles – des variations à l’intérieur du même groupe-classe – par un phénomène d’ajustement de ces normes institutionnelles.
L’appropriation des normes s’explique par ce qu’en fonction des tolérances individuelles, et surtout des partis-pris pédagogiques, les enseignants peuvent avoir des attendus différents les uns des autres vis-à-vis du comportement de leurs élèves : pour tous, l’autorité dans la classe vise la mise au travail et la sécurité des élèves, mais il y a des différences dans ce qu’ils entendent par de « bonnes conditions de travail », donc dans la mise en œuvre de ces grands principes. C’est donc toujours l’établissement un ensemble de règles de vivre-ensemble, d’un cadre non négociable, explicité aux élèves, voire coconstruit avec eux. Mais ce cadre matérialise localement leur propre interprétation des grands principes en explicitant les attendus du côté des comportements des élèves, et de leur propre attitude – en matière de sanction par exemple, car le cadre interne à la classe repose aussi sur leur sentiment de compétence en matière d’autorité – ce que l’enseignant se sent capable d’exiger et de tenir. C’est donc un code commun construit et partagé au sein du groupe-classe, variable d’un enseignant à l’autre, mais pas forcément « négocié » avec les élèves.
Quant à l’ajustement qui crée des variabilités intra individuelles, il se fait le plus souvent en fonction du contexte : les exigences changent en fonction du lieu – classe, cour, bibliothèque, sortie scolaire, etc., des espaces dédiés dans la classe – coin regroupement, bureaux individuels, coin lecture, etc., des différents moments – début/fin de journée, de semaine, d’année…, de la discipline étudiée, des modalités de travail, etc. Mais dans ces cas, l’ajustement des normes, donc du cadre et des règles, est le fait de l’enseignant et s’applique à l’ensemble du groupe-classe. Là encore, il n’y a pas de « négociation » avec les élèves, au sens de marchandage.
Mais l’enquête révèle également des variabilités intra individuelles qui peuvent être le fruit d’un ajustement de la norme relationnelle – du faire-autorité comme des attendus vis-à-vis des élèves – aux élèves. C’est le cas de certains enseignants qui ajustent cette norme au profil d’une classe, ou même au profil d’un élève particulier – en fonction de ses difficultés, de sa personnalité, de sa situation familiale, etc. Dans ce cas, les exigences sont revues à la baisse, ou au contraire, plus élevées. Alors, la manière de l’enseignant de faire-autorité est aussi ajustée. Pour autant, ajustement ne signifie pas négociation : cette idée que les élèves aujourd’hui « négocieraient » le cadre avec les enseignants est biaisée, à mon sens. Il y a une différence entre coconstruire avec les élèves, s’adapter à eux, les prendre en considération, avec leurs particularités parfois, leurs besoins, et négocier avec eux, au sens de parlementer. Les enseignants ne marchandent pas, ils expliquent et argumentent sans doute, ils créent de l’échange et de la relation avec leurs élèves. La négociation prof/élève dont on parle aujourd’hui, relève plutôt de la discussion, de l’explicitation, d’une forme de relation d’autorité entendue conjointement, que d’un négoce ou d’une transaction. Il est important de ne pas s’y tromper.
L’autorité, si elle est bien une compétence professionnelle qui vise l’adaptation des élèves aux attendus, est aussi et surtout une relation, dans laquelle enseignant et élèves sont impliqués. En matière d’autorité éducative, les normes sont donc avant tout des normes relationnelles, que l’institution ne peut donc se risquer à décrire en détail : elle ne peut que se contenter d’établir de grands principes que chaque professionnel doit s’approprier localement et en situation, c’est aussi ce qu’on appelle la liberté pédagogique.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda