Je conteste la phrase suivante du Plan maternelle (note de service du 10-01-2023) : « Le rôle de l’école maternelle, par l’enrichissement méthodique, structuré et entretenu du champ lexical, puis par les premières associations graphèmes/phonèmes, est ainsi déterminant pour la réussite des élèves ».
Comment se fait-il que seule la question du vocabulaire soit liée à la réussite des élèves, alors que Boris Cyrulnik insiste pour évoquer la sécurité des enfants comme condition pour apprendre, alors qu’Agnès Florin a montré que les enseignantes ne parlent qu’aux enfants qui parlent, qu’elles procèdent essentiellement par des questions auxquelles seuls certains enfants peuvent répondre, qu’un tiers des enfants ne participent pas et sont laissés pour compte – les petits parleurs, alors que Michel Fayol voit dans la découverte du principe alphabétique une condition de l’apprentissage de la lecture, etc.
C’est en prenant en compte de tels travaux qu’a été rédigé le Programme 2014, dont la finalité était clairement la réduction de toutes les inégalités scolaires. Revisité en 2021, il reste grandement en vigueur.
Dans les faits, dans les écoles, ce sont les documents EDUSCOL mis en ligne et valorisés par les responsables de l’Education Nationale, qui sont mis en œuvre, alors même qu’ils sont souvent en totale contradiction avec le Programme. Les enseignants trouvent là une source d’humiliation intellectuelle : ils veulent réfléchir, on leur donne des listes, des fiches – ah, le méthodique et structuré ! on est loin des modalités d’acquisition des jeunes enfants) – et des contenus à appliquer.
Ainsi, alors qu’il est dit explicitement dans le Programme qu’il « n’y a pas de pré-lecture à l’école maternelle », on découvre dans ce Plan que les enfants de maternelle doivent manipuler les « premières associations graphèmes/phonèmes », comme si ça valait découverte du principe alphabétique. Quel désastre. On risque de voir naître les méthodes de lectures pour la maternelle alors qu’on sait depuis Célestin Freinet que c’est en essayant d’écrire et en faisant des découvertes sur les usages sociaux de l’écrit, que les enfants sont le mieux préparés à l’apprentissage de la lecture.
Je rappelle aussi que ce programme avait été validé par 80% des réponses à la consultation nationale sur le texte qui était soumis aux enseignants. Mais ça, c’était avant.
Mireille Brigaudiot, participante au groupe de rédaction du Programme 2014 pour le langage, auteur de Langage et école maternelle, nouvelle édition, Hatier 2022.