Dans un nouveau rapport, la Cour des Comptes dessine un système éducatif composé d’établissements secondaires autonomes, sous contrat avec l’Etat et la collectivité locale. Leur financement dépendrait des résultats des élèves. A leur tête, un vrai manager doté de pouvoirs d’évaluation, de paye et de recrutement sur les personnels de l’établissement, enseignants compris. Pour la Cour des Comptes c’est du radotage car elle demande cela depuis plus de 10 ans. Ce qui compte c’est le contexte. Le rapport appuie les projets d’Emmanuel Macron pour l’École et soutient expressément la démarche du CNR, du nouveau pacte et du CEE. Pour la Cour, il est clair que le moment est venu d’avancer dans la privatisation du système éducatif. Et pour Pap Ndiaye ?
Renforcer les pouvoirs des chefs d’établissement
On peut lire ce nouveau rapport de la Cour des Comptes à deux niveaux. Celui des enseignants et celui du système. Entre ces deux niveaux, l’articulation est faite par les chefs d’établissement qui sont au cœur de ce nouveau rapport intitulé « Mobiliser la communauté éducative autour du projet d’établissement« .
« Face aux résultats mitigés des élèves français dans le cadre des évaluations internationales, une amélioration de l’organisation scolaire s’avère indispensable. Pour cela, le ministère doit se doter d’une véritable stratégie reposant sur plusieurs piliers qui lui font encore défaut, au premier rang desquels devraient figurer un renforcement du rôle des chefs d’établissement et une refonte des modalités d’allocation des moyens en direction des EPLE« , estime la Cour.
Voyons ce que cela donne d’abord pour les enseignants. « Dans de nombreux EPLE, les chefs d’établissement rencontrent des difficultés à prendre leur place de pilote de la politique pédagogique« , écrit la Cour, leur légitimité étant contestée par les enseignants. Ils ont aussi « une marge de manœuvre très étroite en matière de gestion des ressources humaines » car pour les enseignants cela se limite aux postes à profil. « De manière globale, l’impact des chefs d’établissement sur l’évolution de la rémunération d’un enseignant, en reconnaissance d’un engagement professionnel de qualité, est très faible« , car limitée aux IMP et à quelques heures supplémentaires. La Cour constate qu’actuellement les chefs d’établissement disposent de peu de moyens pour la gestion de leur établissement. Ainsi sur 5 938 000 heures d’enseignement accordées aux établissements secondaires publics 5 884 000 sont déjà fléchées. L’enveloppe des IMP (des primes qui peuvent être distribuées par les chefs d’établissement) représente seulement 144 millions. La majorité des chefs d’établissement estiment disposer de 2 à 5% de la DHG seulement.
Décider localement de la rémunération des enseignants
C’est tout cela que la Cour souhaite voir évoluer rapidement. » Le chef d ‘établissement doit devenir « l’encadrant de proximité de son équipe« . La Cour demande, à la place du protocole PPCR qui évalue actuellement les enseignants, « un entretien professionnel annuel mené par le chef d’établissement, à l’instar des pratiques des autres services publics, en l’assortissant de la possibilité pour les deux parties de demander une intervention de l’inspecteur ».
A ce pouvoir d’évaluation s’ajouterait une marge de manœuvre accrue dans la rémunération des enseignants. » Pour que les chefs d’établissement disposent d’un véritable outil de pilotage, il conviendrait de les doter de moyens leur permettant de valoriser l’investissement des enseignants. Dans cette perspective, davantage de souplesse devrait être introduite dans les modalités d’attribution des IMP et des heures supplémentaires mises à leur disposition« , écrit la Cour.
Annualiser les obligations de service
C’est l’occasion d’inscrire l’autre réforme phare voulue par la Cour :l’annualisation des obligations de service des enseignants. « Le ministère gagnerait à mieux définir le temps de travail effectif des enseignants et à objectiver sa décomposition. Une définition globale annuelle des services des enseignants permettrait ainsi de prendre en compte non seulement les heures d’enseignement, mais aussi les missions annexes, et ainsi de valoriser l’investissement des professeurs les plus engagés pour accompagner leurs élèves« . L’annualisation permet aussi d’augmenter très nettement le temps de travail des enseignants sans rien débourser. Le certifié par exemple devra 648h de cours quoiqu’il arrive, qu’il y ait des convocations d’examen, des conseils de classe ou des jours fériés sur ses heures de cours. En passant à une définition annuelle du service on augmente ainsi de 10 à 20% le temps de travail devant élèves. Et on réduit d’autant le nombre de postes.
La Cour y tient tellement qu’elle s’étonne que le ministère n’ait pas appliqué une disposition de la loi Blanquer. « La loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance autorise, dans son article 38 modifiant l’article L. 314-2 du code de l’éducation, l’élargissement du champ des expérimentations pédagogiques à « la répartition des heures d’enseignement sur l’ensemble de l’année scolaire. […] » La Cour s’interroge sur les raisons ayant fait obstacle à se saisir de cette disposition pour aménager les emplois du temps des enseignants à temps partagé entre plusieurs EPLE et ainsi contribuer à une amélioration du collectif enseignant ».
Un pilotage par les résultats
Mais l’ambition de la Cour s’attache à une réforme d’ensemble du système éducatif. Ce qui passe par la place des établissements secondaires dans ce système.
La Cour constate d’abord que « la moitié des EPLE (établissements secondaires) sont sans projet d’établissement« . C’est ce qu’établit un sondage qu’elle a réalisé auprès de 2400 chefs d’établissement (sur 7000). « La démarche de projet stricto sensu, dont le socle demeure la réflexion pédagogique, a progressivement disparu ; sa mise en œuvre semble dépendante de l’appropriation de la démarche par les chefs d’établissement, qui l’appréhendent trop souvent avant tout comme une obligation réglementaire que comme une nécessité interne à l’établissement« . Ainsi dans TALIS 2018 (enquête de l’OCDE) la moitié des chefs d’établissement français considèrent que le projet d’établissement a un impact sur le climat dans l’établissement mais seulement un quart estime qu’il impacte les résultats des élèves. Or, pour la Cour, qui s’appuie sur l’OCDE, « ce sont les systèmes d’éducation accordant aux établissements une plus grande marge de manœuvre pédagogique, qui font état des meilleurs résultats« .
Ce que souhaite la Cour c’est faire des chefs d’établissement de vrais managers. Pour cela il faut alléger leurs taches administratives pour leur redonner des marges de pilotage. La solution de la Cour c’est de faire du projet d’établissement un « document pivot« . « Afin de gagner à la fois en termes de visibilité mais aussi d’appropriation par les équipes et de mobilisation autour d’un document, porteur de sens et fédérateur, la Cour encourage à faire du projet d’établissement le document matriciel de toute démarche de pilotage… Il est nécessaire que le projet d’établissement intègre la fixation d’objectifs et d’indicateurs de suivi pour garantir la qualité du pilotage pédagogique de l’établissement, et construire un processus d’amélioration continue. Le projet d’établissement peut alors servir de support à un dialogue de gestion mené entre l’établissement et les services académiques, en vue de s’assurer de l’adéquation des moyens avec les besoins de l’EPLE et, au besoin, de procéder aux ajustements nécessaires« .
Des établissements sous contrat
Il s’agit donc de construire de vrais projets, pilotés par de vrais chefs d’établissements vraiment autonomes, sous contrat avec l’Etat et les collectivités locales. Ces contrats tripartites s’appuieraient sur les résultats des élèves. » Une meilleure articulation entre une plus grande autonomie des établissements et un pilotage global du système éducatif par l’administration centrale suppose, d’une part, la mise en place d’un système d’information apte à produire des indicateurs susceptibles d’être utilisés tant au niveau national que dans l’établissement et dans les académies, et, d’autre part, que celui-ci s’appuie sur la mesure de ces indicateurs… C’est la raison pour laquelle l’exploitation des résultats des évaluations nationales des élèves devrait constituer le cœur du pilotage pédagogique des établissements… Pour y parvenir, une réflexion devrait être conduite de manière systématique au sein des académies sur l’articulation entre le projet d’évaluation de l’établissement et l’évaluation des élèves, et sur la manière dont les enseignants d’un établissement se sont emparés du projet d’évaluation« .
Dans ce système les chefs d’établissement verraient aux aussi leur statut changer. D’un coté ils auraient beaucoup plus d’autorité sur les enseignants et aussi, la Cour s’y intéresse de près, leur adjoint. De l’autre, ils seraient sous la coupe directe du recteur qui aurait autorité pour les déplacer et les nommer. Il serait aussi davantage soumis aux collectivités territoriales. » Afin d’introduire un véritable processus de complémentarité entre les différents acteurs au service de la réussite des élèves, les modalités de gestion, de dialogue et de pilotage (moyens, contrat) doivent évoluer, pour assurer davantage de proximité et de souplesse avec les départements et les régions dans le pilotage des établissements« .
Le modèle du privé
Il y a un modèle derrière cette vision. Ce sont les établissements privés, cités nommément comme une référence. « Au sein de l’enseignement privé sous contrat, les chefs d’établissement sont des cadres dirigeants, à qui sont attribués des moyens nécessaires à l’exercice de leurs responsabilités. À ce titre, ils disposent d’une capacité d’intervention en matière de ressources humaines plus importante que dans le secteur public. Non seulement ils ont la possibilité d’exercer un droit de veto sur les candidatures d’enseignants qui leur sont proposées, mais ils bénéficient également de moyens propres pour recruter du personnel avant tout affecté à la vie scolaire, en plus de celui mis à disposition par l’éducation nationale… Responsables du projet éducatif de leur établissement, mais aussi des projets pédagogiques, de leur cohérence et de leur mise en œuvre, les chefs d’établissement du secteur privé ont davantage la main sur la charge éducative, pédagogique, administrative et matérielle de leur établissement. En témoigne la liberté dont ils disposent pour choisir les outils pédagogiques, notamment numériques, déployés au sein de leur établissement« .
Des recommandations déjà portées par la Cour
A vrai dire il n’y a rien de neuf dans ce rapport. La Cour renouvelle des préconisations anciennes. L’annualisation des services et la bivalence sont déjà dans un rapport de 2013. Puis dans un autre de 2015. Encore en 2017. En 2018 un rapport sur l’évaluation de l’école y revient. Et en 2020 la Cour utilise un référé sur l’enseignement professionnel pour revenir aux mêmes idées pour tout le secondaire. Et en décembre 2021, elle règle leur compte aux enseignants.
La Cour n’est pas seule. En 2016 le rapport Longuet est allé très loin en ce domaine. G Languet avait recalculé le temps de travail des enseignants de façon à faire apparaitre que les certifiés devaient 311 heures annuelles (9h de plus par semaine) et les agrégés 527 heures (soit doubler leur service). En 2017 le sénateur LR Carle demande lui aussi l’annualisation. En 2019 le sénateur LR Max Brisson fait adopter au Sénat un amendement à la loi de transformation de la Fonction publique qui annualise les services d’enseignement. Le texte sera modifié par l’Assemblée. Il faut citer un autre texte qui est le fil conducteur principal du quinquennat : le rapport Cap 22 remis par L Bigorgne, P Aghion et J Pisani Ferry au premier ministre en 2017. On y retrouve l’annualisation, la bivalence, l’obligation de remplacer et la formation hors temps scolaire. L’objectif du rapport était de faire passer les dépenses publiques de 57 à 47% du PIB sur le quinquennat.
Un rapport pour pousser les réformes Macron
Nous sommes déjà sous Emmanuel Macron qui peaufine son projet pour l’Education nationale. Un projet qui, à travers le CNR, met en avant le projet d’établissement, porté par un chef d’établissement doté de moyens négociés avec l’académie, transformé en véritable manager de son équipe.
Ecoutons la réponse de Pap Ndiaye à la Cour. Il fait bien le lien entre le CNR, le nouveau pacte et ce que demande la Cour » Le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse a engagé la démarche « notre école, faisons-la ensemble » pour faire émerger, au niveau local, des initiatives de nature à améliorer la réussite et le bien-être des élèves, et à réduire les inégalités scolaires… Ainsi, sous le pilotage du directeur d’école, du principal ou du proviseur, chaque communauté éducative peut choisir de s’inscrire dans la démarche en bénéficiant d’un accompagnement dédié et personnalisé par une équipe d’appui locale. Après une première étape de concertation, les écoles et établissements qui le souhaitent peuvent élaborer ou adapter, de manière consensuelle, un projet pédagogique ayant vocation à nourrir leur projet d’école ou d’établissement. Ce projet, pluriannuel, fixe, sur tout ou partie des trois dimensions fondamentales (excellence, égalité, bien-être), les priorités de la communauté éducative et le plan d’action permettant de les réaliser… Dans le même temps, le ministère a engagé les travaux préparatoires à la mise en place d’un pacte pour transformer le fonctionnement des établissements et des écoles ainsi que le métier enseignant. Ce pacte a pour objectifs d’accroître la performance de l’école, par l’action d’enseignants plus engagés et reconnus, et de transformer les organisations et pratiques pédagogiques. Une déconcentration fonctionnelle est ainsi envisagée pour libérer les initiatives et développer la créativité comme les projets, pour ancrer durablement la démarche du CNR, en accentuant les marges de manœuvre des écoles et établissements, en renforçant la place des directeurs d’école et chefs d’établissement, en instaurant une nouvelle culture professionnelle pour une communauté éducative plus engagée« .
Le ministre annonce de nouveaux outils de pilotage du système. « Une circulaire aidera prochainement à mettre en cohérence le projet d’établissement et le contrat d’objectifs afin de simplifier et rationaliser les démarches relatives au pilotage des établissements publics locaux d’enseignement (EPLE). L’objectif poursuivi est de clarifier le contenu des deux documents« . Même évolution sur le statut des personnels de direction. » Des pistes de réflexion sont engagées sur la possible déconcentration d’une partie du mouvement des personnels de direction. Le dispositif consisterait à déconcentrer au niveau académique la mobilité sur les fonctions d’adjoint au chef d’établissement pour permettre une gestion ministérielle plus centrée sur les postes de chef d’établissement ». Et aussi en ce qui concerne les enseignants. » Le développement des postes à profil est une priorité ministérielle inscrite dans les LDGM, évoquées ci-dessus. Une nouvelle procédure d’affectation sur postes à profil au niveau national, « mouvement POP », a été expérimentée au titre du mouvement 2022« .
C’est donc le moment qui fait l’importance de ce rapport. Il invite le gouvernement à oser aller plus loin. Il s’agit aussi de pousser Pap Ndiaye jugé peut-être trop timide en ce domaine.
François Jarraud