Hier encore, à l’appel des associations d’enseignants et des syndicats, les professeurs se mobilisaient devant le ministère pour redire leur difficulté à tenir la cadence imposée par le calendrier choisi pour les épreuves de spécialités.
Depuis la réforme du baccalauréat en 2019, les résultats reposent à 40 % sur du contrôle continu et à 60 % sur des épreuves terminales : le français écrit et oral en classe de première, et la philosophie, les spécialités ainsi que le grand oral en terminale.
Comme c’est le cas pour la philosophie et le grand oral, on pourrait imaginer les épreuves de spécialités en fin d’année scolaire mais, le souhait du ministère étant que ces résultats puissent être rentrés sur Parcoursup, les épreuves se dérouleront entre le 20 et le 22 mars.
Malgré un programme qui se veut « resserré » en termes de contenus, le boucler reste extrêmement sportif et, si par miracle, on y arrive c’est parfois au détriment du reste …
Avant l’épreuve, chaque heure est comptée !!
Pour avoir deux classes de terminale STI2D qui passent la spécialité Maths et physique Chimie (épreuve commune), je peux dire que je connais très bien, pour la vivre quotidiennement, cette pression du programme ambitieux à achever mi-mars.
Il n’est pas question de prendre du retard alors « quoiqu’il en coûte » on avance et on tient le rythme parce qu’il faut à tout prix finir les chapitres qui potentiellement peuvent tomber à l’examen. Dans ces conditions, on priorise les tâches, ce qui devrait être essentiel devient accessoire.
Nos pratiques en classe s’en trouvent très sensiblement modifiées
Comme il faut épurer un maximum pour atteindre l’objectif alors nous rabotons là où c’est possible.
La démarche inductive basée sur un temps de tâtonnement laisse la place à une approche plus directive. Le temps de réflexion autour des pré-acquis des élèves, des représentations, se trouve considérablement réduit. Une approche personnalisée avec des parcours différenciées en fonction du niveau de difficultés des élèves devient plus difficile à mettre en place car très chronophage. Les débats sur les enjeux de société en lien avec notre discipline qui permettraient aux élèves de donner du sens et de mesurer leur niveau de maitrise de leur argumentaire sont passablement rognés. Et que dire de l’histoire des sciences, du travail sur une meilleure connaissance de la voie scientifique et ses métiers, de ma formation continue, … Ils ne trouvent tout simplement plus leur place à mon plus grand regret.
Quelles conséquences ?
Cette allure si soutenue nous oblige à des petits renoncements dont on mesure pourtant bien les conséquences mais a-t-on vraiment le choix ?
Pour échanger très régulièrement avec des collègues qui ont des classes de Terminale, en voie générale ou technologique, je me rends compte que le sentiment de survoler les notions est assez largement partagé.
Cette échéance du 20 mars pénalise les élèves les plus fragiles. Ceux qui sont déjà à bout de souffle et qui ont besoin d’un peu plus de temps pour comprendre, apprendre et surtout réellement intégrer les savoirs.
Alors pourquoi ne pas décaler l’épreuve et abandonner l’idée de faire remonter ces notes dans Parcoursup en sachant que les semaines qui suivent l’épreuve ne sont guère plus simples à gérer !
En effet, après le 20 mars, nous avons un programme à terminer avec les chapitres qui n’étaient pas exigibles pour l’épreuve écrite et à préparer le grand oral à peine « effleuré » jusque-là !
Mais les élèves ont le sentiment d’avoir tout donné et ne voient pas trop l’intérêt de continuer à travailler surtout quand ils ne poursuivent pas vers une voie scientifique. Ils ont saisi leurs vœux sur Parcoursup, les notes des deux premiers trimestres sont remontées et ils ont passé leurs deux épreuves à plus gros coefficient alors pourquoi continuer à travailler et même à venir ?
Après l’épreuve de spécialité, l’an dernier, j’ai pu constater une baisse de la motivation accompagnée d’une augmentation significative de l’absentéisme. Cette année, je crains un peu que les mois d’avril et de mai, ponctués par les vacances et les jours fériés, ne s’annoncent compliqués en termes de mobilisation des élèves.
Et si on faisait évoluer le règlement de cette course ?
Courir est un excellent moyen de se vider la tête pas de la remplir alors si on prenait le temps de réfléchir de nouveau à l’intérêt de faire apparaitre les notes des deux spécialités sur Parcoursup ?
Sur Parcoursup, les trois bulletins scolaires de première et les deux premiers de terminale sont à disposition des établissements du supérieur. Pour « le recruteur » ou plutôt devrais-je dire pour l’algorithme, connaître le choix des spécialités, les notes et les appréciations des professeurs semble déjà constituer des données importantes et peut-être suffisantes ?
Pour conclure, repousser la date de l’épreuve, ce serait pour les enseignants, pouvoir gagner en sérénité, avoir le sentiment de véritablement préparer au mieux TOUS les élèves à cet examen. Pour les élèves, travailler dans de bonnes conditions et bâtir des bases solides indispensables à la suite de leurs parcours de formation.
Alors, n’oublions pas au bord du chemin ceux qui « se hâtent avec lenteur » et gageons qu’avec un peu plus de temps, ils franchiront la ligne d’arrivée en vainqueurs.
Aurélie BADARD (Professeure Physique Chimie lycée Lurçat Martigues)