Quelles sont les obstacles de la diffusion de la science ? Comment aider les élèves à distinguer un savoir d’une opinion et d’une croyance ? Bruno Boucher, professeur de SVT au lycée Camille Claudel de Vauréal (95) a créé un jeu sur ce sujet. L’idée est de « favoriser l’engagement des élèves par une activité ludique, les amener peut-être individuellement percevoir leur crédulité ou leur difficulté à faire le tri ». Le quiz de Bruno Boucher s’appuie sur les conférences et les ouvrages du chercheur Guillaume Lecointre. Utilisable en enseignement scientifique, le jeu gagne à s’appuyer sur « un fait d’actualité en lien avec le programme dans lequel on a observé de la désinformation ».
Quels sont les objectifs de ce jeu intitulé « c’est bien fait ! » ?
Le premier objectif est de poser quelques jalons sur la nature et le fonctionnement de la science. Depuis de nombreuses années je m’intéresse aux obstacles à la diffusion de la science. Vous retrouverez sur le site SVT Versailles des articles sur l’enseignement de l’évolution qui ont maintenant plus de dix ans. Le phénomène de remise en cause du savoir scientifique a pris de l’ampleur à la faveur de l’épidémie de COVID et semble promis à un bel avenir avec le réchauffement climatique, si on en vient à des mesures plus contraignantes. Trouvant cela assez préoccupant, j’ai naturellement fait le choix de donner cette coloration à mon année de Terminale d’enseignement scientifique en partant par exemple pour mes séances d’arguments climato-sceptiques et en amenant les choses sur un mode « Comment on sait que… » .
Les années précédentes je présentais cette démarche à la toute première séance de manière assez magistrale en soulignant l’idée que la culture scientifique devait faire partie de la culture générale d’un citoyen, sans être réservée à des experts, et que littéralement il y a des personnes à qui le manque de culture scientifique coûte la vie.
Puis au contact d’excellents collègues du GEP SVT de Versailles comme Mélanie Fenaert et aussi à la lecture du groupe Facebook Pédagogies en sciences, j’ai eu l’idée et l’envie d’en faire une petite activité assez simple, sous forme de jeu.
Cela permettait d’atteindre plusieurs objectifs secondaires : favoriser l‘engagement des élèves par une activité ludique, les amener aussi à peut-être individuellement percevoir leur crédulité ou leur difficulté à faire le tri.
Pouvez-vous nous rappeler les différences entre sciences, opinion et croyance ?
Pour cette question je ne peux que renvoyer à la lecture de l’ouvrage de Guillaume Lecointre « Savoirs, opinions, croyances ». On retrouvera aussi facilement des enregistrements de conférences qu’il a données sur ce thème, et on ne le remerciera jamais assez de son travail de vulgarisation sur l’épistémologie des sciences, en particulier à destination des enseignants.
Pour résumer très grossièrement, si j’ai moi-même bien compris, les savoirs sont justifiés rationnellement, en se fondant sur la logique et des preuves. Ils sont validés collectivement et sont ouverts à la réfutation. Il faut souligner que j’ai pris une liberté discutable en appelant Fait ce que Guillaume Lecointre appelle Savoirs.
Les croyances vont être légitimées par la confiance, une autorité. Elles s’assument individuellement, collectivement si elles sont religieuses, et ne se préoccupent pas de réfutation.
L’opinion est individuelle et se construit sur des sources diverses, intégrant savoirs et croyances.
Pour ma part, mon seul objectif était de donner aux élèves des éléments pour distinguer ce qui est un savoir et ce qui ne l’est pas. Ce sont surtout les critères pour reconnaître un savoir sur lesquels j’ai insisté.
Comment s’organise le jeu ?
Le jeu est finalement un modeste quiz. Il y a des cartes avec des propositions. Les joueurs doivent décider s’il s’agit d’un Fait ou non. Le joueur le plus rapide gagne un point et peut en gagner un autre s’il peut expliquer sa réponse.
Afin d’impliquer au maximum les élèves, j’ai demandé de jouer par petits groupes de 3 ou 4, ce qui a demandé une certaine logistique pour imprimer, plastifier et découper une douzaine de jeux complets. Le temps est limité à une quinzaine de minutes.
Quelles sont les plus-values du jeu ?
Comme je l’avais espéré, il y a eu une bonne implication des élèves, peut-être d’autant plus qu’ils ne s’attendaient pas à ça pour une première heure d’enseignement scientifique. En circulant dans les rangs, je les ai entendus qui discutaient, qui parfois n’étaient pas d’accord, ce qui était déjà positif.
Cela a permis par ailleurs une prise de contact assez sympathique avec les classes dans lesquelles on peut ressentir un a priori négatif sur ce qui est estampillé cours de Sciences. Je n’ai pas contre pas fait un test la semaine suivante pour voir ce qu’il en restait mais j’y pense pour l’an prochain, la difficulté étant que la justification dépend aussi de la culture qu’a l’élève.
Des aspects moins aboutis ?
Un point à retravailler pour l’avenir serait le choix des propositions, en particulier pour les cartes opinions/croyances qui sont assez caricaturales.
A posteriori, il m’est apparu que pour ce qui était pour moi des opinions, j’avais eu tendance à faire des propositions qui intégraient une part de subjectivité, avec un reflet de valeurs, ce qui rejoint le côté individuel mais n’est pas exactement la définition donnée.
Pour les croyances, il faudrait être plus précis et factuel dans les arguments des réponses proposés pour identifier la proposition en tant que croyance, pour ne pas finalement retomber sur un argument d’autorité.
Propos recueillis par Julien Cabioch
De l’histoire naturelle aux SVT
Conférence :
« Savoirs – Croyances – Croyances religieuses – Opinions »
Guillaume Lecointre / Muséum National d’Histoire Naturelle