Le ministère va t-il officiellement interdire l’utilisation en classe de Microsoft Office, Googledrive, Dropbox, Skype, Zoom, Wetransfer, Whatsapp, Snapchat, Discord etc. ? Des responsables académiques ont déjà pris sur eux de bloquer les accès Internet des établissements à ces services. Et le bruit circule d’une interdiction générale dans les jours à venir. Si l’Etat doit bien veiller au respect des réglementations nationales et européennes et si la souveraineté numérique est un vrai enjeu, la mesure semble irréaliste au regard de l’histoire récente des bugs du numérique éducatif national. Elle est aussi peu respectueuse des usages des enseignants. Elle pose également problème pour la formation des élèves des séries technologiques et professionnelles.
Un message aux établissements
Le Directeur des systèmes d’information (DSI) de l’académie d’Orléans-Tours a envoyé le 9 novembre 2022 un courrier à tous les chefs d’établissements pour leur annoncer qu’à partir du 1er janvier 2023 les accès à une longue liste de services et logiciels en ligne seraient bloqués. Sont concernés » les stockages en ligne hors E.U dont les plus connus OneDrive, Dropbox, Googledrive, iCloud, (remplacé par Nextcloud); les suites bureautique en ligne comme Office365, Google (Docs, Sheets, Slides et Forms) et autres dont l’hébergement des données est hors E.U.; les outils de visioconférence comme Google Meet et Hangouts, Skype, Zoom, (remplacé par BBB); les outils de transfert de fichiers comme Wetransfert, Smash, GrosFichiers, Free Transfert, Dropbox transfert, (remplacé par Filesender et France Transfert); les messageries instantanées comme SnapChat, Whatsapp, Discord, Messenger, (remplacé par Tchap), le service de sondage Doodle, (remplacé par Evento) ». Tous services qu’il souhaite bloquer en application d’une circulaire du Premier ministre sur l’utilisation des services dans le cloud.
François Granger (que nous avons contacté en vain) renvoie les établissements vers les applications « maison » développées par l’éducation nationale. Des applications dont les enseignants ont constaté les limites lors des derniers confinements…
Une brève enquête montre que l’académie d’Orléans Tours n’est pas la seule à changer de pratique et à bloquer. Des blocages existent également dans l’académie de Grenoble. Des tentatives ont eu lieu mais ont échoué dans une troisième académie. Et aucun blocage vers ces services n’a lieu dans la plupart des académies. Les enseignants ont donc accès à des services numériques différents selon les lieux. Face à cette cacophonie, le ministère pourrait s’engager vers une uniformisation très rapidement. Et confirmer la circulaire interministérielle.
L’éducation hésitante face aux GAFAM
En 2017, lors de la transition entre N Vallaud Belkacem et JM Blanquer, Matthieu Jeandron, directeur du numérique pour l’éducation (DNE) avait incité les établissements à aller vers les Gafam. Une orientation que le Café pédagogique avait dénoncé en exclusivité (dans cet article). On se souvient aussi de l’accord signé le 30 novembre 2015 entre Microsoft France et l’Éducation nationale, respectivement représentés par Alain Crozier et Najat Vallaud-Belkacem. La levée de bouclier contre ces accords et ces politiques a donc pris presque sept années pour que les choses semblent changer.
Entre temps, ce sont ces services qui ont permis « la continuité éducative » durant les confinements. Pour garder le contact avec leurs élèves, les enseignants ont utilisé les services qui fonctionnaient quand les services ministériels étaient en panne. Il ont aussi fat appel aux services que les élèves savaient utiliser. La crise du covid a donc renforcé la place des GAFAM dans l’enseignement.
Une décision qui pose problème
Certains enseignants constatent ces nouveaux blocages et les apprécient. D’autres attendent un texte de loi circonstancié et non la relation avec une circulaire interministérielle. Mais ce courrier risque de mettre des enseignants et des établissements en émoi voir en ébullition. Alors que les pratiques sociales utilisent tous ces services, l’Education Nationale va tenter d’ouvrir une autre piste centrée sur les logiciels open-source et la protection des données. Comment un enseignant va-t-il pouvoir comprendre cette injonction ? Déjà les enseignants des filières professionnelles se demandent comment ils pourront continuer de travailler avec des logiciels et des matériels qui ne sont pas courants dans les entreprises. Les enseignants sont aussi des usagers de ces produits « mondiaux » et constatent trop souvent la médiocre ergonomie de produits dits libres et aussi leur complexité. Comment les entreprises concernées vont-elles réagir ? Comment l’ensemble des entreprises va comprendre ce choix de l’Éducation nationale ?
Dans la classe, il va falloir beaucoup de courage pour faire face à certains élèves qui contesteront ce choix. Dans les salles des professeurs, il va falloir mettre en place un travail d’explication, de formation et d’appropriation des outils de « remplacement ». Quant aux parents, il se demanderont quelle mouche a donc piqué le ministère ?
Des collectivités territoriales réagissent elles aussi déjà à cette règle. Ce sont elles qui sont compétentes pour les infrastructures (articles L213-2 et L214-6 du code de l’éducation) et qui les financent. L’Etat vient donc une nouvelle fois empiéter sur leurs prérogatives sans leur demander leur avis.
Bref, ces choix, qui pour l’instant relèvent d’une décision prise « d’en haut » et semble-t-il sans concertation avec les acteurs concernés, en contradiction avec les recommandations des États généraux d’octobre 2020. Ils risquent de mettre le feu aux poudres dans les académies et dans les collectivités territoriales.
Bruno Devauchelle et François Jarraud