Au collège Paul Éluard de Garges-lès-Gonesse (95), trois membres de l’équipe éducative ont fait de l’égalité filles-garçons leur étendard. Dans ce collège de 620 élèves, labellisé REP+, Goundo Diawara – CPE, Marion Jasseron – professeure d’histoire/géographie/EMC, et Eugénie Momeux – professeure de lettres Modernes, n’hésitent pas à bouleverser les représentations de leurs élèves et les invitent à parler émancipation et égalité lors d’un atelier.
Agir auprès des élèves
Alors qu’Emmanuel Macron a déclaré l’Égalité entre les femmes et les hommes « grande cause nationale » du quinquennat, le collège Paul Éluard, lui, abrite déjà depuis 6 ans un club « De Simone à Beyoncé », qui permet aux élèves de débattre et discuter sur tous les sujets liés aux violences sexistes et sexuelles.
Goundo Diawara nous confie « On voulait un nom qui percute, avec des icônes qui parlent aux élèves. Cela nous a permis de leur présenter les deux Simone, mais aussi pour ce qu’elles représentent pour les élèves. Ce club est aussi né en lien avec nos sensibilités et leurs engagements personnels. Et ce n’est pas parce que l’on est à Garges que l’on a besoin de ça. C’est d’une importance universelle ». Pour Eugénie Momeux, l’enjeu d’un tel projet était important :« je sentais que lorsqu’il y avait des sujets comme ça, il y avait matière à déconstruire. Le recrutement se passait comme ça : tiens, toi ! Ce serait intéressant que tu redises ce que tu viens de dire vendredi soir à 18H00 ! ». « Au tout début ce n’était pas de la production, mais plus des échanges, de la déconstruction, du débat » ajoute Marion Jasseron.
Échanger, déconstruire, questionner, débattre
Tous les vendredis à 18h00, des élèves de la 6° à la 3° se retrouvent avec leurs professeurs et C.P.E. Affiches, bouche à oreille, passage dans les classes… le nombre d’élèves participant au club ne cesse d’augmenter. Les enseignantes sont surprises par la motivation et le succès du projet. Un des objectifs est d’offrir un espace de parole bienveillant pour les élèves.
« Les premières réunions, ce n’était pas de la production, mais plutôt échanges et questionnements. Le but aussi est de muscler et affûter le regard des élèves sur les violences sexistes et sexuelles. » précise Goundo Diawara.
Pour Eugénie Momeux, il est important de mettre rendre les élèves acteurs du projet : « On partait au maximum de leurs questions, de leurs envies, de ce qui passait dans l’actualité, en cours, de leur vie, une réflexion qui n’avait pas plu à un élève ».
Autre objectif, faire connaitre des femmes de l’histoire, revoir l’histoire à travers le prisme des figures féministes qui l’ont marqué. « Pour les aider à déconstruire leurs représentations, on a regardé des pubs, pour muscler leur regard, et adopter un regard différent par rapport à ce qu’elles et ils voyaient » explique Goundo Diawara.
Plusieurs projets finaux ont été réalisés : collages pour la journée du 8 Mars, banderoles, mini-manifestations, sensibilisations dans les classes. Actions portées par les élèves eux-mêmes.
Parler pour se soigner
Pour certaines élèves, cet espace est devenu un espace thérapeutique et de libération de la parole.
La condition évidente pour le fonctionnement du club est que la parole soit accueillie de manière ouverte, libre et bienveillante. Parler de sa colère, la comprendre et surtout : la rendre légitime. « Je repense à une jeune fille qui a vécu des choses terribles et difficiles. Elle a produit un texte extraordinaire – Femme croit en toi ! – qui parlait de sa situation et des violences conjugales. Elle l’a placardé partout au collège », explique Goundo Diawara. « Les élèves viennent de la 6e à la 3e, avec leurs questionnements, leurs histoires personnelles, et parfois même des témoignages glaçants » ajoute Marion Jasseron.
Avortement, règles, questions LGBT, tout y passe. « Un gamin, sans dire qu’il était homosexuel, provoquait des rires et des moqueries. Lorsqu’on lui disait que son short était trop court, et il le remontait encore plus ». Pour ces élèves, c’est un espace primordial.
Le club est devenu aussi un support pour les épreuves du brevet. Les élèves passaient leur oral sur des productions – podcast, vidéo sur les féminicides, interviews- traitées au club.
En tant que femmes, c’est important pour les deux enseignantes et la CPE que les élèves puissent entendre « ce que tu as vécu là ce n’est pas normal ». « Malheureusement, on vit les mêmes choses en tant que femmes adultes lorsqu’on apparaît dans l’espace public, même si ce n’est pas les même échelles » insiste Goundo Diawara.
Un des grands moments du club a été marqué par la venue de la réalisatrice afro-féministe Amandine Gay. Les élèves ont pu découvrir avec admiration son documentaire « Ouvrir la voix » qui donne la parole aux femmes noires de France. « J’en suis sortie tout aussi émue et retournée que les élèves » confie avec émotion Goundo Diawara. L’actrice et dramaturge Noémie Delattre est venue aussi parler clitoris, orgasme et féminisme. « Les élèves ont adoré sa pièce de théâtre ! On avait eu chaud parce qu’elle utilisait des mots crus ! Mais ils ont retenu beaucoup de choses et c’est l’essentiel. Je sais que le mot ‘clitoris’ a été une découverte pour certaines ! » révèle Eugénie Momeux.
Sensibiliser les garçons ?
« Quelques garçons venaient par curiosité, voire par provocation » raconte Goundo Diawara. « Même s’il y avait plus de filles que de garçons, on a quand même eu une cohorte de garçons qui sont venus pendant 4 ans » insiste la CPE. « Ils ont beaucoup appris malgré tout. Ils venaient, écoutaient, ne prenaient pas forcément la parole mais étaient assidus ».
Gabrielle Bonhomme