Bernard Ycart, professeur à l’Université de Grenoble s’intéresse à l’histoire des mathématiques notamment dans le cadre de la formation des enseignants. Dans un article de la revue MathémaTICE, il expose de façon détaillée des notions historiques relatives à la logique, et présente leurs usages possibles dans l’enseignement des mathématiques en lycée. Un voyage conceptuel, où l’on côtoie Lewis Caroll, Socrate, Aristote…entre autres. Il a accepté de répondre aux questions du Café pédagogique.
Cet article évoque l’histoire de la logique. Est-ce en lien avec votre énorme travail sur l’histoire des mathématiques ?
Cet article utilise quelques récits du chapitre Logique de hist-math. Pour autant, il ne reprend pas l’histoire de la discipline, ce qui serait redondant. L’objectif est d’extraire la manière dont la logique a été enseignée au fil des siècles, des informations utiles pour l’enseignement actuel. Il me paraît essentiel que les conclusions de l’article s’appuient au moins en partie sur des expériences effectivement réalisées en classe, d’où la présence du mémoire d’Alice Ernoult, qui relate une expérimentation réalisée à deux niveaux différents, à l’aide de textes de Lewis Carroll.
En 2020 vous affirmiez : « Je crois sincèrement que l’enseignement est un échange humain avant d’être une transmission de connaissances« . Quelles incidences sur l’acte pédagogique pensez-vous que cette affirmation peut avoir ?
Je continue à le croire. Un des problèmes de l’enseignement des mathématiques est d’apparaître à une majorité d’élèves comme un jeu abstrait coupé de toute réalité. Pour enseigner quoi que ce soit, pas seulement des mathématiques, il faut avant tout parler aux destinataires dans leur propre langage, avant de chercher à leur en imposer un autre. Il faut enraciner le discours dans leur vécu, leur expérience ; en premier lieu pour les rassurer sur leur capacité à comprendre ce qui est attendu d’eux, ensuite pour qu’ils puissent commencer à construire leurs propres images mentales.
« Donner vie à l’abstraction », est-ce le défi le plus fréquent dans l’enseignement des mathématiques ?
Sinon le plus fréquent, au moins le premier. Ce que j’entends par là, est lié au point précédent. Je ne crois pas à un enseignement abstrait, déconnecté de toute réalité. L’exemple de la logique en est une illustration flagrante, depuis les nombreux siècles passés à assimiler l’Organon d’Aristote, jusqu’à la catastrophe provoquée par les maths modernes dans les années 70. Donner vie aux mathématiques au travers de leur histoire a été mon objectif principal dans l’élaboration de hist-math. Je suis particulièrement touché par les témoignages de ceux et celles qui écoutent ou lisent des récits d’histoire alors qu’ils ou elles se disaient mathophobes auparavant.
Détaché de la réalité quotidienne du terrain, quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’enseignement des mathématiques ?
Les témoignages des collègues avec lesquels je reste en contact, que ce soit en primaire ou au lycée, m’inquiètent. Ils ont subi de plein fouet la crise du covid, l’aggravation de la pression administrative. Le découragement en a gagné beaucoup. Les difficultés récentes à recruter des candidats de qualité, que ce soient des professeurs des écoles ou des capésiens de mathématiques illustrent le manque d’attractivité de la profession. J’admire ceux et celles qui continuent malgré tout à innover, et à se battre pour offrir à leur élèves un enseignement de qualité.
Prévoyez-vous d’écrire un autre article ?
Je continuerai à suivre la ligne éditoriale impulsée par Gérard Kuntz (ndlr : rédacteur en chef de la revue en ligne MathémaTICE). J’ignore quels sont les thèmes qui seront ceux de MathémaTICE pour l’an prochain, et je ferai de mon mieux pour participer. La logique était un des thèmes de cette année. Surtout, je continuerai à aider les collègues qui souhaitent expérimenter hist-math dans leur classe. Par exemple je sais qu’une expérience est en cours de réalisation au niveau lycée, autour de l’immense savant qu’a été al-Haytham : une grande partie des programmes de la seconde à la terminale peut lui être rattachée. Il me paraît essentiel de rappeler, encore et encore, que la science mondiale s’est écrit en arabe pendant sept siècles.
Propos recueillis par Jean-François Liaudois