Présidente d’ATD Quart Monde, Marie Aleth Grard brosse un portrait sans concession de l’école d’aujourd’hui. Une école qui a du mal à accompagner les élèves nés dans les milieux défavorisés. Une école où il existe peu de mixité sociale. Une école à deux vitesses. Elle y voit une « atteinte à la démocratie ». Selon la militante, l’école a besoin que le Ministre, et plus généralement l’institution, ait la conviction profonde que tous les enfants peuvent réussir. Une conviction qu’il doit afficher et transmettre aux enseignants et enseignantes.
Quel constat faites-vous de l’état de l’école aujourd’hui ?
Au regard des enfants de familles très défavorisées, l’école ne joue pas son rôle. Elle ne leur permet pas de développer leur intelligence comme ils devraient pouvoir le faire en son sein. Ce constat est grave. Notre école devient une école à deux vitesses. Une école pour les enfants qui réussissent bien. Une école pour ceux qui réussissent moins bien, ceux pour qui on développe des filières spécialisées, ceux pour qui on programme des voies qu’ils doivent emprunter et in fine, des voies professionnelles vers lesquelles ils se dirigeront.
Pour moi, c’est une atteinte à la démocratie. Dès le plus jeune âge, on ne permet pas aux enfants de penser ensemble, de développer leur esprit critique ensemble, de jouer ensemble. Des moments qui sont essentiels pour oser évoluer ensemble à l’âge adulte. C’est ce qui permet de faire des choses ensemble même si nos métiers sont extrêmement différents. Cela permet de se reconnaître et de se faire confiance quelle que soit notre place dans la société. C’est un enjeu de société, du vivre ensemble. Surtout dans une société telle que la nôtre. Une société qui se fracture de plus en plus et qui à l’école fracture les enfants dès le plus jeune âge. Et puis, on sent bien qu’une partie de la société craint de mettre ses enfants avec des enfants qui viennent de milieux défavorisés.
Qu’est ce qui explique cette peur ?
Croire que quand il y a un enfant très en difficulté en classe ralentira tout le monde est très ancré dans notre société. Nous, à ATD quart Monde, sommes persuadés que la pédagogie qui part de l’enfant qui a le plus de mal dans la classe fait réussir tous les enfants, sans pénaliser ceux qui sont le plus à l’aise. Ce constat, la recherche le fait depuis de nombreuses années. Il faut donc arrêter de penser qu’avoir des élèves en difficulté dans une classe nivèle le niveau par le bas.
Qu’est-ce qui explique cette faillite d’une école où « aucun enfant n’échouerait » ?
Plusieurs éléments. Le manque de confiance dans les enseignants et enseignants de la hiérarchie en est. Les parents doivent faire confiance aux professeurs mais ce ne sont pas les seuls. Il n’y a pas de bons ou mauvais établissements, de bons ou mauvais professeurs. Dans tous les établissements, les enseignants ont une pédagogie solide, bien ancrée. Dans certaines écoles, certains collèges et lycées, ce n’est pas assez mis en avant. On ne voit que la violence qui peut s’y exercer.
Il faut que le Ministre et toute la hiérarchie, si importante dans l’éducation nationale, fassent confiance aux professeurs et s’appuient eux. Ils et elles ont des choses dire, des choses à faire remonter. Ils sont lessivés, rincés par les années Covid entre autres. Ils ont besoin d’être entendus et écoutés. Je me permets de le dire car j’en rencontre chaque semaine, et ce qui ressort le plus de nos échanges.
Notre École a aussi besoin d’avoir un Ministre, une institution, qui a des convictions profondes et qui le montre aux enseignants. La conviction profonde que cette école de la réussite de tous est possible. Et pour le montrer, il faut qu’il y ait des moyens conséquents qui soient alloués à l’École. Pour la formation des enseignants, par exemple. Une formation qui aujourd’hui est insuffisante en formation initiale et quasi impossible tout au long de la carrière. C’est invraisemblable ! Quel métier ne nécessite pas de se former au quotidien ?
Qu’attendez-vous du Ministre, et plus largement des politiques en termes de mixité sociale ?
Depuis des années, nous avons des expérimentations qui montrent que la mixité sociale, ça marche. Pas à n’importe quelles conditions. Il faut une pédagogie de projet forte et qui donne envie. Les parents qui ne sont pas en difficulté sociale et financière iraient volontiers vers des établissements dont le projet pédagogique est affiché même lorsqu’il y a de la mixité sociale. Ils feraient moins le choix du privé.
L’institution doit soutenir les collèges, les équipes enseignantes et les principaux qui ont une pédagogie de projet qui permette d’apaiser les ambiances dans ces établissements. De les soutenir pour qu’ils les développent davantage. Je suis persuadée que c’est une des clés pour de la mixité sociale.
Comment aujourd’hui les enseignants et enseignantes peuvent-il faire pour renverser cette tendance macabre ?
C’est dur d’être enseignants aujourd’hui, sincèrement. Mais j’en vois tous les jours des formidables. Il faut qu’ils continuent d’être curieux, d’aller chercher de nouvelles choses et qu’ils osent tenter de nouvelles expériences avec les enfants, avec les parents et entre collègues malgré la pression de la hiérarchie.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda