Notre ministre de l’Éducation, comme son prédécesseur vient de publier un ensemble de textes comminatoires pour bien marquer son territoire. Une lecture certes très rapide dessine son projet de management – redressement d’une institution gigantesque et ses résultats scolaires médiocres. Une institution qu’il reconnait « en péril » sur nombre d’aspects notamment dans ce qu’il appelle » les savoirs fondamentaux » Reste à savoir si les remèdes proposés « d’en haut », ne courent pas le risque de faire sombrer un peu plus le bateau. De quoi est-il question ?
Une politique « totale » pour ne pas dire « totalitaire »
La tentation d’une politique « totale » pour ne pas dire « totalitaire », instrumentée par un nouveau comité Théodule : « le conseil académique des savoirs fondamentaux ». Chargé d’évaluer, analyser les résultats de tous les tests nationaux qui vont encore se multiplier à outrance à chaque mi trimestre ce comité devra formater à partir de là des directives, des bonnes pratiques, des formations. Autrement dit un enseignement : teaching for testing va continuer de se développer. Bien sûr aucune instance de recherche ou de concertation d’élus de la nation, d’associations de professionnels, syndicats n’est convié à l’élaboration de ce super management. Le projet a des dimensions presque grotesques dans les détails de certaines préconisations (le nombre de mots, de lignes à lire ou écrire par cycle en début ou fin d’année, etc… Le nouveau ministre opère comme son prédécesseur, il passe en force par-delà les règles institutionnelles.
Une politique hors sol, pensée de Saturne ! Sans budget, sans recrutement.
Derrière un enrobage de formules creuses et pommade passée aux enseignants sur leur « excellence et leur engagement », les propos traduisent une méconnaissance voire plutôt un déni de la réalité rude que vivent les enseignants aujourd’hui, la brutalité des reformes qu’ils n’ont cessé d subir sans concertation. Depuis plusieurs années. La liste en est longue : recrutement de vacataires sans formation, jeunes stagiaires sans expérience, congés non remplacés, mépris implicite à leur égard (dans le fond, il leur est reproché de n’avoir pas bien enseigné), salaires en berne depuis longtemps, découragement devant la perte de sens du métier, abandons nombreux, conseillers pédagogiques qui démissionnent etc… Fatigue, découragement… Où sont ? Qui sont les formateurs qui vont assurer cette prétendue « refondation ? Quand vont-ils se former ? Ils sont déjà totalement accablés de tâches.
Les savoirs fondamentaux : parlons-en !
Lire, écrire, compter sont des outils de la pensée est-il écrit. Certes ! Mais la formule est creuse, digne du café du commerce. Car il faut d’abord et avant tout penser pour apprendre à lire et en continuer les apprentissages jusqu’à l’âge adulte. Il faut avoir des choses compliquées, difficiles à expliquer, à communiquer pour s’aventurer dans une syntaxe complexe, des emplois compliqués des temps verbaux, des lexiques spécifiques. Les exercices de Bled n’ont jamais développé la créativité ! Probablement l’ont-ils en partie chosifiée.
Autrement dit, cette conception des « savoirs dits fondamentaux » est mortifère, mécaniste pour le développement de l’intelligence, de l’envie d’apprendre. L’obsession des fondamentaux est tout aussi délétère pour le développement sensible, corporel, social de l’enfant. Elle obère la perception et compréhension du monde qui entoure l’élève. Celle-ci nécessite l’ouverture à la biologie, la littérature, la géographie, la musique, la technologie, etc. Il faut laisser toute leur place à ces disciplines même si leur apprentissage est beaucoup plus difficile à évaluer. Leur enseignement risque dangereusement d’être minoré.
Remarque d’humeur : Non les mathématiques ne sont pas l’alpa et l’Omega de la pensée critique, de la pensée scientifique comme il est affirmé de façon péremptoire dans un des documents.
Cette conception rétrograde, rétrécie des savoirs est insultante tant pour les enseignants que pour les élèves. 20 lignes en 6° ? Mais Monsieur le ministre, mes élèves de 6°, y compris en difficultés scolaires et sociales écrivaient un petit conte de deux ou trois pages ou une aventure et gardaient précieusement leur texte pour le montrer à leur famille. C’est ainsi qu’on devient grand ! Et qu’on aime l’école.
Quant aux heures supplémentaires, regroupements divers, en 6° en Français et maths, elles ont été déjà largement pratiquées sans grand succès. Des « fondamentaux » non-inscrits dans un projet, avec des heures souvent de 4 à 5H à rabâcher des exercices, hors contexte, n’ont ni sens ni intérêt pour les élèves., Un soupçon de culture didactique et pédagogique éviterait ces gâchis prévisibles.
L’absence quasi complète du mot culture dans les textes inquiète d’ailleurs beaucoup quant au projet proposé aux élèves. « Car la culture, donne forme à l’esprit », écrivait le grand psychologue Bruner en 1991. Le mot culture se voit remplacé dans les textes par force « automatismes », « règles à apprendre », » lexique » à connaître, « évaluations », » tests ». Non, ne prenons pas les élèves pour de petits automates à programmer, à formater par des tests. Les savoirs » fondamentaux » ainsi présentés ressemblent à des astres morts, dénervés, démusclés. Pas étonnant que les élèves les évitent, les contournent, s’ennuient.
Du très flou, côté évaluation des expérimentations proposées
Il est plusieurs fois fait allusion dans les textes à des expérimentations qui « auraient marché », à des preuves scientifiques. Mais où sont les données, les critères « scientifiques » d’évaluation ? Une seule évaluation est connue, publiée : celle des effets des dédoublements en CP au CE1. Les résultats sont peu convaincants et ce pour de très nombreuses raisons et notamment l’absence d’une vraie et solide formation pour changer les pratiques.
Que retenir de plus de ces documents : ils sont dans la continuité de la politique du pilotage par le contrôle et les chiffes de J.M Blanquer avec un ton plus jupitérien encore. S’y ajoute un habillage qui ne trompe pas à partir de quelques bonnes idées pour la formation, les constellations, les laboratoires d’établissement. Mais ce ne sont à y regarder de près que des enrobages superficiels sans grande cohérence, sans financement, sans accompagnement scientifique et professionnel suffisant.
Oui ces textes sont à pleurer plus qu’à rire. Ils ne sont pas le signal d’un projet éducatif audacieux et cohérent pour l’école, mais de dangereux rafistolages. L’absence criante dans ce projet du rôle de l’université, ses chercheurs, formateurs, la prise en compte des travaux scientifiques sur les questions soulevées par le déclin des résultats scolaires en France, tout cela traduit un recul en arrière de cinquante ans comme la trace d’une grande inculture scientifique et inexpérience professionnelle de la part de tous ceux qui ont écrit ces textes signés par le ministre.
Oui, l’école a besoin de se refonder mais pas sur la base de vieilles lunes, d’une vision ancestrale et désuète de ce que c’est qu’apprendre, doublée d’une vision consumériste et libérale du savoir. Une vision en déphasage complet avec notre temps et ses enjeux technologiques, sociétaux, culturels. L’école a besoin des talents, des savoirs, de l’expérience de tous ses acteurs, de leur engagement libre et conscient dans l’aventure d’une véritable refondation.
Dominique Bucheton
Professeure honoraire Montpellier université
Vice-présidente de l’AFEF