« On compte sur nous ; à juste titre, car nous sommes motivés pour nos élèves, appliqués, méthodiques, travailleurs. Il ne manque plus que des conditions de travail et de rémunération décentes, et une reconnaissance concrète ». Professeure de maths en collège, Claire Lommé réagit aux nouvelles circulaires pédagogiques du ministère.
Conseils académiques des savoirs fondamentaux
Un conseil académique des savoirs fondamentaux est créé à partir de… janvier 2023 ! Réuni au moins une fois par trimestre, présidé « personnellement » par le recteur ou la rectrice, ce conseil analysera les évaluations départementales et académiques, grâce à un « outil d’analyse statistique commun ». Ah, ces fameuses évaluations qui doivent tout résoudre ! Un élève en difficulté ? Évaluons ! Le conseil fixera aussi la « stratégie académique en matière d’apprentissages fondamentaux » : quelle formation, quels dispositifs d’étayage, quel développement de la culture professionnelle, en interdegré. Il pourra proposer des outils, des pratiques et des supports « favorables à la réussite des élèves », ce qui doit être pour nous, enseignants, un point de vigilance : enrichir nos répertoires de connaissances et de gestes professionnels, c’est très bien. Imposer des méthodes sans accompagnement et au gré de modes, non. A voir, donc.
Un plan d’action pour l’école maternelle
Le document « Un plan d’action pour l’école maternelle : donner à tous les élèves les bases de leur réussite et garantir leur épanouissement » réaffirme une double focale : le langage et les mathématiques. Ni la découverte du monde ni l’idée de socialisation n’apparaissent. Cependant, le programme ne semble pas destiné à changer, et il développe aussi ces domaines. Le langage et les mathématiques se voient mis en avant dans un objectif de réduction des inégalités.
Le texte propose d’abord un plan de formation spécifique à la maternelle, tourné d’abord vers les personnes ressource, les directeurs et directrices, puis tou(te)s les professeur(e)s et les ATSEM (c’est bien !), sur 6 ans, sur le modèle de la constellation. Les entrées sont pédagogiques et didactiques. Tout va dépendre donc du déploiement de ces formations dans les circonscriptions : l’intention est louable, mais qui va former ? Les formateurs auront-ils eux-mêmes été formés ? Va-t-on faire appel aux CPC et aux CPD, déjà submergés par une tâche en même temps trop vaste et éparpillée dans de multiples directions ? Et les constellations, vont-elles être formées par besoins identifiés sur le terrain, formulés par les enseignants eux-mêmes ?
La deuxième partie du document insiste sur la nécessité de soigner la continuité du parcours de l’enfant, en impliquant les familles, en interdegré, et même en impliquant les professionnels de l’accueil des 0-3 ans. Là encore, si des modalités concrètes (dégager du temps, en particulier, et développer les remplacements) sont pensées, ce peut être intéressants et enrichissant. Mais pour le moment, le document est davantage une profession de foi qu’une proposition « pieds-sur-terre ».
Il est brièvement question d’évaluation : « À l’école maternelle, dès la petite section, évaluer régulièrement les acquis des élèves permet au professeur de réguler son enseignement et de proposer des activités adaptées aux besoins individuels qu’il identifie ». Mais cette évaluation est laissée aux soins de l’enseignant, dans des situations de classe, ce qui est tout à fait positif. Cependant, le document sur le conseil académique des savoirs fondamentaux parle beaucoup, lui, d’évaluations systématiques. La maternelle y échappera-t-elle ?
Renforcer la maîtrise des savoirs fondamentaux des élèves en cycle 3 pour faciliter leur entrée au collège
Dès le début de ce document, l’accent est mis sur des outils communs : les guides, les plans, les repères annuels, les évaluations nationales. Les dédoublements de GS, CP et CE1 en REP et le plafonnement des effectifs partout ailleurs pour ces niveaux est aussi réaffirmé.
Côté langage, il nous est rappelé que la maîtrise du langage doit être notre préoccupation permanente. J’ai une bonne nouvelle : c’est déjà le cas depuis bien longtemps, à l’écrit, à l’oral, du point de vue des automatismes et de la compréhension. Car nous sommes parfaitement conscient(e)s de l’aspect crucial de la maîtrise du langage. Côté mathématiques, calculer est la compétence centrale, avec le vœu d’une « parfaite compréhension des fractions et des nombres décimaux ». Il faudrait développer ce passage, car les programmes ne permettent simplement pas d’assurer cette compréhension parfaite. Mais peut-être est-ce implicitement au niveau des programmes actuels de cycle 3. On peut considérer comme une bonne chose cette focale, mais on peut aussi s’inquiéter que géométrie, mesures et grandeurs, programmation ne soient pas davantage évoqués (ils apparaissent seulement dans le document consacré aux mathématiques spécifiquement) : ils participent aussi au développement des connaissances, des compétences et de la démarche mathématique. D’ailleurs, on lit plus loin que les fractions et les décimaux doivent être enseignés dès la première période de cycle 3, et là cela semble difficile si on veut vraiment construire une compréhension de ces nombres : pour enseigner les nombres décimaux, il faut construire les fractions. En une période, c’est très très court. Trop court.
Le renforcement de l’automatisation des faits numériques est une priorité, et j’ai une deuxième bonne nouvelle : c’est aussi déjà le cas. La résolution de problèmes est elle aussi mise en lumière, mais sous un angle qui marque une évolution : « l’objectif n’est pas de faire découvrir une multitude de procédures originales aux élèves, mais au contraire de développer une maîtrise solide de procédures robustes et d’outils efficaces pour résoudre des problèmes ». Que cela signifie-t-il ? Que nous devons avoir recours au schéma en barres de façon systématique, quitte à ne proposer que des problèmes qui s’y adaptent ? Le souhait de développer des répertoires de référence est tout à fait sensé, car pour comprendre il faut être capable de faire des analogies. Mais éliminer l’originalité peut aussi être lu comme une volonté de valoriser des capacités d’exécutants plutôt que des compétences d’analyse et de raisonnement. Or faire des mathématiques nécessite des connaissances, mais aussi de l’imagination, de la fantaisie. Pourquoi alors « au contraire » ? Ne peut-on pas finement articuler les deux entrées ? Point positif : les problèmes ne doivent pas être élémentaires, mais à plusieurs étapes. Ainsi on travaille la structure de résolution, l’argumentation, l’expression orale et écrite. Plus loin dans le document, la résolution de problèmes est mise très justement en lien avec l’attractivité des mathématiques, et préconisée dès le cycle 1.
Le document s’achève sur un paragraphe sur les évaluations nationales : à partir de la rentrée 2023, elles arriveront aussi en CM1. En dehors du fait que les évaluations en général sont vues comme des solutions immédiates, ce qu’elles ne sont évidemment pas, un problème demeure : quel accompagnement en est-il fait ? Les évaluations de sixième sont bien construites, mais les items souvent non libérés. Les retours donnés aux enseignants sont globaux, sans aucune possibilité d’analyse fine. De plus, ils arrivent après plus d’un mois de classe ; à ce moment-là, nous savons déjà quel(le)s élèves sont en difficultés et de quels types de difficultés il s’agit. Pour utiliser des évaluations nationales pour remédier et enseigner, il faut donner les moyens, en termes de temporalité, d’informations et d’accompagnement. Il faudrait que nous travaillions toutes et tous ensemble, en fait. Car nous ne sommes pas des exécutants, mais des inventeurs, chaque jour, chaque heure. Là, oui, ce pourrait être vraiment constructif.
Une nouvelle dynamique pour les mathématiques
Les premiers mots de ce document portent sur l’esprit critique, et répondent à une question évoquée plus haut, avec le besoin d’avoir des compétences en programmation. On commence donc plutôt bien !
L’enthousiasme retombe peu après : le nombre doit être construit « en tant que position et en tant que quantité ». Voilà qui ne va pas plaire à Stella Baruk, et pas seulement : le nombre ne se limite pas seulement à la position et aux quantités, même pour des apprentissages précoces.
Une vraie nouveauté, ce sont les repères de progressivité « jalons communs et impératifs », du CP à la classe de troisième. Le texte affirme que la notion de cycle conserve tout son sens, mais si on recommence à découper en tranche les apprentissages par année, on peut se demander de quel sens il s’agit. Au collège, ces repères étaient jusqu’à aujourd’hui indicatifs. Il semble que cela appartienne au passé. Un des objectifs, compréhensible, est de ne pas amener à tout reporter sur le dernier niveau du cycle. Mais là encore les enseignants sont vigilants et cherchent à bien faire leur travail… Est-il nécessaire de supprimer une des seules souplesses dont nous disposions ?
Pour le collège, il s’agit de lutter contre la « grande difficulté scolaire », et aussi de « cultiver l’excellence » (mais qu’est-ce que l’excellence, et existe-t-elle, même ?). Voici donc les « sessions d’une heure hebdomadaires de consolidation ou d’approfondissement », pour tous les élèves de sixième, annoncées déjà dans les médias. Des groupes de niveaux seront formés, avec tout ce que cela implique pour les élèves et leurs familles, sur la base des évaluations nationales. A chaque fin de trimestre, il s’agira d’évaluer les progrès accomplis sur les domaines et les compétences ciblées lors de ces sessions. Qui animera ? Rien ne dit ici que ce seront des professeurs des écoles spécifiquement. Sur quel temps professionnel, financé selon quelles modalités ? Rien non plus. Actuellement les établissements manquent d’heures pour pérenniser les dispositifs du type « devoirs faits » au troisième trimestre. Un budget est-il donc alloué pour déployer ce dispositif autrement plus important en nombre d’élèves concernés et en heures ? Et pour les élèves, une heure placée où ?
Autre idée : les clubs, notamment le midi. C’est une super idée, mais pas nouvelle du tout. Et là encore, un financement est-il prévu ? Car moi qui écrit ces lignes, j’anime 5 heures de club par semaine. Je reçois entre 0 et 150€ par an. Oui, par an. Et même si je suis mue par l’énergie et l’envie de faire des maths des élèves, je trouve cette situation anormale au point d’avoir envie d’arrêter. Il en est de même pour les labos maths : c’est un dispositif vraiment enrichissant, mais seulement intellectuellement… On nous en demande toujours plus, sans annonce de contrepartie.
Au lycée, dès septembre 2023, les élèves de seconde en difficulté pourront se voir proposés des temps de consolidation, pour permettre que les fondamentaux de fin de cycle 4 soient atteints. Les établissements sont « invités » à mettre en place des dispositifs en ce sens, ce qui est assez vague. Cette fois, la question de l’emploi du temps est évoquée : « L’organisation de ces sessions de consolidation nécessite un ancrage dans les emplois du temps à des horaires qui y soient favorables ». A partir de septembre 2023, les élèves de première qui n’ont pas choisi la spécialité mathématiques suivront « un enseignement spécifique de mathématiques intégré à l’enseignement scientifique, à raison d’une heure et demie par semaine ». Il est confirmé que « l’enseignement optionnel de mathématiques complémentaires est proposé à tous les élèves qui n’ont pas choisi la spécialité mathématiques en terminale, qu’ils aient suivi ou pas l’enseignement de spécialité mathématiques en première. L’enseignement spécifique de mathématiques proposé, en classe de première, dans le tronc commun de la voie générale permet aux élèves n’ayant pas choisi la spécialité mathématiques en première de suivre l’option mathématiques complémentaires en terminale. » On peut donc supposer que les programmes vont être adaptés, car pour le moment il est illusoire, dans la pratique, de suivre maths complémentaires sans spécialité maths en première.
Le lycée professionnel est l’objet d’un court paragraphe, dans lequel l’importance des mathématiques comme « discipline d’enseignement à part entière » est rappelée. Ici aussi, les chefs d’établissements sont « invités » à mettre en place des dispositifs de remédiation.
Le tout dernier paragraphe du texte est intitulé « Les professeurs, clefs de voûte de la réussite des élèves ». En effet, notre investissement est « remarquable » et efficace. Il semble qu’on compte sur nous ; à juste titre, car nous sommes motivés pour nos élèves, appliqués, méthodiques, travailleurs. Il ne manque plus que des conditions de travail et de rémunération décentes, et une reconnaissance concrète : si tout n’est pas positif dans ces textes, nombre des mesures annoncées pourraient potentiellement être porteuses pour les élèves, et donc également positives dans nos quotidiens professionnels. Mais si elles ne sont pas associées à des moyens de mise en œuvre, elles seront vouées à l’échec, alourdiront artificiellement et inutilement nos tâches déjà pesantes, ou se transformeront en des affichages vides de sens.
Claire Lommé
A relire : L’école du futur antérieur
NB : Les circulaires sont publiées au BO du 12 janvier 2023