Il y a des constantes à l’Education nationale. Plus on supprime de postes d’enseignants, plus on prétend assurer le retour aux méthodes traditionnelles. Avec une série de circulaires, à paraitre au BO aujourd’hui, Pap Ndiaye enfile les vieilles charentaises pédagogiques de Robien, tricotées sur mesure par JM Blanquer. Suppression des cycles, obsession de la fluence, pilotage par les résultats, injonctions descendantes sur les pratiques pédagogiques des enseignants : rien n’a été oublié. Ces « bonnes vieilles méthodes » ont accompagné le déclin du niveau des élèves depuis le début du siècle. Mais elles ont un gros avantage : faire oublier le poids des choix de gestion sur l’échec scolaire. Et faire porter le chapeau aux enseignants à qui ces textes officiels prétendent réapprendre le métier. Facile mais efficace…
Les nouveaux habits vintage de Pap Ndiaye
« Ces textes traduisent l’engagement du ministre autour des fondamentaux », dit on au ministère. Accusé à droite de ne pas ressembler à son prédécesseur, acculé sur la question de l’uniforme par une vaste coalition droitière, Pap Ndiaye reconstruit son image. Dans une série de circulaires publiées aujourd’hui il s’inscrit dans la tradition pédagogique que JM Blanquer a incarné après G de Robien et X Darcos. Tous ces textes ont un point commun : l’obsession des fondamentaux que les professeurs ont apparemment délaissés. Mais pour faire quoi au juste ?
Maternelle
Prenons les textes. Cela commence par la maternelle dont la mission est, certes, « de créer les conditions de sécurisation de l’enfant dans son environnement » (mais la circulaire n’en reparlera plus), mais surtout « d’installer les premiers apprentissages fondamentaux ». Elle annonce un « plan de formation pluriannuel » pour partager « des pratiques pédagogiques éprouvées ». En réalité il n’y a aucun moyen nouveau de formation. Mais une déclinaison d’une vision hyper hiérarchique de la formation qui installe les directeurs d’école comme un maillon hiérarchique supplémentaire. On forme les IEN pour qu’ils « organisent ensuite les plans de formation des professeurs et directeurs ». On forme ensuite les directeurs aux « enjeux du pilotage pédagogique » de leur école. Et ensuite on forme les professeurs de maternelle en dictant ce que doit être leur formation parce qu’ils sont probablement incapables de connaitre leurs besoins. « Les heures de formation comprennent nécessairement des connaissances didactiques en maths et en français ». C’est ce qu’on appelle depuis des années les plans maths et français. Mais c’est ravalé sous la belle couleur de l’autorité hiérarchique.
Pour assurer la place des fondamentaux, même conception. « Les inspecteurs et inspectrices chargés de circonscription prévoient un temps de travail dédié lors d’un conseil de directeurs qui se tient le plus tôt possible au cours du premier trimestre de l’année scolaire afin d’analyser les résultats aux évaluations nationales de la circonscription ». Et on remonte les résultats des évaluations de CP pour guider les pratiques de maternelle; On apprend aux directeurs comment réussir les tests ministériels pour qu’ils l’apprennent aux enseignants. « La mise en perspective des résultats aux évaluations nationales de début de cours préparatoire (CP) avec les attendus de fin de grande section (GS) d’une part et avec ceux de fin de CP en français et en mathématiques d’autre part est essentielle.. A cette fin, les directeurs et directrices des écoles maternelles et élémentaires organisent, au moins une fois par an, des conseils en commun : ils y associent prioritairement les professeurs de grande section et de CP ».
Il y a quand même un aspect nouveau : le lien entre les enseignants et les acteurs de la petite enfance. On retrouve là une faiblesse du système français et une demande de l’OCDE. Les autres pays développés inscrivent la maternelle dans une continuité entre crèche et école. La circulaire brasse de l’air sur des « échanges entre professionnels » hypothétiques. Là où les autres pays financent des crèches pour remplacer la garde à domicile…
Cycle 3
Le retour aux fondamentaux est décliné aussi au cycle 3 (CM1, CM2 et 6ème). Le ministre ordonne deux heures de pratique de lecture et d’écriture par jour en Cm1 et Cm2. Rappelons qu’il y a 10 heures de français par semaine dans ce cycle. Le ministre a raison de mettre l’accent sur les travaux d’écriture. Encore faut-il s’entendre sur la méthode. En 2018, lors d’un colloque Cnesco IFé, Jacques Crinon disait que « quand les élèves écrivent beaucoup, ils progressent davantage ». Mais il ajoutait que c’est l’avantage des pédagogies qui font écrire souvent, beaucoup, dans des contextes de communication comme Freinet. Observez la différence culturelle… Pour le ministère les travaux d’écriture sont débités au nombre de ligne prêt et le mot écriture désigne précisément l’écriture manuscrite. L’accent est mis sur la fluence sous controle du radar : » À l’entrée en CM1, tous les élèves qui n’arrivent pas à lire un texte avec fluidité et expressivité, à une vitesse d’environ 90 mots par minute ». En CM2 ils font du 120. Où est la justification de tout cela ? Dans quel autre pays le ministre dicte il ainsi dans le détail à des enseignants, jugés à priori ignares, leurs pratiques pédagogiques ? Et là aussi le ministère introduit le pilotage par les résultats : des tests nationaux sont introduits en CM1 pour dicter les pratiques des enseignants de CE2…
Sixième
La sixième fait l’objet des mêmes injonctions pédagogiques, couplées cette fois avec de petites économies. Devoirs faits est rendu obligatoire « car tous les élèves doivent avoir la possibilité de consulter un professionnel de l’éducation sur ses devoirs ». Ce professionnel n’est pas forcément un enseignant et les heures de devoirs faits sont déjà déployées dans les collèges. La grande innovation c’est l’heure de soutien en maths et français qui sera mise en place en 6ème à la rentrée. Cette heure obligatoire sera instaurée en interclasse, donc sans aucun lien avec les enseignements donnés en classe. Le ministère donne en exemple la vérification de la fluence ou des 4 opérations. Elle pourra être faite par des professeurs des écoles. Elle sera financée par la suppression de l’enseignement de technologie en 6ème. Cette discipline est en sous effectif et le ministère trouve là une solution économique au problème du recrutement. Evidemment il présente cela autrement : il s’agit de « renforcer le contenu et les ambitions de l’enseignement de technologie » et pour cela de « faire porter l’essentiel des apprentissages en cycle 4″…
Les maths
De la circulaire sur « la stratégie maths » on retiendra un point important qui est la mise à mort des cycles. « La réussite des élèves en mathématiques suppose un enseignement méthodique et une progression conforme aux repères et attendus annuels de progression, disponibles du CP à la classe de 3ème, et qui constituent des jalons communs et impératifs. Si la notion de cycle conserve tout son sens, elle ne doit pas en effet conduire à reporter sur des années ultérieures la découverte ou le travail autour de notions qui doivent être enseignées précocement aux élèves ». Le ministère flirte là avec l’illégalité. Les cycles sont inscrits dans la loi de 2013 et une circulaire ne peut s’imposer face à une loi. Le texte reprend la rengaine du calcul mental qui deviendra enfin quotidien. Rappelons qu’il l’est depuis 2002…
Des conseils des savoirs fondamentaux
Enfin le ministère crée dans toutes les académies des « conseils academiques des savoirs fondamentaux », nommés par le recteur et dont la mission est de veiller à l’orthodoxie pédagogique dans les classes. Ou du moins de montrer qu’on agit…
Des injonctions pour désigner des boucs émissaires
De Gilles de Robien à Pap Ndiaye les mêmes situations politiques produisent les mêmes effets. Plus un gouvernement supprime des postes d’enseignants (en 2023 il en supprime même dans le 1er degré), plus il produit d’injonctions pédagogiques. L’objectif n’est pas seulement de recouvrir ce désinvestissement par un nouveau bruit. C’est aussi de déqualifier les enseignants pour les rendre responsables de la baisse de niveau.
Le « retour aux fondamentaux » est brandi depuis 2006 comme la solution aux difficultés scolaires. Depuis 2017 un nouvel effort en ce sens a été produit conduisant de plus en plus d’enseignants à réduire la part des autres disciplines (cela est attesté par des rapports de l’inspection comme celui-ci). Pour quels résultats ? Le niveau des élèves baisse et les écarts sociaux de réussite augmentent.
On n’améliore pas le niveau d’éducation à l’aide de pseudo tests et d’injonctions descendantes. Puisque pour P Ndiaye, le collège est « le lieu de la grande divergence », rappelons ce qu’y est la baisse de niveau : c’est celle des enfants des classes populaires et particulièrement celles de l’éducation prioritaire. Ce sont ces collégiens qui souffrent le plus du fait que la France a les classes les plus chargées des grands pays développés, que les remplacements ne sont pas assurés et que la ségrégation sociale est la plus forte. Trois domaines qui se dégradent d’année en année. Ce sont aussi ces enfants qui souffrent de la régression sociale décidée par le gouvernement. Elle n’est pas sans effet sur les résultats scolaires. Ces nouvelles circulaires n’aideront en rien à améliorer l’enseignement. Elles marquent un tournant réactionnaire pour « l’Ecole du futur ». Surtout elles désignent les enseignants en boucs émissaires.
François Jarraud