Où en est le projet de réforme de la voie professionnelle ? Un débat a opposé, lundi 9 janvier à l’Assemblée nationale, Carole Grandjean, ministre déléguée à l’enseignement et la formation professionnelle, à Sigrid Girardin, pour l’intersyndicale, Prisca Kergoat, directrice du Certop et Christophe Doré, président de la chambre des métiers de Normandie. La ministre a promis le maintien du budget de l’enseignement professionnel en 2023. Mais si elle promet de « renforcer les enseignements généraux » c’est qu’il ne s’agit pas d’enseigner plus mais d’enseigner mieux » dans le cadre d’une adaptation locale des horaires. Il n’y a donc aucune garantie de maintien des horaires des enseignements généraux et aucune garantie pour l’avenir des autres enseignements. La réforme est maintenue.
Inquiétudes
L’inquiétude des élus de la majorité était perceptible le 9 janvier lors du débat à l’Assemblée nationale. Il y a celles qui vantent la réforme Blanquer. Mais il y a surtout ceux qui font remonter l’angoisse de leurs électeurs enseignants. On est après deux journées de grève assez réussies. Mais l’intersyndicale fond, notamment après le départ du Snetaa FO. S Girardin parle au nom de la FSU, de l’UNSA, de la CGT, SUD, du SNALC et de la CNT.
L’intersyndicale craint les pertes d’heures d’enseignement du fait du doublement du temps des stages en entreprise promis par E Macron. Quelles disciplines vont en payer le prix ? Pour l’intersyndicale 5000 postes devraient disparaitre. « Quant à l’élément socle de la réforme consistant à définir les horaires de chaque discipline non plus selon une grille nationale mais établissement par établissement, il impliquerait des droits différents, notamment en matière de nombre d’heures d’enseignement, pour accéder à un même diplôme. Pour nos organisations syndicales, c’est une remise en cause frontale de l’un de piliers de l’école républicaine : l’égalité entre les élèves », souligne t-elle. Prisca Kergoat enfonce le clou : » le projet de réforme voulu par le Gouvernement réduit les élèves, des adolescents, à leur statut de travailleur.Mesdames et messieurs les députés, il est impensable qu’une réforme éducative se réduise à la prolongation des périodes en entreprise avec pour seule ambition de faciliter l’accès à l’emploi », dit-elle. Chistophe Daré est lui aussi sceptique sur le bien fondé de la réforme aussi bien pour le maintien du lycée professionnel que pour le financement des stages.
Rassurer
Carole Grandjean a tenu, comme ses prédécesseurs, le discours habituel sur la revalorisation de la voie professionnelle : « Avec Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, nous défendons une ambition identique : faire de la voie professionnelle une voie de choix et d’excellence. Le changement d’image est possible : nous l’avons observé concernant l’apprentissage. Il est donc également possible, et il est nécessaire, pour le lycée professionnel : nous nous en donnerons les moyens », dit-elle.
Elle se veut rassurante sur le calendrier. « Je vous annonce très clairement que les moyens dédiés aux lycées de la voie professionnelle seront maintenus à la rentrée 2023. Notre logique est donc bien celle du développement du lycée professionnel et de l’intensification de l’accompagnement des jeunes ».
Deux points qui entreront en vigueur dès la rentrée 2023. D’abord la gratification des stages des élèves , sans que les montants soient précisés et sans précision aussi sur les engagements des entreprises sur la qualité de l’encadrement des stages. Et les demi journées orientation au collège qui seront « élargies à l’ensemble des collèges à la rentrée 2023″sans qu’on sache encore qui prendra en charge les élèves et, là aussi, ce que deviendront les horaires d’enseignement.
Enseigner « mieux » et pas « plus »
Mais interrogée à plusieurs reprises sur le maintien des heures d’enseignement général, elle doit répondre plus précisément. « Nous renforcerons les enseignements généraux », dit-elle. Une affirmation qu’elle précise. « J’ai pris le temps de discuter avec les chefs d’entreprise, les enseignants et les familles : tous s’accordent à reconnaître qu’il est essentiel de renforcer les enseignements fondamentaux, mais qu’aujourd’hui, tel qu’il est organisé, le lycée professionnel ne pallie pas certaines des difficultés rencontrées. C’est là tout l’enjeu : mieux accompagner les élèves qui rencontrent des difficultés et prendre en considération la réalité de parcours scolaires parfois difficiles. Nous allons donc renforcer l’enseignement des matières fondamentales pour les élèves qui en ont besoin… Au regard des fragilités des élèves, la question n’est pas d’enseigner plus, mais d’enseigner mieux, et peut-être différemment, les matières générales.
Des enseignements adaptés localement
Ainsi on passe du maintien des horaires à un « enseigner mieux » qui mène à un enseignement des disciplines générales variable d’un établissement à l’autre. « Nous souhaitons améliorer les enseignements généraux en permettant, par exemple, aux élèves de travailler en petits groupes ou en donnant plus de temps à certains d’entre eux pour acquérir certaines compétences », dit-elle. Fini, semble t-il, le cadre national. C’est l’établissement qui affectera le volume des horaires.
Cette philosophie est déclinée par C Grandjean. « Nous souhaitons donner aux établissements des marges de manœuvre et, tout en conservant le caractère national des diplômes, permettre à leur conseil d’administration de prendre des initiatives pour répondre aux difficultés spécifiques rencontrées localement… la réforme sera instaurée progressivement, afin que les établissements puissent concevoir pour leurs élèves des leviers de réussite adaptés à leur implantation rurale ou urbaine, aux secteurs d’activité qui font l’objet d’une formation, aux élèves eux-mêmes. Il importe, je le répète, de rassurer les enseignants : ils auront à élaborer un projet et à travailler à l’organisation de l’établissement en vue de mieux accompagner la réussite des jeunes grâce aux instruments que nous proposerons ». Ainsi l’annonce d’un « renforcement » ou « du maintien » des enseignements généraux peut s’accommoder d’une baisse des horaires. L’échelon local devra décider et se débrouiller avec une enveloppe que l’on promet maintenue pour la seule rentrée 2023.
La ministre défend un lycée professionnel « agile » où les enseignements sont décidés avec les entreprises locales dans le cadre d’une grande réforme de la carte des formations. » Les professeurs et les entreprises doivent mieux travailler ensemble afin de donner aux jeunes leur place et de leur faire découvrir l’environnement professionnel ainsi que les codes qui favoriseront leur insertion. Pour y parvenir, les entreprises doivent prendre une plus grande place dans les établissements professionnels ».
Quelle opposition à la réforme ?
L’opposition a vivement attaqué la réforme. » Il est important que ces jeunes non seulement apprennent un métier, mais bénéficient également d’une formation générale : tels doivent être l’objectif et l’ambition du lycée professionnel. Or, avec la réforme qui nous est proposée, nous craignons un renoncement éducatif », estime Pierre Dharréville (GDR Nupes à l’origine du débat). Roger Chudeau (RN) dénonce « les propos lénifiants » de la ministre et estime qu’il faut réformer le collège pour remédier aux maux du lycée professionnel. Soumya Bourouaha (GDR) craint que les entreprises ne jouent pas le jeu et que les élèves n’aient pas de stages. Jérôme Legavre (LFI) estime que la réforme ne vise qu’à fournir de la main d’oeuvre gratuite aux entreprises. Un député républicain a mis aussi en doute lebien fondé de la réforme.
Avec les inquiétudes relayées par les élus de la majorité, la réforme dispose de peu de soutien à l’Assemblée. Ce qui motive ce manque d’enthousiasme c’est la mobilisation des enseignants des lycées professionnels. Malgré l’engagement présidentiel ils ont déjà obtenu que la réforme ne passe pas en force dès septembre 2023.
François Jarraud