A Capbreton, on conte à toute heure. Depuis trente-trois ans, ce petit port landais propose le festival « L’heure du conte » qui, forcément, vient taquiner les envies de projets des enseignant.es. C’est le cas pour Isabelle Mabillet, professeure des écoles en grande section à l’école Saint Exupéry de la ville, qui a décidé de faire du conte le fil rouge de son année scolaire.
Dans la classe d’Isabelle Mabillet, de l’école Saint Exupéry de Capbreton, plusieurs contes sont lus et racontés aux élèves à chaque période en fonction d’une thématique. Les animaux, les sorcières, les princes et princesses ou encore les loups permettent de tisser des réseaux entre les différentes œuvres. « On compare les qualités et les défauts des héros et héroïnes, ce qui leur arrive » explique Isabelle.
Dans les contes, les protagonistes peuvent être nommés par un trait physique ou une particularité. Ainsi en est-il pour « le petit chaperon rouge » caractérisé par son habit ou pour « Cendrillon » appelée ainsi en référence à son travail près des cendres du foyer. Les personnages sont porteurs de caractéristiques inhérentes à l’humain et constituent ainsi des repères pour les jeunes enfants. Si l’enseignante travaille à définir ces stéréotypes, elle ne manque pas aussi de les déconstruire en proposant par exemple la lecture de « La Laide au bois dormant » (album de G. Solotarref) ou en interrogeant sur la possible identification de la reine Silvia de Suède ou du prince William comme reine ou prince contemporains. Elle s’attache à cette occasion à distinguer le réel et l’imaginaire.
Restituer pour comprendre
Le conte, originellement de tradition orale, est aujourd’hui investi par les albums de la littérature jeunesse. Il représente ainsi une double entrée dans des récits fictionnels en familiarisant les enfants avec des usages élaborés de la langue. Pour Isabelle, « le conte permet de travailler à la fois le langage, l’oral et l’écrit et en particulier la compréhension de textes lus ou contés. » Pour cela, elle invite les élèves à des restitutions de l’histoire. A partir d’activités inspirées de la démarche Narramus (Ndlr : méthode conçue par Sylvie Cèbe pour apprendre à comprendre et raconter des albums) comme l’étude du lexique en amont ou l’utilisation de marottes et de mises en scène, elle demande de raconter chaque étape, de la situation initiale vers le dénouement en passant par les diverses péripéties. « C’est moins précis, plus rapide qu’avec Narramus, mais les élèves appréhendent la notion de trame narrative. » C’est tout un travail de compréhension, de repérage des divers épisodes, d’anticipation des évènements, de perception de l’étrange, de mémorisation et de reformulation qui est nécessaire pour aboutir à cette restitution. « J’avais aussi envie de donner sa place à l’oralité » indique l’enseignante. Une volonté étayée par la venue en décembre dernier de Jeanne Ferron, actrice et conteuse professionnelle. « C’était fabuleux de voir comment elle arrivait à captiver autant d’enfants, avec une histoire longue. Elle racontait le conte dans une forme orale élaborée dont l’intensité entraînait l’auditoire » se souvient Isabelle.
Des partenariats divers
Cette rencontre avec une conteuse professionnelle s’est faite dans la cadre des « Ambassades des contes », projet itinérant sur six communes des Landes visant à faire découvrir cet art singulier, en autres auprès du jeune public. « Je souhaitais accentuer le partenariat avec la Maison de l’oralité (Ndlr : Structure dédiée à l’art du conte à Capbreton) et avec la médiathèque » s’enthousiasme la professeure des écoles. Alors, les visites y sont régulières pendant lesquelles les élèves découvrent les lieux sous forme de rallye, écoutent des histoires lues par les animatrices. Les tapis de conte offrent également un nouvel outil pour prolonger le projet en permettant de représenter l’espace de l’histoire, de voir les différents lieux et éléments et d’y faire évoluer les personnages sous la forme de figurines. La classe repart avec un stock de livres et renouvelle ainsi les références de l’espace lecture. « On crée une culture commune, on partage celle déjà existante et on l’enrichit en allant piocher des contes moins connus ». Une exposition de dessins de monstres des enfants, réalisés à partir d’une dictée avait également été installée dans le cadre de la nuit de la lecture. « J’aimerais que les parents participent aux initiatives culturelles proposées sur la ville, alors ce partenariat c’est aussi l’occasion de les y inciter. » Quand on sait que moins d’une personne sur deux (43%) indique aller une fois par an au spectacle vivant (théâtre ou concert) – selon un rapport de l’Observatoire des inégalités de 2021- on comprend que Isabelle en fasse aussi un enjeu.
« Jusqu’à présent, les enfants repartaient avec leurs marottes de l’histoire réalisées en classe pour la raconter à la maison, mais j’ai promis une restitution partagée à l’école. Depuis les familles sont impatientes ! » Les parents avaient déjà été conviés à une fin de journée « pain d’épice », pâtisserie que les élèves avaient réalisé suite à l’étude du conte « Hansel et Gretel ». « L’idée c’est de se retrouver de manière conviviale pour présenter informellement le travail réalisé en classe. » explique l’enseignante. « Les parents ouvrent librement les casiers, observent les affichages, découvrent le matériel des activités et nous en discutons autour d’un thé ! Les questions posées ne l’auraient sans doute pas été dans un format plus traditionnel. ». D’autres parents sont venus raconter de manière animée un conte en anglais, en chinois, ou en espagnol, dans le cadre de « boîte à histoire ». Ce dispositif, en s’appuyant sur des objets représentant les personnages et les éléments clés de la narration, favorise l’émission d’hypothèses, offre une sensibilisation au plurilinguisme et donne une place aux familles dans l’école. Comme si le conte reprenait sa fonction de partage oral et de portée universelle.
Cerise Lenoir