Pour revitaliser la formation, faut-il la rendre un peu moins descendante ? Au collège REP+ Auguste Renoir à Marseille s’est déployée une « constellation » de professeur.es de lettres. Suzanne Ponce en éclaire le fonctionnement : sur un thème choisi (par exemple ici le carnet de lecture et le lexique), avec l’aide d’un « pair-expert », les enseignant.es partagent pratiques et réflexions, puis élaborent un dispositif qui va être expérimenté dans une classe sous le regard des membres du groupe … La démarche parait susceptible de transformer les postures : « l’enseignant devient acteur de sa formation », celle-ci se fait dans l’établissement au plus près des besoins des élèves et se développent alors pratique réflexive et esprit de coopération… Inspirant ?
« GRAL », « constellation », voilà des mots et des dispositifs qui peuvent sembler bien mystérieux pour la plupart des enseignant.es : pouvez-nous expliquer de quoi il s’agit ?
LE GRAL est l’acronyme de Groupe Recherches Actions en Lettres ; il s’agit du groupe de formateurs en lettres, eux-mêmes toujours enseignants, qui interviennent auprès des établissements où sont créées des constellations. Ce groupe s’étend aussi ponctuellement aux enseignants des constellations puisqu’à leur tour ils participent à cette « recherche action » dans leur établissement.
Le mot « constellation » est emprunté au Plan Français (Plan National de Formation dans le premier degré) dont le GRAL est une déclinaison dans le second degré, en éducation prioritaire dans l’académie d’Aix-Marseille. Il renvoie aux « lessons studies », concept de formation originaire du Japon et developpé aux États-Unis. La lesson study est la production d’une séance élaborée par la constellation sous l’accompagnement du formateur référent appelé « facilitateur » puisqu’il accompagne le collectif d’enseignants de l’établissement dans cette « recherche-action ». La séance produite est donc celle du collectif d’enseignants ; elle sera ensuite mise en œuvre dans la classe d’un professeur volontaire du groupe pendant que les autres collègues présents observeront les éléments ciblés comme observables de cette séance commune.
Dans votre académie, une constellation a par exemple été mise en place autour du carnet de lecture : de quoi s’agit-il ?
Il faut préciser que le carnet de lecture n’est qu’un outil pédagogique pour engager les élèves dans la lecture des œuvres littéraires et leur enseigner la compréhension et l’interprétation des textes ; il n’est donc jamais une finalité en soi. Ce dispositif pédagogique permet de construire la posture de lecteur de l’élève en partant de ses impressions. La constellation a donc travaillé le questionnement à mener sur une œuvre littéraire dans le carnet de lecture. En effet, il est difficile pour un élève de donner un avis sur un passage lu, il est donc nécessaire de l’accompagner au travers de consignes précises et de stratégies de lecture qui vont l’aider à prendre de la distance vis-à-vis du texte. C’est ainsi que le travail sur les citations par exemple, et dès la classe de sixième, a été l’une des pistes de réflexion de la constellation ; l’entrée dans le texte par le dessin ou par l’identification à un personnage a aussi été travaillée. Tous les professeurs de lettres de cette constellation n’avaient pas mis en place le carnet de lecture et ceux qui l’avaient fait, se sont aperçus qu’ils ne menaient pas le même travail ou ne l’employaient pas pour les mêmes objets : lectures personnelles ? Lectures cursives ? Œuvres intégrales ? C’est cette dernière lecture qui a été choisie.
Quel travail a été mené dans cette constellation ?
Les professeurs se sont interrogés sur la façon de questionner les œuvres littéraires dans le carnet de lecture afin d’engager véritablement les élèves dans ces textes souvent très éloignés d’eux. Au fil des rencontres, ils ont travaillé sur le type de questions à poser, les activités à proposer, chacun apportant des carnets de leurs classes afin de mutualiser leurs expériences. Ces échanges ont permis d’élargir le champ des possibles avec le carnet que certains employaient seulement comme un « journal intime » de lectures personnelles, le résumé et l’avis étant les seules consignes données. La constellation a été l’occasion, pour ces enseignants, de réfléchir ensemble, avec l’aide du facilitateur qui apportait son expertise pour accompagner cette réflexion didactique et pédagogique (références théoriques, ressources… ) : doit-on évaluer le carnet de lecture ? Les élèves peuvent-ils le garder lors des évaluations ? Si oui, dans quelles situations ? Des activités ont été retenues puis harmonisées au sein de la constellation alors que d’autres étaient purement abandonnées. Les professeurs ont rapidement constaté que cet outil de lecture était également un outil d’écriture. Il a fallu alors trouver des solutions pour que les élèves écrivent le plus souvent en classe et non forcément chez eux : le carnet de lecture avait donc la même place que le classeur ou le cahier de français ; il devenait un support quotidien du cours de français. C’est par cette réflexion commune lors des rencontres et à partir du travail mené dans les classes que les choix pédagogiques se sont faits pour répondre au mieux aux besoins des élèves de ces professeurs.
La constellation s’est ensuite donné le lexique pour objet de travail : en quoi ce travail a-t-il consisté ?
L’année suivante, les enseignants de cette constellation ont essayé de répondre à la question suivante : « Comment enrichir le lexique de nos élèves ? ». En lien étroit avec les activités d’écriture menées dans le carnet de lecture, le lexique leur a semblé être un domaine nécessaire à travailler. C’est ainsi que lors des premières rencontres, chacun est venu avec des cahiers d’élèves afin d’expliciter ses pratiques. Tous les professeurs se sont accordés à dire la difficulté que représentait l’enseignement du lexique : par où commencer ? Quelle progression envisager ? Le formateur référent a apporté des pistes de réflexion qui ont aidé la constellation à créer une séance, la « lesson study ». Cette séance s’est construite autour du mot « passion » choisi pour l’entrée « Dire l’amour » en classe de 4ème. Les enseignants ont travaillé ensemble durant deux rencontres successives pour monter cette séance que l’un d’entre eux a mise en œuvre dans sa classe sous l’observation de ses collègues et du formateur facilitateur. Le retour sur cette séance s’est fait l’heure suivante. Ce retour a permis de dire ce qu’il fallait garder ou enlever comme activité au vu notamment de la mise au travail des élèves pendant cette séance. Elle a été le moyen de constater qu’une séance de lexique est très vite chronophage, et pour le professeur en terme de préparation, et pour les élèves si les activités sont trop nombreuses ou peu circonscrites. A terme, la constellation a établi une « feuille de route » pour l’élaboration des séances de lexique et a décidé de choisir un mot à étudier par séquence pour chaque niveau.
A la lumière de ces expériences, en quoi le travail par constellations vous semble-t-il pertinent pour revitaliser la formation continue des enseignant.es ?
Le travail par constellation est pertinent pour plusieurs raisons. Il revisite totalement la formation continue à plus d’un titre.
Tout d’abord, il n’y a plus d’apport « descendant » du formateur vers les enseignants et si je vais plus loin, il n’y a plus de formateur. Ce n’est pas qu’un élément de langage de dire « référent » ou « facilitateur » pour identifier le pair expert qui accompagne la constellation dans ses réflexions et ses recherches. En effet, il n’y a plus d’apport « préfabriqué », magistral et « vertical » du formateur puisque tout ce qui sera créé, essayé, puis recréé, le sera par la constellation.
Ensuite, la constellation est un groupe de professeurs qui travaillent dans LEUR établissement, à partir des productions de LEURS élèves ; ces professeurs vont donc répondre au plus près aux besoins de leurs classes. La réflexion didactique et pédagogique menée est adaptée au terrain puisqu’elle part du terrain. L’enseignant devient acteur de sa formation. Le formateur est là finalement pour proposer l’apport théorique aux enseignants qui n’ont pas forcément le temps de lire les ouvrages de recherche en didactique des lettres ; il va leur apporter des pistes de réflexion, un cadre institutionnel si besoin, mais ne proposera jamais une séance clé en main comme cela est le cas dans la formation classique.
Enfin, ce dispositif accorde un temps d’échange, de réflexion, de mutualisation entre pairs au sein d’un même établissement et c’est le premier avantage que les professeurs trouvent à ce type de formation. Il répond donc selon moi à une demande de nos collègues qui se détournent de plus en plus des stages de formation tels que nous les connaissions jusque-là.
La tendance dans le système éducatif français porte traditionnellement à l’individualisme et au « verticalisme » : de tels dispositifs de travail coopératif ou collaboratif vous semblent-ils proposer de nouvelles perspectives intéressantes et transférables ?
Je crois que ce qui est intéressant dans ce type de formation, c’est de placer l’enseignant au cœur de son métier : réfléchir à la didactique de sa discipline en concevant des séances pour ses élèves. Rien d’exceptionnel me direz-vous puisque c’est le fondement de notre métier ; sauf que c’est sur un temps de formation donné, en établissement et avec ses pairs. Le travail collaboratif permet aux professeurs d’une constellation de mettre en œuvre dans la classe ce qui a été réalisé collectivement et avec l’étayage du formateur. Tout est réuni pour que les enseignants développent des compétences professionnelles en cherchant à répondre au mieux aux besoins de leurs élèves. Ce travail en constellation est tout à fait réalisable dans d’autres disciplines, c’est le cas d’ailleurs en mathématiques. Il commence à s’établir également dans la liaison inter-degrés (premier et second degré). Nous pourrions très bien l’élargir à la liaison « collège-lycée » ou envisager de réunir deux constellations, c’est-à-dire, deux établissements autour d’une thématique commune dans le travail en réseau. Autant de pistes donc qui montrent à quel point ce nouveau dispositif de formation ne demande qu’à se développer.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Journée de l’AFEF le 28 janvier sur la formation des enseignant.es