« Comme je connais l’issue du scrutin, je prends mon temps ». Roger Chudeau (RN) était sans illusions, le 14 décembre, sur la destinée de sa proposition de loi pour l’instauration de l’uniforme à l’école. Alors pourquoi ce texte présenté devant la commission de l’éducation de l’Assemblée le 14 décembre et devant l’Assemblée en janvier ? C’est que la question réunit la droite et l’extrême droite et construit ce qui pourrait être un jour, avec E Ciotti, une majorité d’alternance… En attendant, l’extrême droite met l’école sous tension.
Une question qui unit la droite et l’extrême droite
Depuis l’élection de la nouvelle assemblée, pas moins de trois propositions de loi ont été déposées en faveur de l’instauration d’un uniforme scolaire. Roger Chudeau, inspecteur général, ancien conseiller des ministres de l’Éducation G de Robien et F Fillon, passé au RN, bénéficie du créneau législatif du RN. Eric Ciotti a déposé aussi une proposition de loi en faveur de l’uniforme pour lutter contre « l’entrée du communautarisme » dans les établissements scolaires. E Menard, non affiliée à un parti, mais très à droite, y est allée aussi de sa proposition de loi contre les signes religieux islamistes à l’école. L’uniforme est depuis longtemps (plus de 10 ans) un marqueur de la droite de la droite classique. Portée par Fillon, par Copé, par l’entourage de N Sarkozy, cette revendication est maintenant reprise par l’extrême droite.
Roger Chudeau est plus malin. Sa proposition de loi veut rendre obligatoire l’uniforme dans les écoles et les collèges « pour abolir dans l’établissement les distinctions sociales et culturelles ». Mais dans son intervention devant la commission, il décrit l’école « sanctuaire » comme « une citadelle assiégée » par la montée de l’islamisme. Sa proposition de loi est « une réaction à une idéologie politico religieuse qui prend pied au sein de l’institution scolaire, territoire conquis de l’islamisme ». J. Odoul, député RN, dénonce les opposants à la proposition de loi comme des « islamo gauchistes ».
Des alliés chez Les Républicains
Roger Chudeau a des alliés. Il rappelle la position de JM Blanquer qui n’était pas hostile à l’instauration de l’uniforme. Pap Ndiaye, après quelques hésitations, estime qu’il « serait bien naïf de penser qu’un uniforme viendrait régler les questions de laïcité » et « est opposé à une loi qui viendrait imposer une tenue scolaire ».
Les alliés de R Chudeau sont les Républicains. M Minot, parlant au nom du groupe LR, annonce qu’il votera la proposition de loi, parce que « l’uniforme instaure une rigueur qui permet à l’élève d’être directement conditionné au savoir, à la hiérarchie. Nous pouvons enfin tendre vers le retour de l’ordre ». A Portier, député LR, a déposé un amendement pour mettre en place l’uniforme dans 10 départements dès 2023. Maxime Minot en a déposé un autre pour étendre l’uniforme au lycée. Des députés LR interviennent avec un autre argument : l’uniforme permettrait de lutter contre le harcèlement scolaire.
Nupes et majorité
Contre la proposition de loi se réalise une curieuse coalition réunissant la Nupes et la majorité présidentielle. Trois amendements demandent la suppression de la proposition de loi. Un déposé par LFI évoque le cout de l’uniforme et la concurrence que cela créerait entre établissements. Un amendement écologiste dénonce la volonté de « mettre sous le tapis » l’appartenance sociale, ethnique, religieuse, culturelle » des élèves. « Effacer les différences, ce n’est ni déconstruire, ni réduire les inégalités. C’est regarder ailleurs ». S Taillé-Polian (écolo) intervient pour dénoncer la volonté « d’uniformiser la jeunesse » ; « Nous ne voulons pas d’une société qui dise aux jeunes comment s’habiller », dit-elle. Cécile Rilhac, Horizon, rappelle que rien n’empêche les établissements d’imposer une tenue. Mais elle estime que cela augmenterait les violences entre établissements, comme aux États-Unis. Et elle rappelle l’échec d’une tentative d’instaurer l’uniforme à Provins (77).
L’École sous pression
Au final, les trois amendements de suppression sont adoptés par la commission qui rejette donc la proposition de loi. Elle arrivera en séance en janvier où elle risque bien de connaitre le même sort.
En attendant, l’École est sous pression de l’extrême droite. Des enseignants sont menacés comme la professeure de philosophie du Pas-de-Calais empêchée de faire travailler ses élèves sur les migrants. Ou comme ce collège normand dénoncé sur les réseaux sociaux par un responsable de Reconquête parce qu’il applique le programme d’histoire géo de 4ème et son chapitre sur les migrants. Dans l’Aude, le même parti dénonce une information sur les LGBT phobies.
François Jarraud