Comment interroger les élèves sur leurs certitudes ? Laurent Reynaud, professeur des SVT au lycée Jacques Feyder d’Epinay-sur-Seine (93), fait émerger les doutes sur des questions scientifiques. Avec sa pratique, il essaie que « les savoirs scolaires soient pour les élèves des réponses aux doutes qu’ils rencontrent ». Ce travail effectué en groupe favorise les échanges et nécessite une argumentation des lycéens. « Les échanges d’avis différents entre pairs visent l’émergence d’un doute sur ses propres représentations et l’envie de savoir pour déterminer qui a raison ». Adepte de la classe puzzle, Laurent Reynaud explique le fonctionnement de ses séances.
Comment aboutissez-vous à des conflits socio-cognitifs en classe ?
Le conflit socio-cognitif est un état de doute individuel de ses certitudes provoqué par des désaccords avec l’avis des autres. Ce va et vient entre le « je » et le « nous » s’organise avec une pratique pédagogique utilisée très fréquemment : le travail en groupe. Nous sommes très nombreux à faire, plus ou moins régulièrement, du travail de groupe : les élèves se rassemblent à 3 ou 4 et se consacrent à une production : une synthèse, une affiche ou autres. Ce travail prend beaucoup de temps et on regrette souvent un engagement inégal des élèves.
Lorsque je vise le conflit socio-cognitif, je réorganise ma pratique pour passer subtilement du « travail de groupe » au « travail en groupe ». Dans ce dernier cas, il n’y a plus de production finale et ce temps ne dure pas plus de 10 minutes. Concrètement, j’essaye de suivre une méthode qu’on expérimente dans l’équipe des classes coopératives du lycée Jacques Feyder à Epinay-sur-Seine, on l’a nommée le « 2/4/2 ». Je pose une situation-problème à la classe, un élève reformule avec ses mots pour être sûr qu’elle soit bien comprise par tout le monde. Par exemple : « Comment expliquer que les cellules de notre corps soient différentes les unes des autres alors qu’elles ont toutes la même information génétique ? » devient par la reformulation « On a vu que la cellule du cerveau et celle de la bouche ne sont pas pareils, mais elles ont le même programme dedans alors comment ça se fait qu’elles deviennent pas la même chose ? ». Les élèves ont ensuite deux minutes pour écrire individuellement sur leur feuille leurs idées de réponses ou représentations. Suit alors le travail en groupe qui dure 4 minutes. Les élèves se rassemblent par 3 ou 4 et échangent leurs avis : « Moi je pense qu’elles perdent de l’information », « Je ne suis pas d’accord, c’est le même programme au début mais il y a des trucs qui se rajoutent ». Il n’y a pas de production, juste un échange de points de vue.
Après ce temps de confrontation, je reprends la main pour essayer de porter ces désaccords à l’échelle de tout le collectif classe, ce n’est pas toujours simple. Quand ce travail en groupe est terminé, j’explique la réponse au problème qui correspond à la notion que j’avais prévue de transmettre : « si toutes les cellules ont la même information génétique, les gènes, elles n’en utilisent qu’une seule partie qui différe d’une cellule à une autre. C’est l’expression différentielle des gènes ». Ainsi, j’essaie que les savoirs scolaires soient pour les élèves des réponses aux doutes qu’ils rencontrent. On écrit le bilan puis les élèves font une activité pour vérifier la validation de ce bilan. Parfois j’inverse, les élèves font l’activité pour faire découvrir la notion.
Pour quel impact sur les élèves ?
On pense parfois que notre rôle en tant qu’enseignant est de lever le brouillard du doute pour apporter des connaissances plus stabilisées. Pour ma part, j’observe que beaucoup d’élèves n’ont pas conscience d’être dans le brouillard. Ils ont des avis, des certitudes et des représentations sur bon nombre de sujets. Par ailleurs, on dit souvent qu’il faut intéresser les élèves pour qu’ils soient motivés. J’essaye alors de trouver des énoncés de problèmes pour que les élèves coincent sur les contenus des savoirs scolaires. Cela m’aide à ce que les élèves puissent mettre du sens dans ce que je souhaite leur transmettre.
Cette approche du travail en groupe, centrée sur le conflit socio-cognitif, permet de faire d’une pierre deux coups. Les échanges d’avis différents entre pairs visent l’émergence d’un doute sur ses propres représentations et l’envie de savoir pour déterminer qui a raison. Pour vérifier cela, il m’arrive parfois, après la phase de travail en groupe, de dire à la classe « bon aller on va passer à autre chose maintenant ». Je me rends alors lentement au tableau, il n’est pas rare d’entendre ici et là des élèves exprimer leur mécontentement : « Mais monsieur c’est quoi alors ? ». Bien entendu, ça ne fonctionne pas toujours. Quand nous discutons des échecs avec les collègues, nous posons quelques balises pour modifier l’organisation de ce travail en groupe. Par exemple, on échange en amont nos situations-problèmes entre disciplines différentes pour les clarifier, on essaye de faire un temps collectif juste après les échanges en groupe pour s’assurer que le conflit socio-cognitif touche un maximum d’élèves, on s’assure que le temps d’échange soit court pour éviter les consensus, parfois de complaisance.
Comment fonctionne votre classe puzzle ?
La classe puzzle est une pratique pédagogique qui permet de mobiliser tous les élèves dans une séance en les rendant tous utiles et nécessaires pour les autres. Concrètement, sur une heure ou deux, les élèves travaillent sur une partie du programme qui est divisée en plusieurs notions. Ils sont répartis en plusieurs groupes de coopération (groupe d’experts). Chaque groupe a accès à un ou des documents sur une notion précise. Après une lecture individuelle, les élèves peuvent échanger dans leur groupe pour comprendre la notion. Je leur rappelle qu’ils devront ensuite l’expliquer individuellement à d’autres camarades. Par la suite, je réalise des groupes mixtes en mélangeant les « experts » en groupes de collaboration. Cette fois, chaque élève doit expliquer aux autres la notion qu’il a apprise avant.
Ainsi, il arrive souvent de voir des élèves plutôt passifs s’investir dans l’activité, car ils n’ont pas le choix, c’est la dimension de « responsabilité par l’interdépendance » que cette technique sollicite. Pas forcément lors de la première séance de classe puzzle, mais davantage sur les séances suivantes. Là encore, lorsque nous avons discuté entre collègues des difficultés liées à la pratique de la classe puzzle, nous avons ajouté des éléments.
Par exemple, nous nous sommes rendus compte que les élèves ne se sentent parfois pas en mesure d’expliquer aux autres, ou bien que certains expliquent des notions mal comprises lors du groupe de coopération. Nous avons donc ajouté un temps d’évaluation formative croisée à la fin du temps de travail en coopération, il s’agit par exemple de deux ou trois questions rapides qui permettent de vérifier si la notion est bien comprise. Les élèves y répondent individuellement puis partagent leurs résultats pour corriger et clarifier ensemble avant d’aller expliquer dans les groupes de collaboration.
Sur quelles notions du programme mettez-vous en place ce mode de fonctionnement ?
On ne peut pas faire des classes puzzles sur toutes les parties du programme. À mon sens, il faut trouver des notions qui peuvent être divisées en plusieurs parties. Par exemple, en SVT, la partie sur la contraception en seconde s’y prête bien, ou la partie du programme d’enseignement scientifique de terminale qui porte sur l’évolution de l’atmosphère dans l’Histoire de la Terre. Dans ce dernier cas, je me suis heurté à la difficulté d’organisation de cette pratique dans une classe à 35 élèves. Ce n’était pas facile. Il a fallu minuter et animer la séance au pas de course, mais ça en vaut peut-être la peine. J’ai demandé l’avis des élèves : « C’était bien d’expliquer aux autres », « C’est un peu stressant au début », « J’ai vraiment cherché à bien comprendre pour dire aux autres ».
Entretien par Julien Cabioch
Dans le Café
Laurent Reynaud : Une classe coopérative au lycée
Ouvrage « Faire collectif pour apprendre » de Reynaud Laurent, ESF Sciences humaines.
Blog des classes coopératives du lycée Jacques Feyder
Page LéA-IFé des classes coopératives du lycée Jacques Feyder