Créé par JM Blanquer pour remplacer le Cnesco, jugé trop indépendant, le Conseil d’évaluation de l’école, présidé par B. Gille, organise son premier séminaire le 6 décembre. Il reprend un sujet abordé lors d’une conférence de consensus du Cnesco : les inégalités scolaires. Le CEE convie deux experts qui lui sont proches : Eric Charbonnier (OCDE) et Thierry Rocher (DEPP), pour un bilan nuancé. Le CEE annonce vouloir reprendre ce sujet dans ses évaluations d’établissement. Car les inégalités finalement, c’est aussi la faute des enseignants…
La France dans les pays les plus inégalitaires
« Le CEE a pour mission d’éclairer le débat sur le système éducatif », explique B Gille en ouverture du webinaire. Et le premier sujet choisi par le CEE pour cette mission concerne les inégalités scolaires. « Pourquoi dit-on que la France est un des pays les plus inéquitables en matière d’éducation ? »
Eric Charbonnier montre la place que tient PISA dans ce constat fait en 2000. Mais il nuance le propos. Certes, la France fait partie, avec l’Allemagne, le Luxembourg, la Hongrie, la Belgique, des pays européens où les inégalités sociales pèsent le plus sur la destinée scolaire. Ainsi, en compréhension de l’écrit, sujet du dernier Pisa, l’écart entre le quart des élèves les plus défavorisés et les plus favorisés socialement est de 107 points, soit 2 années et demie d’études ! Ces inégalités impactent la destinée scolaire des élèves. Ainsi, seulement 13% des élèves de la voie professionnelle ont des parents ayant fait des études supérieures.
Il y a aussi les inégalités de genre, même si « la France s’en sort pas si mal ». Les filles réussissent mieux en français et les garçons en maths, les inégalités étant plus importantes en français.
Les inégalités n’augmentent plus
Mais Eric Charbonnier nuance son sujet. « Entre 2000 et 2010, les inégalités sociales de réussite scolaire se sont aggravées. Elles sont toujours à un niveau très élevé. Mais on observe une stabilisation de ce niveau. Depuis 2012, il y a une volonté de lutter contre les inégalités. Une autre politique marque des points : la lutte contre le décrochage. On observe aussi une élévation du niveau éducatif global avec la moitié des 25-34 ans ayant un diplôme du supérieur.
Des inégalités qui traversent tout le système
Thierry Rocher montre, à partir des évaluations nationales, que ces inégalités démarrent au CP. Et elles augmentent tout au long du primaire et du collège. Si on prend les élèves les moins performants en CP, plusieurs années plus tard, en CM2, 60% des élèves de milieu défavorisés sont restés dans le groupe le plus faible contre 10% des enfants de milieu favorisé.
Il montre aussi des inégalités géographiques. L’écart du taux de maitrise en français à l’entrée en 6ème entre les élèves favorisés et défavorisés varie du simple au quintuple selon les départements. Il est faible en Bretagne par exemple et 5 fois plus fort dans le nord et l’est.
Le creusement des inégalités entre privé et public
Mais ce que montre surtout Thierry Rocher c’est le creusement des écarts entre enseignement public et privé. Les collèges publics accueillent un pourcentage croissant d’élèves issus de familles pauvres quand le privé concentre les élèves des familles riches. Cet écart entre public et privé augmente alors que les écarts entre les collèges publics diminuent.
En conclusion, son intervention ne valide pas l’idée d’une augmentation générale des inégalités sociales de réussite. La Depp prépare une synthèse sur les compétences des élèves en line avec le milieu social. Elle montrera des évolutions divergentes selon les disciplines.
Un effet du système ou des établissements ?
Que faire face aux inégalités sociales de réussite scolaire ? Eric Charbonnier montre que certains pays réussissent à avoir peu d’inégalités et un haut niveau scolaire : Royaume-Uni, Canada par exemple. Parmi les pistes : investir dans les établissements défavorisés, envoyer dans ces établissements de meilleurs enseignants en leur accordant des avantages. « On ne peut pas copier ce système. Mais on peut prendre des idées ». Il est plus réservé sur l’autonomie des établissements. Si accorder de l’autonomie peut avoir des effets positifs, il rappelle l’exemple de la Suède. Ce pays est allé très loin dans l’autonomie et finalement les inégalités ont tellement augmenté que l’OCDE a conseillé de changer de politique.
C’est pourtant par un appel à davantage d’autonomie des établissements que B Gille conclue le webinaire. « Il faut développer l’effet établissement, travailler collectivement sur une question aussi essentielle que l’équité scolaire est un des objectifs des évaluations d’établissement. On sera amenés à faire de fortes recommandations ».
Dans un système éducatif qui ségrègue socialement très tôt les élèves, qui affectent moins de moyens humains dans les établissements de l’éducation « prioritaire » que dans les collèges de centre-ville (ce que le Cnesco avait démontré), dans un système où les élèves des écoles défavorisées ne sont prioritaires ni pour l’affectation des enseignants ni pour leur remplacement, c’est finalement vers les enseignants que le CEE se tourne. Ils doivent « traiter de façon systématique « la question des inégalités, ce qu’ils ne feraient pas. Le problème c’est toujours les professeurs, jamais le système…
François Jarraud