« Construire avec les élèves un horizon commun : celui fondé sur des savoirs stabilisés et un idéal fondamental, celui de pouvoir construire une société juste, humaine et fraternelle ». C’est l’objectif du concours « la flamme de l’égalité » dont les résultats vont être dévoilés aujourd’hui. Plus de 5000 écoliers, collégiens et lycéens, de près de 200 établissements, ont participé cette année à cette aventure pédagogique. Claire Cayuela (Ligue de l’enseignement, Paris) et Benoit Falaize (Président du concours) expliquent pourquoi ce concours est nécessaire aujourd’hui et comment les élèves l’ont vécu.
Ce concours est récent. Comment est-il né ?
Effectivement, contrairement au CNRD, et dans la foulée des réflexions pédagogiques portées par la loi Taubira visant à développer les connaissances scolaires et universitaires de l’histoire des esclavages et des traites, ce concours a été créé en 2015 sur une proposition originale du Comité National pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage dont la Fondation pour la mémoire de l’esclavage (FME) est en partie l’héritière. Ce concours du ministère de l’Éducation nationale répond à la prescription de la loi Taubira du 21 mai 2001, reconnaissant la traite et l’esclavage comme crime contre l’humanité. L’article 2 de cette loi préconise de renforcer l’enseignement de cette histoire dans les programmes scolaires. Aujourd’hui, il est organisé en partenariat avec la Ligue de l’enseignement, qui coordonne le dispositif, aux côtés de la Délégation Interministérielle à la Lutte contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Haine anti-LGBT les ministères en charge de l’éducation nationale, de l’Agriculture et de l’Alimentation, de l’Intérieur, et des Outre-mer et la Fondation pour la mémoire de l’esclavage.
Que doivent faire les élèves ? S’agit-il toujours de travaux faits en classe ?
Les élèves et les équipes éducatives sont invités à mener une réflexion et une production libre sur l’esclavage à partir d’une entrée spécifique qui change régulièrement. Le projet peut prendre toutes formes d’expression : essai, dossier, documentaire audiovisuel, production artistique (littéraire, graphique, plastique, théâtrale, cinématographique, chorégraphique, musicale, etc.). Ce qui est intéressant, c’est la diversité des travaux et des démarches : on va du stop motion à la vidéo, du padlet à la mise en scène théâtrale. Toutes les formes sont possibles. Les démarches sont laissées à l’initiative des équipes enseignantes et des élèves. Et très souvent, les projets sont faits sur un temps extra-scolaire, ce qui n’empêche pas l’adhésion de la classe tout entière.
Les lauréats seront connus le 2 décembre. Combien de participants cette année ?
La 7ème session du concours a rassemblé plus de 5 135 élèves scolarisés au sein de 178 établissements, répartis sur 31 académies, en métropole et dans les Outre-mer. Au total, 302 candidatures ont été déposées. Le ministre M. Pap Ndiaye proclamera les résultats ce vendredi 2 décembre, date qui n’est pas anodine : En effet, c’est la Journée internationale pour l’abolition de l’esclavage, en souvenir de l’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies de la Convention contre la traite des êtres humains le 2 décembre 1949. Un texte important qui ne cesse de rappeler l’actualité du combat contre toutes les formes d’exploitation dans le monde.
Concrètement, qu’ont fait les écoliers ? Et les collégiens ? et les lycéens ?
La réflexion menée par les élèves devait s’inscrire dans le champ de la thématique « Travailler en esclavage » retenue pour la 7ème session. Elle leur permettait de s’interroger sur les sociétés esclavagistes et les situations d’esclavage à partir du thème du travail, d’hier à aujourd’hui, partout dans le monde. À partir de leur réflexion, ils devaient choisir une forme finale à leur projet : vidéo, journal numérique, sculpture, danse, etc. Chaque année, on est frappé par l’inventivité des élèves et notamment ceux des écoles élémentaires et des collégiens.
Des travaux vous ont-ils surpris ?
À chaque session, les travaux des élèves surprennent positivement les membres du jury par leur qualité, leur engagement et les valeurs fortes qu’ils portent. L’ouverture temporelle du thème de la 7ème session a permis la production de projets engagés dénonçant des formes d’esclavage de l’Antiquité à aujourd’hui, en France et dans d’autres pays. Plusieurs projets ont notamment porté sur les conditions de travail dans la Rome antique, sur celles actuelles des enfants au sein d’ateliers de grandes marques, ou encore sur le génocide des ouïghours.
Y a-t-il une pédagogie particulière à ce thème ?
Effectivement, ce concours est l’occasion de mettre en avant les pédagogies de projet. Celles-ci permettent d’aborder le sujet de l’esclavage différemment de la façon dont il est traditionnellement porté dans le cours normal de la classe. Dans la pédagogie de projet, les relations entre élèves et enseignants sont différentes, plus spontanées, et souvent plus empruntes de confiance réciproque. En transformant l’ordinaire scolaire, les classes candidates inaugurent des relations pédagogiques différentes, construisent ensemble les contenus et les démarches, tout en maintenant un niveau d’exigence remarquable et des projets de qualité.
Pourquoi faut-il mieux faire connaitre l’histoire de l’esclavage aux écoliers, collégiens et lycéens ?
Ce concours permet aux élèves d’approfondir leurs connaissances sur l’histoire des traites, de l’esclavage colonial et de leurs abolitions, mais aussi de mieux saisir ses répercussions sur la société d’aujourd’hui. Il permet d’introduire la complexité de cette histoire, loin des images d’Épinal ou des regards stéréotypés, et il définit les contours d’une histoire commune, une histoire partagée. En cela, il s’agit d’un concours qui renvoie aux dimensions les plus universelles de l’histoire humaine.
De la même manière, la découverte de cette partie de l’histoire, et sa compréhension, les amènent à se questionner sur les notions fondatrices de la République française : la liberté individuelle, l’égalité de tou•tes, la dignité de l’être humain. Ce dispositif est l’occasion pour les élèves de s’engager dans un projet de classe luttant contre toute forme de discriminations. Enseigner l’histoire de l’esclavage permet ainsi de conforter la construction d’une mémoire collective autour de valeurs partagées, afin d’étayer le sentiment d’une appartenance commune et d’enrichir la mémoire nationale.
L’enseignant ne prend-il pas le risque au sein de la classe d’une résonance avec des fractures vives, comme les conflits coloniaux ?
Les élèves sont avides d’histoire, avides de comprendre le passé. L’histoire coloniale, souvent impensée des savoirs scolaires, fait partie de ce passé qui nous unit. Le comprendre, en percevoir toutes les complexités, tous les aspects, permet de construire avec les élèves un horizon commun : celui fondé sur des savoirs stabilisés et un idéal fondamental, celui de pouvoir construire une société juste, humaine et fraternelle.