Cent ans, ce n’est pas trop long pour un mouvement pédagogique ? Pour ses 100 ans, le Groupe Français d’Éducation Nouvelle (GFEN) a tenu congrès du 11 au 13 novembre. L’occasion pour le mouvement pédagogique de revenir sur son histoire. « 100 ans de réflexion. 100 ans de découvertes, de pensées transformatrices. 100 ans de recherche et de création. 100 ans à construire des collectifs qui permettent à chacun de trouver sa place et de participer à la construction d’un monde à dimension humaine, sans rejet d’aucune sorte, d’un monde qui désaliène de toute forme de domination » nous dit Jacques Bernardin, président de l’association.
Comment est né le GFEN ?
Le GFEN n’est que la branche française de la ligue internationale de l’éducation nouvelle fondée à la sortie de la guerre de 14-18. L’idée était d’interroger l’éducation dominante d’alors qui était rigide, corsetée et qui exaltait le nationalisme. Dans la plupart des pays, l’éducation était une école minimale pour les enfants du peuple. Les petites classes du lycée d’alors promettaient à une seule petite frange de la population, les bien nés, un accès à l’enseignement secondaire. Jusqu’aux années 30, seulement 4% de la population accédait au secondaire et 1 à 2% au bac.
La ligue internationale posait aussi la question de la responsabilité des éducateurs dans la formation à la paix, à une autre manière de résoudre les conflits. Dans la lignée de la ligue, le GFEN dépose ses statuts en 1922 comme groupe d’étude et de recherche sur questions éducatives.
« Un nécessaire sursaut radical face aux défis de notre société » que signifie cette formule, fil rouge du congrès bisannuel ?
L’époque contemporaine a vu une cristallisation des problèmes sur le plan, sanitaire, social et climatique. Les inégalités sociales augmentent, la pauvreté croît et les classes moyennes se paupérisent… Et dans le même temps, il y a une crise climatique, sur fond de prédation de la planète dont l’Amazonie et l’Afrique ne sont que quelques exemples de déboisement dans un intérêt du court-terme indifférent au devenir commun… Autre point inquiétant qui marque l’époque : la montée de l’intolérance avec des crispations identitaires, l’individualisme, le rejet de l’autre… Et pour finir, une submersion de l’information avec des manipulations marchandes et idéologiques… Le paysage est donc à la fois semblable et différent de ce qu’il était dans les années 30, à la veille de la seconde guerre mondiale. Cela pose de redoutables questions aux éducateurs : à quel monde prépare-t-on les jeunes générations ? Quels outils pour permettre à chacun de trouver sa place dans une société plus complexe qui nécessite une adaptation permanente ? Comment armer le futur citoyen à exercer une pensée critique qui lui permette de distinguer opinion et savoir, croyance et concept et qui en même temps lui permette de développer sa capacité à débattre et à coopérer avec d’autres au service du bien commun ? Toutes ces questions étaient déjà posées à la sortie de 14-18, mais se reposent aujourd’hui. Le GFEN n’est pas le premier à faire ce parallèle. La situation est plus qu’inquiétante. Les éducateurs ne peuvent se cacher les yeux sur cette réalité qui réinterroge les orientations éducatives.
Pour relever ces défis, quel projet porte le GFEN ?
Notre projet met l’accent sur plusieurs points. Le premier est la démocratisation de l’accès au savoir et à la culture. Nous n’avons jamais perdu cet objectif, mais la situation actuelle, le recul des avancées sur la démocratisation, nous oblige à mettre la focale sur ce point. On assiste à une démocratisation sélective qui à la fois a permis la scolarisation de tous mais dans des formes différenciées et qui reproduit de façon plus vive – et accélérée avec la crise sanitaire – des inégalités sociales préexistantes. Démocratiser l’accès à la culture et au savoir est le pivot de notre action qui interroge les modalités classiques de transmission. Qu’est-ce qui fait que des enfants qui ont tout pour pouvoir comprendre le monde dans lequel ils vivent buttent face aux réquisits scolaires ? Cela signifie qu’il faut travailler à changer la donne dans les façons d’enseigner de façon à viser une appropriation critique et raisonnée des contenus culturels en maillant implication personnelle et échanges argumentés avec les pairs. C’est une focale très forte pour le GFEN. Les personnels exerçant en éducation prioritaire nous disent combien les démarches qui permettent de sursoir au sentiment de disqualification symbolique, au sentiment d’échec restent extrêmement puissants.
Deuxième élément, il s’agit d’émanciper chacun des élèves des déterminismes de toute sorte qui peuvent brider leurs choix – qui sont souvent insues. Les émanciper d’une forme de fatalisme qui les amène à renoncer. Émanciper chacun des tutelles idéologiques de toutes origines et de toutes formes afin de leur permettre de penser par soi-même en s’affranchissant de toutes influences. Cette quête d’émancipation, nous la prônons dans une recherche conjointe de coopération. Une coopération où se joue la solidarité dans les apprentissages, où s’exerce la capacité de débattre sur des problèmes cognitifs ou sociaux pour élaborer des significations partagées, pour sursoir l’intérêt individuel, pour tendre vers l’intérêt collectif. C’est aujourd’hui plus impératif que jamais.
Sur quels outils éducatifs proposez-vous de s’appuyer ?
Les outils du GFEN se basent sur la pédagogie de projet, sur des démarches d’auto-socio-construction du savoir. Dans le rapport à la culture, nous prônons les ateliers d’écriture et de création qui ont des effets de renversement de l’image que les jeunes peuvent avoir de leurs capacités.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda