Comment s’opère le recrutement des enseignants contractuels ? Caroline Bertron (Paris 8) et Hélène Buisson-Fenet ont enquêté au service des contractuels de l’académie de Lyon. Elles nous livrent, dans Formation Emploi N°189, une analyse quasi fine, presque ethnographique, d’un processus administratif qui s’arbitre entre inspection chefs d’établissement et surtout gestionnaires. Derrière le cadre national, ce sont les acteurs administratifs locaux qui gèrent la réalité du recrutement, en naviguant entre les obstacles que sont les inspecteurs et les chefs d’établissement. Malgré son cadre théoriquement national, le recrutement des contractuels s’opère entre logique pédagogique et logique gestionnaire. Celle-ci ayant le plus souvent le dernier mot.
Un service dominé
Dans l’académie de Lyon, une académie en forte croissance où le poids des contractuels a doublé en 10 ans, le bureau des contractuels est nettement à part, nous confient C Bertron et H Fenet. « Le service est aussi relégué symboliquement : calqué sur la hiérarchie statutaire de l’emploi enseignant, son positionnement est secondaire jusque dans l’agencement spatial interne, puisque les bureaux se trouvent dans un couloir séparé, à distance des bureaux de la direction des personnels enseignants, regroupés dans une même aile », notent les deux sociologues. Le bureau a son personnel à part, parfois contractuel, et sa hiérarchie interne, le bureau du recrutement étant plus valorisé que celui de la paie.
C’est un service dominé. Son activité dépend étroitement du bureau des personnels enseignants qui s’occupe des titulaires. C’est seulement une fois que celui-ci a fait les affectations que le bureau des contractuels entre en jeu. En 2019, année d’observation, le bureau doit recruter une centaine de contractuels avec des postes parfois éclatés sur plusieurs établissements. Et c’est tout l’intérêt de cette recherche de montrer le jeu des acteurs administratifs souvent oubliés des analyses des politiques éducatives.
L’empire des gestionnaires
Les services du recrutement « ne relèvent à proprement parler ni du backoffice, ni du guichet », relèvent les autrices. Il y a des deux car le recrutement comporte des interactions avec les personnes sollicitées. Il y a une dimension relations humaines qui est mise en avant par les agents du bureau.
Ceux-ci ne sont pas les seuls à intervenir dans le procès de recrutement. Deux autres types d’acteurs interviennent et peuvent être sources de complications : les inspecteurs, maitres des disciplines et les chefs d’établissement. Ainsi s’affrontent derrière le guichet des logiques différentes, gestionnaires (pourvoir un poste au plus vite en tenant compte de contraintes budgétaires et territoriales) et pédagogiques (mettre ce que l’inspection ou le chef d’établissement estiment être le meilleur candidat). Vu du guichet, ces autres acteurs peuvent parfois être une aide. Souvent, ils sont une source de problème à gérer.
Cela nous vaut des analyses fines des deux sociologues. « L’étape cruciale de la validation d’une candidature par l’inspecteur·trice académique en charge du « dossier contractuel » dans sa matière intervient soit à intervalles réguliers, soit au moment d’une demande expresse de la part des gestionnaires… On observe une forte variation des pratiques selon les inspecteurs. Outre les avis rendus en marge des dossiers – de « très favorable » à « défavorable » – qui signalent des priorités d’affectation auprès des gestionnaires, certaines annotations constituent des formes d’évaluation plus fine : inscription des nouvelles recrues à des formations qui leur sont dédiées (gestion de classe, réforme curriculaire, didactique disciplinaire), dont les places et la fréquence sont limitées ; niveaux d’enseignement à privilégier pour des candidat·es considéré·es plus fragiles (« collège sauf troisième », « lycée sauf terminale »)… Le recrutement fait ainsi intervenir trois types de logiques inspectorales : un « sens pratique » de l’organisation des services, une logique pédagogique et une logique de hiérarchie disciplinaire, dont dépendent ensuite les marges de manœuvre des gestionnaires ».
Le territoire des inspecteurs
Mais tout dépend des postes. Les exigences des inspecteurs varient selon le type de poste et la discipline. Si celle-ci est très déficitaire, les exigences en termes de diplôme baisseront. Et là, les gestionnaires retrouvent du pouvoir. « Dans ce cas, l’intervention des gestionnaires est souvent cruciale, montrant que les inspecteurs·trices n’ont pas le monopole de l’évaluation d’une compétence disciplinaire et pédagogique et plus largement d’une qualification. Dans les matières professionnelles et technologiques où la spécialisation des formations est moins requise des candidat·es, les gestionnaires donnent aussi leur avis au regard de critères complémentaires comme l’expérience professionnelle. C’est aussi le cas dans les matières générales où les profils des candidat·es peuvent être très variés (pas seulement issus de cursus disciplinaires), comme en mathématiques et en physique-chimie, où nous avons pu observer de nombreuses co-constructions des appariements poste/candidat·e entre gestionnaires et inspecteurs·trices ».
Ils ont également une influence dans le travail d’appariement entre le poste et le candidat. Ils connaissent la distance entre deux établissements, les temps de trajet d’une commune de l’académie à celle de l’établissement. Ils relient cela à la quotité horaire du poste et ajustent ces paramètres pour trouver le bon candidat. « Le bureau des contractuels intervient ainsi non seulement dans le recrutement, mais aussi dans la mise en forme de l’emploi, par combinaison d’heures, de postes, de lieux de travail – ce qui peut augmenter l’attractivité des postes, quand les conditions de travail proposées ou le prestige des disciplines et/ou des environnements de travail sont peu favorables », notent les autrices.
L’autre acteur, c’est le chef d’établissement. Mais « la perception de l’autonomie de recrutement semble-t-elle dépendre du positionnement de l’établissement par rapport au « besoin » de contractuel·les : plus celui-ci est fréquemment élevé et pressant, plus l’établissement va être incité par les services académiques à recourir à ses réseaux et à « faire remonter » des candidatures locales ».
Ainsi, l’action des gestionnaires consiste à éviter ces sources de complication et à installer leur pouvoir sur le recrutement. « Un des enjeux pour nous, c’est d’éviter d’associer trop le corps d’inspection avec la localisation du contractuel qu’on recrute. […] Sinon, ça complique beaucoup les choses, enfin, déjà, ils ont tendance à être exigeants sur le diplôme, sur telle ou telle chose, ils nous disent « Oui, mais seulement collège ou seulement LP, seulement en collège, etc. ». Si en plus de ça, après, il faut qu’ils aillent donner leur point de vue sur le fait de mettre ou pas dans cet établissement, compte tenu du contexte actuel à l’établissement, etc., alors on s’en sort plus », explique l’un d’eux.
H Fenet et C Bertron décrivent le fonctionnement d’un marché scolaire négocié entre administratifs, inspecteurs et chefs d’établissement, chacun ayant sa logique. Dans la suite des travaux de Crozier sur le fonctionnement des administrations, cet article donne envie de recherches sur d’autres fonctionnements bureaucratiques. Qui s’attaque au bureau des personnels enseignants ?
François Jarraud
Hélène Buisson-Fenet et Caroline Bertron, Au guichet du rectorat. Le travail de recrutement des enseignant·es contractuel·les dans le second degré, Formation Emploi n°189