« Alors que les filles ont des résultats très proches de ceux des garçons aux évaluations de mathématiques du CP jusqu’au DNB… une différenciation s’opère progressivement qui les amène d’abord, au niveau du lycée général, à moins se diriger vers des couplages de spécialité alliant mathématique et physique, ou mathématiques et sciences de l’ingénieur, et surtout, dans leurs orientations post-bac, à se détourner largement des cursus où les mathématiques occupent une part prépondérante, puis des métiers qui en découlent ». Le rapport de l’inspecteur général Xavier Gauchard veut remédier à cette situation. Il propose des pistes pédagogiques pour renforcer tout à fait intéressantes. Mais qui font l’impasse sur les responsabilités ministérielles dans la réforme du lycée pour ne cibler que les enseignants…
Des conseils tirés de Pisa 2012
« Lorsqu’on interroge les élèves français de 15 ans en 2012 dans le cadre de l’évaluation PISA, 50% des filles (contre 30% des garçons) déclarent se sentir dépassées lorsqu’elles doivent résoudre un problème de mathématiques, score le plus élevé de toute l’OCDE… Le document met en avant des gestes professionnels et des pratiques pédagogiques à même de nourrir le sentiment d’efficacité des élèves et réduire leur anxiété vis-à-vis des mathématiques… Le document porte aussi une attention particulière à des attitudes, à des discours et à des propos qui peuvent renforcer ou au contraire contrarier le fait pour les élèves de se projeter en confiance dans un avenir où les mathématiques jouent un rôle important » Assez curieusement, tout l’argumentaire du rapport de l’Inspection générale s’appuie sur le seul rapport Pisa 2012, ignorant ainsi les autres travaux.
Ce n’est pas pour autant qu’il faille laisser de côté ce que dit ce rapport. Il montre l’importance de l’anxiété vis-à-vis des maths, celle-ci pouvant faire perdre l’équivalent d’une année de scolarité. Il montre en regard des « pratiques pédagogiques engageantes » : « Expliciter les objectifs d’apprentissage et les conditions de la réussite ; Considérer l’erreur comme une étape de l’apprentissage et un appui pour valoriser les acquis et préciser les axes de progrès ; Développer l’oral pour vérifier la compréhension de tous les élèves, interroger les démarches et élaborer des stratégies propres ». Il invite à de pratiques collaboratives, à relâcher les contraintes de temps, à favoriser les buts de maitrise sur ceux de performance, à veiller à lutter contre les stéréotypes. Toutes choses déjà connues, mais qu’il n’est pas inutile de redire.
Un rapport plus politique qu’il n’y parait
Encore convient-il de replacer ce rapport dans son contexte. En présentant sa « nouvelle stratégie » pour les maths le 13 novembre, Pap Ndiaye s’est fixé comme but d’encourager l’égalité filles garçons » en maths avec comme objectif la parité en 2027 dans les spécialités maths, physique-chimie et maths expertes.
Cette nouvelle stratégie intervenait après que le Collectif maths sciences, réunissant l’Udppc et des associations mathématiques comme l’Apmep, aient dénoncé le 4 octobre 2022 « un décrochage massif pour les filles » suite à la réforme du lycée. Selon le collectif, on compte -28% de filles en sciences par rapport à 2019 (avant la réforme) en terminale et -61% pour les élèves ayant au moins 6h de maths par semaine.
Réforme du lycée et sélection genrée
Selon le collectif, « la précocité des choix (imposée par la réforme du lycée) accentue la dimension genrée des choix conseillés et offerts… L’absence de disciplines dans le tronc commun rend impossible les changements d’avis vers les parcours scientifiques en terminale. « L’obligation d’abandon de la 3ème spécialité en terminale conduit à celui de la spécialité maths pour les profils majoritairement féminins attirés par la biologie et la santé », ajoute le collectif. « Une réflexion sur l’équilibre général des disciplines enseignées en terminale semble indispensable pour répondre aux besoins des contenus scientifiques des formations du supérieur ».
C’est justement cette réflexion-là que le ministre ne veut pas entamer. Il se cramponne à la réforme imaginée par JM Blanquer qui a fortement réduit la part des maths et en a fait, en haussant nettement le niveau, un outil encore plus élitiste qu’elles n’étaient avant la réforme. De cette course élitiste, il était prévisible que les garçons sortiraient vainqueurs. L’objectif n’était pas tant celui-là que la reproduction sociale qui accompagne le choix des maths.
Une politique élitiste
La volonté d’effacer la responsabilité ministérielle est tellement forte que le rapport de l’Inspection se limite à donner des conseils pédagogiques aux profs du lycée. Or, on sait que la fracture entre garçons et filles s’insinue beaucoup plus tôt, dès le premier degré. Le rapport entre la confiance et le niveau en maths a été démontré par les travaux de Camille Terrier en 6ème. Elle a pu monter que surnoter les filles en maths augmente réellement leur niveau. Mieux : c’est finalement la méthode la plus facile pour réduire le déséquilibre filles – garçons, même si le rapport Gauchard n’en parle pas.
On pourra se référer aux travaux de Clémence Perronnet sur les liens entre l’institution scolaire et le niveau en maths des filles. « L’école donne le goût des sciences chez les plus jeunes. Mais elle le reprend ensuite », disait-elle. « L apolitique actuelle qui accentue le tri scolaire par les sciences pense que cela renforce une partie des sciences. On ne garde que les meilleurs… Mais si on regarde les choses différemment, on peut dire que cela affaiblit les sciences. Car cela maintient les institutions scientifiques dans les mains d’un petit nombre de personnes homogènes qui sont seules à modeler les savoirs qui vont impacter nos vies demain. Et cela me semble néfaste ». Mais n’est-ce pas l’objectif de la réforme Blanquer, maintenue contre vent et marée, quitte à faire porter toutes les responsabilités sur les enseignants ?
François Jarraud
La nouvelle stratégie de P Ndiaye