« On occulte la question sociale en multipliant les dispositifs ». Alors que Pap Ndiaye annonce une refonte de la carte de l’éducation prioritaire et que sont maintenus les dispositifs lancés par JM Blanquer et N Elimas, l’Observatoire des zones prioritaires, association de référence sur l’éducation prioritaire, tenait le 19 novembre ses Journées nationales. Mar Douaire, son président, fait le point sur la situation actuelle de l’éducation prioritaire et sur les projets gouvernementaux.
L’éducation prioritaire a évolué sous JM Blanquer. Il y a eu les dédoublements de Cp et CE1. Quel regard portez-vous sur ce dispositif ?
Cette politique a occulté des volets entiers de la politique précédente. Pourquoi ne pas dédoubler. Mais cette politique a utilisé des moyens et a passé sous silence des éléments comme la scolarisation des moins de trois ans, le travail en cycle ou l’articulation entre 1er et 2d degrés, soit 15 années de travail des réseaux de l’éducation prioritaire. Sans incitation forte du ministère ou des recteurs , les moyens de la formation continue, un des points forts de la politique précédente, ont été captés par les dédoublements. Cette politique a aussi été lancée sans aucune évaluation des projets des réseaux ou de la carte de l’éducation prioritaire. Ce que nous avons appris lors de notre Journée nationale, c’est que l’on ne s’est pas interrogé sur les pratiques pédagogiques lors des dédoublements. Finalement, les résultats n’ont pas été à la hauteur de ce qui était attendu.
On a vu apparaitre aussi pendant les 5 années du ministère Blanquer d’autres dispositifs : les Contrats locaux d’accompagnement (CLA), les territoires éducatifs ruraux, les cités éducatives. Quel jugement portez-vous sur eux ?
En 2017, il n’y a pas eu une pause dans la politique d’éducation prioritaire. Une autre politique a été engagée sans avoir évalué la précédente. Et celle-ci n’est pas non plus évaluée au bout de 5 ans. Les CLA ont été présnetés par N Elimas comme devant se substituer aux Rep. L’impulsion donnée par le président de la République à « l’école du futur », sous prétexte de libérer l’innovation, va dans le même sens. Cette succession de dispositifs engagés dans la précipitation et sans évaluation masque l’absence d’un discours sur les inégalités à l’école. On occulte la question sociale en multipliant les dispositifs.
Tout cela s’inscrit dans un discours général sur les territoires, du type : « on va écouter ce que disent les territoires ». Cela correspond à une volonté d’effacer le rôle de l’Etat, d’occulter sa responsabilité dans la lutte contre les inégalités sociales, de laisser la main aux décideurs locaux qui fractureront un peu plus la réalité nationale et le rôle de l’école publique. On voit aussi que l’enseignement privé a bien compris que son intérêt est de s’insérer dans ces dispositifs. Ils veulent bénéficier des moyens de l’éducation prioritaire alors que la publication des IPS montre que les inégalités scolaires passent par le privé.
P Ndiaye annonce une réforme de la carte de l’éducation prioritaire. Faut-il étendre celle-ci aux lycées ? Faut-il partir des écoles et non plus de réseaux centrés sur les collèges ?
P Ndiaye parle de constituer un groupe de travail sur la carte. En soi, cela n’est pas une politique de l’éducation prioritaire. S’agit-il de laisser l’existant en intégrant quelques écoles orphelines ? Pourquoi pas. S’agit-il d’intégrer quelques lycées ? Pourquoi pas. Ce sont des questions secondaires. Nous demandons une réelle révision de la carte qui n’était pas achevée de l’aveu même de ses auteurs. On observe une tendance récente à calquer la carte de l’éducation prioritaire sur celle de la politique de la Ville. On récuse cela. Surtout, on entend le silence ministériel sur l’éducation prioritaire et son orientation.
Vous avez parlé « d’escamotage » de l’éducation prioritaire. Que voulez-vous dire ?
Quand on a présenté à N Elimas notre enquête sur les effets de la politique de refondation de l’éducation prioritaire, on aurait souhaité qu’elle mesure ce qui avait été fait depuis la publication du référentiel de l’éducation prioritaire. Au lieu de cela, elle nous a dit que la carte n’était pas lisible et qu’elle voulait être au plus près du terrain et partir de contrats locaux. Or la logique du contrat n’est pas celle de l’éducation prioritaire. C’est une autre politqiue. Avec elle, on aurait une autre politique. On abandonne ce qui a été engagé sans aucune évaluation. C’est déraisonnable.
Que va faire l’OZP face à cela ?
L’urgence pour nous, c’est de dire que les inégalités scolaires sont la question centrale. Il est urgent de s’emparer de la politique d’éducation prioritaire qui, aux dires de la Cour des Comptes, est la seule politique pour lutter contre les inégalités. Nous allons travailler avec les syndicats et les chercheurs. Nous souhaitons être reçus par le ministre, ce qui n’a toujours pas été le cas. Et le 13 décembre, nous serons auditionnés par la Mission dur le bilan de l’Education prioritaire de l’Assemblée nationale. Si l’Assemblée fait quelque chose, peut-être le ministre interviendra-t-il ? Pour le moment, les choses bougent sans évaluation véritable. L’expérimentation marseillaise qui libère l’initiative locale ramène l’école publique aux méthodes du privé. Pour le reste, silence ministériel. C’est inquiétant.
Propos recueillis par François Jarraud