L’ouvrage « Éduquer au vivant » pourrait devenir le nouveau livre incontournable pour les enseignants de SVT. Définitions de la vie et de la biodiversité, tour du monde des controverses scientifiques, bien-être animal ou encore la place des microorganismes sont autant de sujets qui façonnent l’enseignement des sciences du vivant. La place de l’intelligence artificielle et la biologie de synthèse sont questionnées dans cet ouvrage collectif auquel 16 auteurs ont collaboré. Éduquer au vivant, édité chez Hermann, prescrit de nombreuses pratiques pédagogiques par un regard croisé entre québécois et français.
Qu’est-ce que la vie ?
« Durant la dernière décennie, différentes approches du vivant ont notablement changé. Elles concernent la place et l’importance croissante accordée à l’environnement, l’utilisation des intelligences artificielles et la protection des écosystèmes », note Michèle dell’Angelo-Sauvage, maitre de conférences en didactique des sciences à l’IFE. « Les enseignants sont confrontés à des contenus hybrides comme les nanotechnologies, le bien-être animal, la génomique ou la bioéthique ».
La notion même de la vie est développée avec précision dans le premier chapitre du livre de 190 pages. « Avec la biologie de synthèse et l’astrobiologie, la question de la définition de la vie est relancée », indique Marie-Hélène Parizeau de la faculté de Québec. D’Aristote à l’invention du microscope, la question de la vie est sans cesse réinterrogée. Aujourd’hui, le focus est porté sur la notion de biologie de synthèse. « Le débat sur le statut du virus et des formes d’infravies est d’ailleurs réactivé avec de nouvelles hypothèses qui réexaminent les frontières, les normes et les formes du vivant. (…) L’idée est d’éviter mes nouveaux réductionnismes scientifiques qui s’annoncent et qui emprisonnent la vie et son questionnement ».
Des pistes pédagogiques
Partant du constat que la mise en œuvre de la réflexivité éthique est absente des programmes, l’ouvrage propose aussi des pistes pédagogiques pour l’éducation éthique sur le vivant technologique. Les auteurs prônent la démarche de l’enquête qui est « un outil très puissant de capacitation pour contrecarrer la gouvernance par l’expertise dans un régime néolibéral ». Dans un tableau, des pistes pédagogiques évoquent la nécessité d’effectuer une analyse d’une situation de dilemme moral proposée par les élèves. La phase de problématisation et l’appel à l’interdisciplinarité sont à prioriser. Les élèves pourront aussi « réfléchir sur la responsabilité collective et individuelles, juridique et morale en mettant à l’épreuve les solutions sélectionnées ».
Sur le bien-être animal, l’enjeu pour l’enseignant « est d’avoir une écoute respectueuse et une attention positive inconditionnelle qui permettra à l’apprenant de s’engager dans sa réflexion ». Les enseignants doivent inviter les élèves à s’engager pour développer le sentiment de pouvoir agir. La formation des futurs éleveurs fait partie des enjeux évoqués.
Étudier des controverses en classe
Le livre effectue une liste de sujets de recherche dont les conséquences peuvent être étudiées en classe. On retiendra les prothèses bioniques qui tendent vers l’homme augmenté, la simulation cérébrale profonde qui limite les tremblements de la maladie de Parkinson, l’impression 3D d’une oreille qui perçoit des fréquences radio au-delà des capacités humaines ou encore les organes artificiels. « La frontière entre réparer ou augmenter l’humaine s’avère floue », notent Virginie Albe de Paris-Saclay. Avec l’implantation d’une puce sous-cutanée pour déverrouiller les téléphones, la question de l’hybridation du corps humain se pose également.
« C’est dans la controverse que les scientifiques élaborent les savoirs et la prise de décision dans ce contexte est un processus politique qui s’appuie autant sur les savoirs que sur les incertitudes et les ignorances, les intérêts et les valeurs ». Les auteurs justifient ainsi qu’il ne fait pas tenter de clore une controverse, mais garder ouverte la boîte noire. Les enseignants se rappelleront sûrement des TPE (travaux personnels encadrés) au lycée ou encore des IDD (itinéraires de découverte) au collège qui proposaient en leur temps un vrai espace temporel pluridisciplinaire pour approfondir ces sujets…
Enfin, on retiendra aussi dans ce livre phare les 15 recommandations pour un enseignement des microorganismes. Éviter par exemple de se concentrer exclusivement sur la relation entre les microorganismes et la santé humaine, mais axer aussi sur la variation microbienne et l’écologie. Une vision plus large et équilibrée du monde microbien est vivement souhaitée avec davantage d’expériences et une utilisation du microscope dès le primaire. Tout un programme !
Julien Cabioch
Catherine Simard, Marie-Claude Bernard, Corinne Fortin, Nathalie Panissal, Éduquer au vivant. Éditions Hermann. ISBN 979 1037017307. 26€