Peut-on réconcilier les enseignants avec la sociologie ? C’est tout le pari du « Manuel de sociologie de l’éducation » (édition de Boeck supérieur) que publient Hugues Drealants et Branka Cattonar. Pour eux il est clair que la sociologie peut apporter beaucoup aux enseignants. Pas seulement des connaissances théoriques. Mais un savoir utile au quotidien dans la classe. Et pour le démontrer leur ouvrage ne se limite pas à 12 solides chapitres sur l’école, les élèves, les inégalités et le métier enseignant. Chaque chapitre propose des conseils pratiques qu’ils n’hésitent pas à nommer des « ficelles » pour expérimenter et réfléchir. C’est vraiment une nouvelle façon d’aborder la sociologie de l’éducation. Et si vous devez emporter un seul livre de sociologie, n’hésitez pas c’est celui là !
Vous publiez un manuel de sociologie pour les enseignants et futurs enseignants. Mais la sociologie peut-elle leur être utile ? Ou est-elle juste là pour les désespérer ?
Ce manuel est vraiment le fruit de plusieurs années de réflexion. Et c’est un peu le pari de départ. On voulait porter un message positif même si les constats de la sociologie sont parfois durs. Avec Branca Cattonar nous avons des étudiants qui se préparent à devenir enseignants et on constate que a sociologie a des choses à leur dire. Or souvent le lien entre les résultats de la recherche et les pratiques de terrain n’est pas fait par les sociologues.
On sait que la sociologie déconstruit des représentations et peut choquer. Mais elle ne se limite pas à cela et peut avoir des conséquences plus pratiques. C’est difficile de transformer l’école à travers une politique éducative. Donc l’idée c’est que dans la classe les enseignants peuvent faire des choses sans attendre de « grand soir » pédagogique. La sociologie peut les aider à prendre des mesures et à savoir se comporter avec les élèves et leurs familles.
Vous invitez les professeurs à avoir une attitude de « réflexivité sociologique ». C’est à dire ?
On veut donner des connaissances suffisamment approfondies pour ne pas tomber dans une vulgate et finalement le fatalisme. La réflexivité c’est avoir une connaissance de la complexité des processus et à partir de là comprendre la fabrication des inégalités suffisamment pour pouvoir expérimenter dans sa pratique et tirer des leçons pratiques. On ne donne pas des recettes. On ne dit pas aux enseignants ce qu’ils doivent faire. On fait le pari d’un développement réflexif qui permet de mieux armer les enseignants pour lutter contre les inégalités à leur niveau.
L’ouvrage comporte 12 chapitres où vous abordez des thèmes nouveaux comme les inégalités ethniques, la culture scolaire et sa légitimité. A t-on vraiment des savoirs savants solides sur ces questions ? Quelle place pour le débat ?
On met à plat les résultats les plus partagés dans chaque chapitre sans chercher à être exhaustif. Il y a beaucoup de domaines où il y a des débats scientifiques. On ne le cache pas car on ne veut pas de vulgate sociologique. Il y a dans le livre des pages consacrées aux débats. Nous évitons de privilégier une école de pensée par rapport aux autres pour que le lecteur se fasse sa propre idée. Pour cela on lui présente les termes du débat dans des encadrés qui soulignent aussi la complexité de la recherche e éducation.
Chaque chapitre se veut pratique : une mise au point claire, des ficelles à retenir et à expérimenter ou à méditer,des supports culturels (lectures, films etc.). Avec un manuel qui se veut utile est ce que vous ne violez pas un tabou chez les sociologues ?
D’une certaine manière on se mouille. Souvent les sociologues rechignent à penser les implications pédagogiques des savoirs sociologiques. On a fait ce parti pris, comme celui d’une écriture accessible. On veut montrer que la sociologie est un savoir utile mais sans tomber dans les recettes. Car la sociologie est surtout utile pour nourrir la réflexivité.
Par exemple que peuvent retenir les enseignants de la lutte contre les inégalités ?
C’est une question très large qui est traitée dans tout le livre. Déjà on peut dire qu’il faut comprendre à quel type d’élève on enseigne. On montre la nécessité de mieux comprendre les familles de milieu populaire et leur rapport à l’école. Nécessité aussi de dissiper les idées reçues sur ces familles. Finalement en se formant l’enseignant va trouver des clés de compréhension de choses qu’il vit et qu’il n’appréhende pas forcément. Il sera mieux armé pour décoder ce qu’il vit . Avec la sociologie on voit le monde différemment et donc on se donne la capacité de mieux appréhender les choses.
Cela veut dire que pour vous l’enseignant peut agir à son niveau pour changer les choses ?
Oui. C’est par là qu’il faut commencer. On peut mieux outiller les enseignants pour qu’ils comprennent mieux ce qu’ils vivent. On en donne des exemples dans le livre. Et on insiste sur la nécessité de partager leurs expériences. Ils peuvent agir aussi collectivement. Il y a des choses qui peuvent être faites sans attendre des réformes systémiques.
Propos recueillis par François Jarraud
Hugues Draelants, Branka Cattonar, Manuel de sociologie de l’éducation, de Boeck supérieur éditeur, ISBN 9782807339385, 29,90€