Chassées par la porte, celle du lycée Blanquer, où « l’invention » a perdu sa place, les écritures créatives reviendront-elles par la fenêtre, celle du supérieur, où se développent les formations ? Un passionnant ouvrage collectif, sous la direction de Dominique Ulma, Anne Pauzet et Anne Prouteau, fait le point sur la situation. Actes d’un colloque international qui s’est déroulé à Angers en 2018, les contributions interrogent les représentations, en particulier des enseignant.es, éclairent les enjeux didactiques ou professionnels, présentent et analysent de possibles activités.
Retours sur l’écriture d’invention
Dans son article, Nathalie Denizot éclaire l’histoire de « l’écriture d’invention ». Pratique officiellement introduite au lycée en 1999, elle a connu bien des difficultés à trouver sa reconnaissance et sa place didactiques, jusqu’à être définitivement supprimée par les programmes Blanquer 2019, rétrogrades, destinés à formater encore plus les élèves et l’enseignement du français. Nathalie Denizot en rappelle la généalogie : les écrits rhétoriques du 19ème siècle, les argumentations fictionnantes des années 1990, les ateliers et jeux d’écriture mis en place çà et là. Elle retrace l’évolution de l’exercice, en particulier l’effacement progressif des visées argumentatives et métatextuelles au profit de portées plus littéraires et hypertextuelles. Mais l’exercice officiel s’avère « emblématique des tensions de la discipline français »…
Ainsi, en 2018, Hélène Ballé-de-Canteloube et Hélène Stoyanov ont interrogé 4 enseignant.es débutant.es sur l’écriture d’invention. Les témoignages montrent combien les représentations sont réductrices : on attend avant tout de l’élève qu’il respecte les consignes du libellé et s’ajuste à des normes discursives plutôt qu’il ne recherche la singularité, la transgression et l’émancipation. Combien aussi la pratique se limite souvent dans la séquence à une tâche finale conçue « comme une restitution et non une reconfiguration de savoirs linguistiques, langagiers et littéraires ». Combien encore, dans l’Ecole telle qu’elle est, il parait malaisé de faire de la place à la subjectivité et à l’imaginaire de l’élève. Combien alors il apparait nécessaire de former les futur.es enseignant.es de lettres en les amenant à pratiquer eux-mêmes l’écriture créative. Question naïve : les INSPE ont-ils intégré de tels dispositifs à leurs parcours de formation ?
Perspectives pour l’écriture créative
Puisque « l’écriture d’invention » n’est plus, faut-il considérer que la prolonge l’ « écriture d’appropriation », passagère presque clandestine, puisque non obligatoire et non présentable à l’EAF, des nouveaux programmes de français au lycée ? Sans doute, quand elle ne se limite pas à de la glose et ose emprunter le chemin des « écritures de la variation ». Mais à sa façon, elle révèle aussi sans doute la difficulté de notre discipline à reconsidérer la hiérarchie de ses formes et de ses enjeux, à ne pas mettre exclusivement l’écriture au service de la lecture, à concevoir clairement et collectivement les modalités d’un apprentissage et d’une évaluation de l’écriture créative.
Dans sa contribution, AMarie Petitjean cherche précisément les traces de l’écriture créative dans les pratiques scolaires et universitaires. A l’École et au collège, un mouvement est perceptible : il souhaite contrecarrer le fait que « dès le début de l’école primaire, les activités de lecture l’emportent sur celles d’écriture, les enseignants accordant deux fois moins de temps à l’écriture » (conférence de consensus CNESCO – IFE, mars 2018). Au lycée, « la suppression de l’écriture d’invention à l’épreuve anticipée » institutionnalise, hélas, « la disparition radicale de toute forme d’écriture créative. » A l’université au contraire, la dynamique est forte : des cursus et des options se développent, « un appareil théorique » se formalise, la notion d’écriture créative s’élargit en englobant désormais des écritures non seulement littéraires mais aussi professionnelles comme la « médecine narrative ». AMarie Petitjean met à jour un important changement de perspective : plus encore que de s’approprier des techniques, il s’agit désormais de construire « l’ethos de l’écrivain », de se centrer « sur le sujet scripteur, considéré même de manière décisive comme un auteur, adoptant une posture de responsabilité et d’ambition affichée de sa maîtrise de l’écriture. » Ce travail, souligne-t-elle, accompagne « la bascule d’une société de l’écrit (un écrit consulté, répertorié, commenté) vers une société de l’écriture (requérant la pratique personnelle et la créativité) ». Dans ce mouvement numérique de fond qui touche à l’invention de soi comme au déploiement de nouvelles sociabilités, nos élèves doivent-ils rester livrés à eux-mêmes ? L’Ecole ne peut-elle pas chercher enfin à développer une authentique culture de l’écriture qui mette en jeu et en réflexion tout à la fois pratiques littéraires, pratiques scolaires, pratiques informelles ?
Journal créatif, haïkus, nouvelles policières, jeux littéraires et réflexions sur l’identité langagière en FLE, narrations de la vie intérieure, réécritures à l’école élémentaire, cercle d’enseignants développant une posture d’auteurs, récits de voyage ou de science-fiction … : pour peu qu’on accepte de travailler « l’écriture-processus » et pas uniquement d’évaluer « l’écriture-produit », on trouvera dans ce riche ouvrage bien des perspectives d’analyse et suggestions d’activités. Dans le tout nouveau Parcours Préparatoire au Professorat des Ecoles, l’atelier d’écriture occupe en français une place centrale : comme une heureuse invitation à faire enfin du français comme on fait des maths, par la pratique, créative et réflexive, de la langue et de la littérature.
Notes de lecture de Jean-Michel Le Baut
« Ecritures créatives, Représentations contemporaines et enjeux professionnels », Editions Presses Universitaires de Rennes, 2022, EAN : 9782753586147
Sur le site de l’éditeur
Dans le Café, un ouvrage de Violaine Houdard-Mérot
Dans le Café, un ouvrage de V. Larrivé et F. Le Goff
Dans le Café, un ouvrage de François Bon
Thèse de Christine Dupin : Pratiquer l’écriture créative au lycée
Le programme de PPPE