Elitistes, injustes, ruineuses, maltraitantes, les classes préparatoires (CPGE) ont tellement mauvaise presse qu’elles ont pu craindre pour leur avenir. Dans un ouvrage décapant sur « Les bons élèves », Yves Dutercq et Carole Daverne vont y voir de plus près. Dans un passionnant renversement de perspective, ils enquêtent sur la fabrique des bons élèves. Ils regardent de près la pédagogie mise en oeuvre en CPGE et ses résultats. Les auteurs font exploser les stéréotypes et se demandent pourquoi seuls les enfants des milieux favorisés auraient droit à un véritable accompagnement scolaire…
Qui sont les « bons élèves » sortant des lycées français ? Quels choix d’orientation font-ils pour assurer leur avenir ? Comment sont-ils accompagnés dans les CPGE ? L’ouvrage d’Yves Dutercq, co-directeur du CREN à Nantes, et Carole Daverne, maître de conférence à Rouen, fait éclater les stéréotypes en observant de près la réalité des parcours et des gestes.
Ils montrent l’inefficacité des dispositifs pour démocratiser les CPGE par exemple du quota de boursiers. Les « bons élèves » des CPGE restent socialement très typés. Privilégiés ils le sont aussi par un accompagnement pédagogique très efficace. Au lieu d’être des espaces d’écrasement, les auteurs montrent que les CPGE savant faire un soutien individuel des élèves pour les tirer tous vers le haut. Les enseignants sont très impliqués dans la réussite des élèves. D’où la proposition de garder le meilleur des CPGE et de l’appliquer à l’université aux étudiants d’origine sociale plus modeste. Les CPGE sont-elles le dernier front de la démocratisation ?
Peut-on réduire la question des bons élèves aux CPGE ?
Bien sur que non. C’est un choix délibéré dans la mesure où leur modèle est remis en question au moment où on a fait cette enquête. Mais elles répondent bien aux besoins de l’époque par rapport à d’autres filières comme médecine qui enferment dans une certaine voie. En fait les CPGE permettent de retarder le moment du choix.
Les CPGE sont accusées d’injustice sociale malgré les efforts comme les 30% de boursiers. Cette accusation est-elle justifiée ?
Oui. Elle est confirmée par le recrutement des classes prépas. C’est pas faute d’efforts de la part de leurs responsables. Il n’y a pas de barrage. Au contraire il y a des efforts des responsables pour varier les élèves. On a créé des prépas destinées à des élèves de classe moins favorisée mais on a du mal à les remplir. En particulier on a ouvert des prépas de proximité pour des élèves qui n’étaient pas destinés à ces classes. Les prépas se sont rapprochées géographiquement et au niveau des exigences. Mais il y a un problème d’autorisation de la part des élèves qui ont souvent le sentiment que c’est un monde réservé à une élite. Toutes les prépas sont assimilées à Louis le Grand et Henri IV alors que c’est une petite partie des prépas. Nous on a travaillé sur d’autres prépas , bonnes et petites ouvertes à un autre type d’élève en terme scolaire et qui les font réussir.
Les responsabilités sont à chercher du coté de l’orientation, des familles ?
Oui. Du coté d’où viennent ces élèves, les enseignants ont encore une idée figée des prépas sur le modèle des grandes prépas d’antan ou des prépas parisiennes. Ce sont les professeurs des prépas qui viennent inciter les élèves à franchir le cap. Dans certains établissements on ne fait rien. Dans d’autres on démarche les élèves dans l’intérêt des prépas, pour remplir les classes. Car les petites prépas ne sont pas remplies.
Responsabilité des familles également ?
Souvent elles ne connaissent pas cette voie.
Vous montrez aussi une autre discrimination, celle du genre. On en parle peu sauf au niveau des internats où il y a eu une vraie bataille. Comment l’expliquer ?
Avant les prépas étaient dominées par les prépas scientifiques où l’orientation est très genrée. Aujourd’hui il y a une crainte des filles à aller sur le terrain des garçons même s’il y a eu des évolutions fortes. Là où il y a une forte évolution c’est dans les prépas économiques où les filles sont majoritaires. Elles sont moins exigeantes que les prépas scientifiques sur le plan académique. Il reste aussi une différence au niveau de la réussite des garçons par rapport aux filles. Les garçons sont au maximum de leur potentiel le jour des concours et les filles moins. Il y a un modèle de la compétition chez les garçons qui fait que par rapport au type de sélection des prépas, les garçons qui peuvent être moins bons dans les études donnent le maximum le jour du concours.
Pour moi, l’apport principal de votre livre c’est une réhabilitation de la pédagogie des prépas. L’image que les gens en ont c’est le bagne . Et vous parlez de « familiarité » entre enseignants et élèves. En quoi est-ce un modèle ?
La pédagogie en prépas n’existait pas avant et n’existe pas dans certaines prépas d’élite. Mais il y a des formes inventées dans des prépas moyennes qui accueillent des élèves qui n’ont pas un niveau extraordinaire qu’on va amener à devenir très bons. La première année il y a un travail intense sur le plan scolaire mais aussi au niveau de la mise en confiance de ces étudiants. Cela passe par une pédagogie du proche, par exemple à travers les colles qui sont interprétées de façon différente à ce qu’elles étaient avant. Il ne s’agit plus de préparation aux concours mais d’occasions de mieux connaître les difficultés des étudiants et de les guider de façon individualisée. La proximité passe aussi par les mails et les coups de téléphone. On ne s’y attendait pas. Ce sont les élèves qui insistent. Leurs meilleures années sont celles des prépas en raison de la solidarité entre élèves, de l’ambiance , de la relation privilégie avec les profs.
Peut-être aussi le fait qu’ils restent entre eux socialement…
Il y a cela aussi. Il y a l’entre soi. Mais il existe aussi sur le plan scolaire. En prépa ce n’est pas gênant d’être bon élève et pour certains c’est nouveau. Tout le monde écoute et travaille. Pour ces élèves qui ont été de bons élèves de lycée c’est des conditions très favorables. C’est la limite de l’exercice. Il est plus facile de faire devenir très bons des élèves disposés à cela plutôt que faire devenir moyens des mauvais.
C’est un peu la même pédagogie de contact…
Il y aussi une différence qui est dans le donnant donnant. En prépa, les professeurs ont à gagner autant que les élèves dans la réussite des élèves. Les petites prépas doivent leur survie à la réussite des élèves aux concours. Cet enjeu n’existe pas au secondaire.
Pourtant vous montrez qu’il y a un « choc scolaire » violent en prépa.
Les professeurs accueillent des élèves qui n’ont pas le même niveau que les élèves d’autrefois. Par exemple les professeurs de maths se plaignent de la réforme de la filière S qui a fait baisser le niveau d’exigences. Mais ils disent que les élèves ont le même potentiel qu’autrefois. Il y a donc un gros travail en première année pour les mettre au niveau. Il y a donc beaucoup de travail chez les professeurs aussi. Ils travaillent beaucoup : préparations, corrections, contact avec les élèves.
Pour vous c’est un modèle transposable ?
Ca vaudrait le coup d’essayer ! On peut faire des réserves sur le coût qui est beaucoup plus élevé qu’en faculté. Et sur le fait qu’elles s’adressent à des élèves bien disposés pour les études. Mais ça pourrait marcher pour d’autres élèves. Les conditions d’étude sont très favorables avec cet encadrement qui n’a rien à voir avec la liberté illusoire des étudiants. Les élèves des prépas ont un nombre d’heures de cours très supérieur à celui de l’université. Le contrôle aussi est différent. En université la sanction par les notes n’arrive qu’au bout de plusieurs mois. En prépas les élèves savent tout de suite si ça ne va pas et ils sont conseillés par rapport à cela.
Dans le contexte budgétaire actuel, avec 150 000 jeunes qui quittent l’école sans rien, n’est ce pas provocant de mettre les prépas en avant alors que les efforts devraient porter plutôt sur les plus démunis ?
Justement c’est dommage que ce système efficace ne soit mis qu’au service d’une élite sociale. C’est dommage que des élèves issus de milieu moins favorisé ne puissent pas bénéficier de conditions qui leur permettraient d’échapper à l’échec et à la désillusion d’avoir été leurrés dans leurs études supérieures. C’est dans le supérieur que les disparités sociales jouent le plus fortement. On insiste sur des stratégies pour informer les familles. Il faut qu’elles sachent que leurs enfants réussiront en prépas. La différence n’est pas au niveau des très bons : ceux là même de milieu défavorisé vont s’en sortir. Le problème c’est les moyens. C’est là où la différence se fait entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Il faut faire savoir que cette pédagogie des prépas ne doit pas être réservée aux seuls initiés. Il faut déconstruire le mythe.
Propos recueillis par François Jarraud
Carole Daverne, Yves Dutercq, Les bons élèves. Expériences et cadres de formation, PUF, Paris 2013, 212 p.