C’est pire que ce que le Café pédagogique avait annoncé. Le 4 juillet, nous annoncions « plus de 3000 professeurs manquants à la rentrée ». Le ministère de l’éducation nationale vient de publier ses chiffres. Selon lui ce sont 3 733 postes qui n’ont pas été pourvus aux concours 2022. Mais il assure qu’il y aura bien un professeur devant chaque classe grâce à l’appel à des contractuels.
Des moyennes inquiétantes…
Sur les 23 571 postes offerts aux différents concours de recrutement d’enseignants, seulement 19 838 postes ont été couverts. 3 733 postes n’ont pas été pourvus, annonce le ministère. Ces données statistiques concernent tous les concours, externes et internes. Elles minimisent la crise de recrutement car de nombreux candidats aux concours internes et à l’agrégation sont déjà des enseignants en poste. En moyenne c’est 16% des postes qui restent vacants cette année, un taux tout à fait inédit. Les données du ministère montrent que la crise est plus grave encore que ce que montraient les premiers résultats des concours. Le Café pédagogique annonçait « au moins 3000 postes » non couverts. En réalité c’est près de 4000. Et, quand on pourra retirer les doubles comptes (candidats reçus à la fois au capes et à l’agrégation, candidats à un concours interne déjà enseignant), on aura un déficit de postes encore plus important.
Mais restons sur les données officielles. Dans le premier degré public, selon le ministère, sur 9951 postes proposés, seulement 8265 sont couverts. « Le taux de postes pourvus dans le premier degré est de 83.1% alors qu’il était de 94.7% en 2021 », note le ministère. Dans le second degré public, il y a 11 353 admis pour 13 620 postes. Le taux de couverture est de 83.4% contre 94.1% en 2021.
Qui ne disent pas la vérité
Dans les deux cas ces moyennes cachent les vraies difficultés. Dans le premier degré les 1686 postes manquants concernent en fait deux académies, Créteil et Versailles. A Créteil sur 1665 postes proposés aux différents concours du public, environ 900 sont pourvus. La moitié des postes n’a pas trouvé preneur et il faut trouver environ 800 enseignants d’ici septembre. Dans l’académie de Versailles pour 1600 postes proposés, il n’y a que 900 admis. Là aussi il faut trouver 700 professeurs. Le ministère assure que 600 sont déjà recrutés.
Dans le second degré, les postes restés vacants sont répartis de façon très inégale selon les disciplines. En éducation musicale les deux tiers des postes ne sont pas pris. En lettres classiques, en allemand plus de la moitié des postes sont vacants. En maths et en physique chimie un tiers des postes ne sont pas pourvus. Il manque aussi des enseignants en lettres modernes (près de 150), en anglais (une centaine).
Augmenter les contractuels
Face à cette situation, P. Ndiaye a promis le 7 juillet sur France Inter qu’il y aurait un professeur dans chaque classe. Son entourage compte sur des contractuels pour remplir les postes vacants. Il assure que la plupart des académies y mettent des moyens. « Dans beaucoup d’académies on a prolongé les contrats existants jusqu’à la rentrée de façon à ce que les contractuels ne cherchent pas un autre emploi », nous dit-on. En Ile de France, les contractuels pour le premier degré auront des contrats commençant le 22 août de manière à ce qu’ils soient accompagnés avant la prise de fonction. Le ministère reconnait qu’une partie de cet accompagnement se fera à distance . Mais il promet une présence humaine et un tuteur pour ces personnes jetées en classe après quelques heures de « formation ». « Il y aura hybridation mais pas de parcours fait tout seul en autonomie », dit-on dans l’entourage de P Ndiaye. « Dans un environnement concurrentiel, si on veut attirer on ne peut pas s’en tenir au premier échelon », dit-on encore au ministère. Dans plusieurs académies (le ministère ne donne ni exemple ni montant) les recteurs augmentent le salaire des contractuels dans l’espoir de les garder ou de les recruter. Une réactivité qui doit faire rêver les titulaires…
Promesse intenable
Pour bien mesurer à quel point la tension est forte, il faut faire entrer d’autres facteurs. Le ministère promet de ne pas toucher aux remplaçants pour remplir les postes. Ce serait une première depuis plusieurs années à cette rentrée. Le ministère n’a plus que quelques semaines pour trouver au moins 4000 contractuels dans des académies (Créteil et Versailles) ou dans des disciplines (maths, physique, allemand) où il a déjà fait largement appel à ce mode de recrutement. Comment puiser autant d’enseignants dans des viviers qui sont déjà en temps normal largement prélevés ?
A cela s’ajoutent les départs volontaires d’enseignants. En 2020-2021 ils étaient 2286. Le ministère ne donne pas de nombre pour cette année scolaire mais tout laisse à penser qu’ils sont encore plus nombreux. « On a fait le choix de développer une gestion individualisée alors on doit respecter les envies des professeurs », dit-on au ministère. La loi de transformation de la fonction publique a créé les ruptures conventionnelles. Même si la plupart sont refusées, le ministère est obligé d’en accepter. Là aussi ce sont quelques milliers d’enseignants qu’il faut remplacer.
Au total ce sont au moins 6000 enseignants qu’il faudra remplacer à la rentrée. Pour cela il faudrait trouver 16% de contractuels supplémentaires dans des lieux et des disciplines où ils sont rares. On mesure le problème.
Où réduire l’offre éducative ?
Le ministère a beau promet de les trouver. A défaut il faudra diminuer l’offre éducative. En fermant des classes dans le premier degré et en diminuant les spécialités dans le second. Cela va poser la question de l’inégalité devant ces mesures. Dans le premier degré les grosses écoles seront concernées en premier. Cela devrait aggraver la scolarité des élèves urbains et particulièrement de l’éducation prioritaire. Dans le second degré c’est en maths, en physique, en lettres classiques, en allemand que les spécialités pourraient être plus rares ou compter des effectifs très élevés.
Des choix de management
Comment expliquer cette crise ? Le ministère n’hésite pas à dire qu’elle est liée à une attractivité moindre du métier. « Cet élément va bien entendu trouver des réponses structurelles », dit-on dans l’entourage de P Ndiaye en renvoyant au discours d’E Borne. Pour le ministère le bon niveau d’emploi dans le pays détourne des candidats des métiers de l’enseignement. Et puis il y a le transfert du concours de recrutement de M1 à M2 qui a automatiquement asséché le vivier de candidats. « C’était prévisible » reconnait on au ministère. Mais visiblement cela n’a pas été prévu.
L’entourage de P Ndiaye réfute tout calcul derrière cette situation « Il n’y a aucune volonté » derrière la situation actuelle assure t-il.
En fait le ministère a laissé ces 5 dernières années le nombre de candidats aux concours baisser régulièrement , au rythme de la réduction des postes mis aux concours. S’il n’ pas réagi ce n’est pas le fruit du hasard. Le ministère est régulièrement invité par la Cour des Comptes et les rapporteurs du budget de l’éducation nationale à anticiper sur la baisse attendue des effectifs d’élèves. Il semble avoir privilégié un management à long terme des postes et voulu éviter d’avoir des professeurs en surnombre dans quelques années.
Comment ne pas faire le lien entre cette politique et les choix de management du gouvernement tels qu’ils existent dans la loi de transformation de la fonction publique ? Celle-ci favorise la contractualisation comme moyen d’embauche pour tous les agents de l’Etat. Cela participe de la privatisation de l’Ecole. Ces contractuels sont passés de 8 à 14% dans le second degré en 10 ans.
Le ministère le réfute. Mais pour nous on a à l’origine de cette crise une politique. A court terme la volonté de ne pas embaucher des fonctionnaire qui risqueraient à la fin du quinquennat d’être en sur effectif. A long terme la volonté de remplacer les fonctionnaires par des contractuels à tous les niveaux.
En témoigne le faible enthousiasme mis à revaloriser les enseignants. Alors que la revalorisation des contractuels est immédiate, celle des enseignants traine la patte depuis 5 ans. Depuis 5 ans les ministres sont riches en promesses. Et Pap Ndiaye a encore promis un début de carrière à 2000€ net. Promesse que JM Blanquer avait déjà faite dès 2019. Plutôt que la mettre en application, le ministère introduit des contreparties. Il envisage de demander aux enseignants de travailler plus longtemps, de remplacer les professeurs remplaçants ou même les surveillants du second degré. Tout semble bon pour diminuer voir annuler le coût d’une « revalorisation » qui pourrait finalement coûter cher aux enseignants.
François Jarraud