L’enseignement de l’histoire est-il condamné à sombrer dans le roman national ? Alain Dalongeville, Marc André Ethier et David Lefrançois montrent comment l’éviter dans un livre, Enseigner l’histoire. Enjeux et défis, Chronique sociale éditeur) qui apportera beaucoup aux professeurs d’histoire-géographie. Il interroge la pratique du récit, qui s’est imposée dans les programmes et les classes. Il propose un enseignement de l’histoire conceptuel invitant à varier les points de vue pour une véritable éducation à l’esprit critique. Alain Dalongeville défend ces partis pris des auteurs.
Les enjeux de l’enseignement de l’histoire sont sans cesse rappelés dans les médias. L’enseignement de l’histoire a t-il pour but de faire aimer la France et de résoudre les tensions dans la société ?
Derrière cette question il y a l’idée que faire aimer la FRance ce serait adhérer à un roman national qui serait univoque. Il y a finalement une peur de la pluralité. Cette façon de voir demande une adhésion non critiqueà un récit qui est celui de certains français. C’est taire par exemple les aspects contradictoires de l’histoire coloniale. On veut croire que l’adhésion à un récit national puisse panser les plaies et redonner de l’unité. Cela refuse de voir que l’histoire est une vision critique et qu’on est bien obligé d’accepter l’idée qu’il y a plusieurs acteurs historiques qui n’ont pas les mêmes points de vue. Partout, pas seulement en France, l’enseignement de l’histoire devient un enjeu politique. On préfère cette histoire sur la construction d’une pensée historienne chez nos élèves. Une pensée qui permettrait de ne pas tomber dans le complotisme. En France la formation à l’esprit critique est bien inscrite dans les programmes. Mais pas dans les pratiques.
Vous dites qu’en fait enseigner l’histoire vise à enseigner le présent. C’est un paradoxe ?
La connaissance du passé est illusoire. C’est toujours des interprétations par des historiens qui ne sont pas vierges de leur présent. Ils posent au passé des questions du présent. Les questions du passé sont toujours des enjeux pour aujourd’hui. C’est pour cela que l’histoire est u enjeu social et politique. Le passé est un détour pour interroger le présent comme celui que font les ethnologues qui interrogent une autre société pour mieux comprendre la notre. cela veut dire aussi que pour les élèves,l’histoire prend sens par rapport à leurs questions et leurs représentations du présent. Ils s’intéressent au travail de l’historien s’ils sentent que ce leur permet de mieux comprendre le présent.
Pour vous la finalité de l’enseignement de l’histoire c’est la construction de l’esprit critique. Comment le définir ?
C’est une compétence qui permet aux élèves d’avoir une certaine distance par rapport aux faits. Ca leur permet de comprendre que les faits sont le produit d’interprétations et qu’il est nécessaire de s ‘intéresser aux points de vue des autres.
Pour cela vous dites qu’il faut rompre avec le récit, une pratique pourtant bien installée. Pourquoi ?
Le récit est essentiellement linéaire. il se limite à une histoire événementielle et favorise un seul point de vue pour des raisons d’exposition. C’est une écriture rétrospective de l’histoire. Il minore les essais, les interprétations divergentes. Il ne favorise pas la construction d’une pensée critique. Sauf si on permet aux différents points de vue d’exister dans des récits qui se confrontent.
Il faut rompre aussi avec la chronologie ?
Non. Mais la chronologie ne doit pas être un but en soi et l’histoire se limiter àcela. L’élève a besoin de repères. Mais c’est l’histoire qui fait de ces dates des événements. Ce qui est important c’est de comprendre ce que change l’événement.
Par quelles pratiques enseigner l’esprit critique ?
Parfois il est limité par les enseignants à une critique des sources. Ce n’est pas inutile. Mais c’est une critique technique. La formation à l’esprit critique c’est la prise de conscience de la pluralité des points de vue. Il faut qu’ils existent dans la classe. On peut confronter des points de vue d’historiens par exemple. cela ne veut pas dire que tous les points de vue se valent. On peut faire jouer en classe la confrontation des points de vue. Cela résout aussi la question de la motivation. Les élèves sentent qu’il y a un enjeu et cela les passionne.
Vous appelez finalement à une histoire plus conceptuelle ?
Tous les élèves abordent le passé avec des représentations du présent. Si on veut qu’ils construisent des savoirs il faut connaitre leurs représentations et les travailler en classe.
Le livre est nourri des expériences des auteurs au Québec. Que retenez vous de l’enseignement de l’histoire là bas ?
Ils ont lis en place une réforme qui met les concepts historiques au centre de chaque période. Par exemple pour l’Athènes antique le concept va être la démocratie. Et il est intéressant de savoir ce que les élèves pensent de la démocratie. On interroge le passé fort de ces représentations, on les travaille et on revient interroger le présent. Mais le récit national est aussi un enjeu au Québec et prendre plusieurs points de vue peut amener à être accusé de pactiser avec l’ennemi.
Vous êtes inquiet pour l’avenir de l’enseignement de l’histoire ?
Je ne suis pas rassuré. On n’avance pas beaucoup sur la cohérence entre ce que dit la didactique de l’histoire et ce que sont les pratiques en classe. Le divorce est important. Il est du à une déficience de la formation. Mettons en place des pratiques qui permettent de former des esprits critiques.
Propos recueillis par François Jarraud
Dalongeville Alain, Lefrançois David, Éthier Marc-André. Enseigner l’histoire. Enjeux et défis. Chronique sociale. ISBN 978-2-36717-868-4 . 17,90 €.