En déplacement le 10 juin dans la Vienne, le ministre de l’éducation nationale a annoncé de grands débats dans les établissements scolaires à la rentrée pour ouvrir les établissements sur leur communauté. Il s’agit de « lutter contre les inégalités scolaires » et de « projeter le monde éducatif dans une nouvelle dynamique ». Des propos qui font écho à ceux d’E Macron à Marseille le 2 juin. Presque 20 ans plus tard, est-ce le retour de la commission Thélot ?
Des réunions à l’automne
« À partir de septembre ou d’octobre, nous avons pour projet de lancer les grands débats sur l’école. Non pas de faire un Grenelle de l’éducation, une grand-messe à Paris, mais plutôt au plus près des demandes locales et du terrain, pour imaginer des dispositifs dans l’alliance entre le scolaire et le périscolaire. » En visite à Vouneuil-sous-Biard (86), en soutien au candidat LREM Sacha Houlié, Pap Ndiaye a annoncé la tenue de réunions dans les établissements à l’automne 2022.
Les propos du ministre critiquent en filigrane les grands messes organisées par JM BLanquer. Mais ils suivent la ligne tracée par E Macron. A Marseille le 2 juin, Emmanuel Macron avait dit vouloir recueillir les avis des enseignants et des acteurs de l’école (maires, parents, associations) dans les bassins de vie, c’est à dire au niveau des intercommunalités. Depuis le projet semble avoir évolué pour descendre à une échelle encore plus locale, au niveau des établissements.
Ouvrir l’école sur la communauté
Pour Pap Ndiaye , il s’agit de nouer des liens entre le scolaire et le périscolaire pour la réussite éducative. Mais aussi de débloquer les innovations, comme E Macron l’avait dit. Pap Ndiaye veut « lutter contre les inégalités scolaires et de projeter le monde éducatif dans une nouvelle dynamique, de le sortir d’une forme de morosité liée en partie à la crise sanitaire… Ce sera l’occasion, dans chaque école de France, de proposer et d’imaginer ce qui peut être fait à l’échelle des établissements, afin que ces liens parfois distendus puissent être renoués. J’y serai très attentif, je serai d’ailleurs moi-même un ministre de terrain. ».
Un remake des débats Thélot ?
L’Education a connu une première tentative de grands débats locaux. C’était l’aventure de la Commission Thélot. De l’automne 2003 au printemps 2004, la commission a organisé des débats locaux dans le cadre du « débat national sur l’école ». Au total près de 26 000 réunions ont eu lieu. Elles débouchent dans une synthèse remise au ministre en avril 2004.
Que dit-elle ? « Des classes moins nombreuses permettent de mieux motiver les élèves… Le plaisir est moteur mais l’effort est nécessaire… » Une bonne part des observations relève de ce qu’on qualifiera, si l’on est gentil, de consensus de bon sens, si on l’est moins, d’évidences. De tout cela, C. Thélot pense dégager quelques exigences collectives. « Les Français.. demandent que l’Ecole se préoccupe beaucoup plus de la maîtrise par les élèves de ce qu’ils doivent savoir. En ce sens l’Ecole doit déplacer quelque peu son accent : non plus seulement transmettre, mais faire maîtriser… L’Ecole doit non seulement instruire.. mais aussi éduquer : elle doit apprendre aux élèves des règles de comportement… L’Ecole apparaît comme trop opaque ».
L’enjeu réel de la commission c’est la mise en place d’un socle commun. Mais la Commission est finalement désavouée par le ministre, François Fillon, qui fait adopter une loi présentant une version très édulcorée du socle.
Une vision dépassée de l’école
Revenant 10 ans plus tard sur cette expérience, lors d’un colloque organisé par l’AFAE,Claude Thélot dévoilera sa philosophie. Pour lui , pour faire réussir tous les élèves, il faut « libérer les initiatives des enseignants et des chefs d’établissement » grâce à l’autonomie des établissements en s’appuyant sur « les minorités actives pédagogiques » contre les syndicats. « Nous ne sommes pas raisonnables de confier à certains syndicats trop d’importance », dit-il.
Vingt ans plus tard, la même scène semble se préparer. Un grand débat avorté, aboutissant à une loi préparée par le seul gouvernement. La volonté de diviser les enseignants pour casser l’influence des syndicats, vus comme des les champions de la résistance. Le discours sur la « libération des expérimentations » et les vieilles querelles semblent pour le moins totalement à coté des attentes d’une profession sinistrée. Le ministre ne pas l’avoir perçu et s’en tenir à la feuille de route élyséenne.
François Jarraud