Un musée pour la paix, pour rappeler à quel point elle est fragile. Un musée pour dire haut et fort ce qui nous unit … C’est ce que nous propose la classe de CM1/CM2 de l’école élémentaire Joliot Curie située dans le quartier de la Pierre Plate à Bagneux. Un quartier qui a beaucoup fait parler de lui en 2006. Il fut le théâtre de l’infamie, de la séquestration, la torture et la mise à mort du jeune Ilan Halimi. Pourtant, ce quartier, ce n’est pas le gang des barbares, c’est un quartier populaire comme tant d’autres en France. Pour Elsa Bouteville, l’enseignante de la classe, il était important que les élèves se saisissent de ce drame pour comprendre les ressorts des préjugés.
Sur la porte d’entrée du « Petit musée pour la paix » de l’école Joliot Curie de Bagneux, l’affiche donne le ton. Les lettres du mot Racisme sont barrées pour arriver au mot aimer. « On a barré les lettres C et S et mis le R à la fin car, il ne faut pas être raciste, il faut s’aimer » explique Sitty Nourou, guide du jour. Mohamed-Anouar, second guide, ouvre la porte de cette salle transformée en musée. Fresque, portraits, citations, peintures, collages, poèmes, unes de journaux… ornent les murs de la grande pièce. Une grande table, « la table de la fraternité » est dressée, la table dont avait rêvé Martin Luther King où trône drapeau algérien et tissus wax qui font référence aux mémoires blessées. « Les mémoires blessées des gens qui ont souffert, des mémoires qui se transmettent de génération en génération » expliquent Sitty Nouro et Mohamed-Anouar. « On n’est pas des barbares » raconte Mohamed Anouar, « on voulait le montrer en faisant cette exposition. On voulait montrer que nous on veut la paix et pas la guerre ».
Des fresques, des noms, des œuvres symbolisant la paix
Sur le premier mur, une immense fresque constituée d’une grande colombe tenant un rameau d’olivier et de petites colombes. « La colombe représente la paix » développe Sitty Nouro, « on a repris aussi la colombe de Banksy avec un gilet pare-balles et une cible, car on voit qu’elle est souvent attaquée. On a fini en collant du scotch sur lequel est écrit Fragile tout autour de notre œuvre pour faire le cadre, on voulait pointer que la paix est fragile ». « Y a aussi le rameau d’olivier dans le bec de la colombe » ajoute Mohamed-Anouar. « Le rameau d’olivier est dans toutes les religions, c’est quand Noé était sur son arche. Cela faisait longtemps qu’ils étaient sur l’eau, ils cherchaient un endroit où accoster. La colombe est revenue avec un rameau d’olivier, ça voulait dire qu’il y avait une côte pas trop loin. Depuis c’est le symbole de la paix ».
Un second mur porte les noms de Schoelcher, Mandela, Malala, Luther King, rosa Parks… Autant de grands noms de l’histoire qui ont œuvré pour la paix et contre les discriminations et qui n’ont plus de secrets pour ces élèves de CM1/CM2. Tout comme le slogan « Touche pas à mon pote » qui « a été inventé après la marche des beurs pour montrer que les gens étaient solidaires, qu’ils en avaient assez des discriminations et que qu’ils voulaient lutter contre le racisme » explique Sitty Nouro.
Le troisième mur est un hommage à Ilan Halimi. Des dizaines d’affiches avec le prénom Ilan où chaque lettre laisse entrevoir le visage d’un des enfants de la classe. « On voulait montrer qu’on est tous Ilan, que lorsqu’on s’est attaqué à Ilan, on s’est attaqué à nous tous » raconte Mohamed-Anouar. Des dizaines de livres sont posés à même le sol, des livres sur la différence, la laïcité, les discriminations comme « Otto », « N’importe Crôa », « le cahier de Leila », « l’étoile d’Erika » … Des livres qui ont alimenté les discussions et les débats quotidiens qui animent la classe.
Des visiteurs de marque
La visite du musée dure près d’une demi-heure, les guides de l’exposition sont toujours des élèves de la classe. Outre les familles, beaucoup de personnes sont venus visiter le « Petit musée de la paix ». Une ancienne enfant juive sauvée par des justes qui a trouvé le travail des enfants magnifique. Un historien venu leur expliquer le conflit israélo-palestinien, « la guerre ce n’est jamais la solution même lorsqu’on pense qu’une situation est injuste » résume Sitty Nouro. Jean-Louis Bianco, ancien ministre et président de feu l’observatoire de la laïcité, acteur clé du mouvement « Touche pas à mon pote » … Autant de personnes, reparties bien souvent la larme à l’œil, qui ont salué le travail effectué, la richesse des réflexions des enfants.
Un hommage à Ilan Halimi
Si dans la classe d’Elsa Bouteville, Martin Luther King, Malala, Nelson Mandela ou encore Rosa Park n’ont aucun secret pour les élèves, les Streets artistes Banksy, Goin ou JR, le chanteur grand corps malade aussi. Les CM1/CM2 travaillent sur le racisme, la paix, la laïcité à travers des disciplines telles que l’histoire, la littérature, l’EMC, l’éducation artistique et culturelle… La lutte contre les discriminations passe par un projet ambitieux lié au prix Ilan Halimi décerné tous les ans par la DILCRAH – Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT. « Un prix qui vise à récompenser celles et ceux qui se mobilisent et qui, par leur créativité et leur inventivité, s’engagent pour faire reculer les préjugés » peut-on lire sur la page dédiée du site.
Ilan Halimi, c’est ce jeune homme enlevé, séquestré et torturé car juif. C’était en 2006. Le « gang des barbares », composé de jeunes de la cité de la Pierre-Plate à Bagneux dont Youssouf Fofana se revendiquait le chef, avait ciblé le jeune homme car selon eux, être juif, c’est être riche. Un fait d’hiver qui a bouleversé la France et les habitants de la cité du gang dans laquelle Ilan avait subi torture et sévices.
Enseignante depuis trois ans dans l’école Joliot Curie, cela fait longtemps qu’Elsa travaille sur la laïcité et sur les discriminations avec ses élèves de cycle trois. Elle a même écrit un article dans le livre « Les territoires vivants de la République » que le café pédagogique vous présentait en septembre 2019.
« Y avait un véritable enjeu symbolique à travailler dans le cadre du prix Ilan Halimi avec les élèves. Ils vivent dans cette cité, savent qu’il s’y est passé quelque chose de grave avant leur naissance mais sans réellement savoir ce qu’il en est » explique l’enseignante. Alors en décembre dernier, pour lancer le projet, elle se rend avec ses élèves au pied de l’immeuble dans lequel a eu le lieu le drame et leur raconte ce qui est arrivé à Ilan Halimi. Elsa les a ensuite envoyés enquêter auprès de leur famille et des habitants du quartier. « Ils devaient demander ce que représentait pour eux la fresque de Combo « Diversité » qui orne les murs d’un immeuble de Sarcelles dans le Val d’Oise et sur laquelle est écrit « Quand j’étais petit, il y avait des musulmans, des juifs, des chrétiens, des noirs et des blancs… c’était juste des copains » ». Une enquête qui a permis de délier les langues. Parents, voisins, amis racontent aux élèves qu’ils ont user les bancs du même collège que les membres du gang, ils racontent l’horreur lorsqu’ils ont su ce qui s’était produit à deux pas de chez eux… « Je n’étais pas complétement rassurée quand j’ai envoyé les enfants enquêter mais finalement, j’ai l’impression que cela a permis de faire circuler une parole qui était tue jusque-là » confie Elsa.
Elsa a semé des petites graines de tolérance dan l’esprit de ses élèves, elle leur a permis d’aiguiser leur esprit critique et surtout de comprendre que la guerre n’est jamais la solution. « On n’aborde jamais ces sujets avec nous les enfants », conclut Sitty Nouro, « alors que c’est très important. Nous on ne veut pas de guerre, on ne veut pas de violence. Y a toujours d’autres solutions ». On va se battre pour que ça n’arrive plus et peut-être que nous aussi on finira au Panthéon » ajoute, malicieux, Mohamed-Anouar.
Alors, peut-être que pour un monde meilleur demain, faut-il juste donner les clés de décryptage de notre société aux enfants ? Leur donner plus la parole ? Finalement, leur analyse et leurs propositions semblent plus mesurées et humanistes que bon nombre de « grandes personnes » ou même de politiques.
Lilia Ben Hamouda