« L’étude invite à changer de paradigme en ne considérant plus le lycée uniquement comme un espace neutre qui devrait agir davantage en faveur de l’égalité mais bien comme un lieu où se forgent et se renforcent les inégalités entre les filles et les garçons ». Réalisée par le Centre Hubertine Auclert cette enquête sur « les freins à l’accès des filles aux filières informatiques et numériques » débouche sur des perspectives plus larges. Analysant la place et le devenir des filles dans la spécialité NSI (82% de garçons) , elle montre comment le lycée participe plus généralement du processus de « mise en conformité » des filles et des garçons. Et elle fait aussi des propositions pour changer les choses.
Sept fois plus de garçons que de filles optent pour la spécialité informatique
« Comment se construisent les inégalités d’accès aux filières scientifiques, en particulier aux filières informatiques et numériques entre les filles et les garçons, et comment se répercutent-elles sur la construction des projets professionnels des lycéennes et lycéens ? » L’étude du Centre Hubertine Auclert s’appuie sur le suivi de 5 classes de lycées franciliens, de la 2de à option ICN (informatique et création numérique) jusqu’à la terminale. 330 entretiens ont été réalisés dont une trentaine auprès des personnels des lycées.
Ce que montre d’abord l’étude c’est que les lycéens, même s’ils professent l’égalité entre filles et garçons, ont intériorisé les stéréotypes de genre. Finalement à l’issue de la seconde seulement 2% des filles prennent la spécialité NSI contre 15% des garçons. Mais l’Ecole a déjà sa place dans l’orientation des choix des élèves. » La faible orientation des filles vers l’informatique s’explique ensuite par l’ancrage des facteurs de connaissance et d’intérêt pour ces métiers dans la socialisation masculine », explique le rapport. « Ce sont la pratique des jeux vidéo, la présence de figures « initiatrices » (des hommes le plus souvent) travaillant dans l’informatique dans l’entourage familial ainsi que, dans une moindre mesure, l’expérience de certains enseignements à l’école (l’option Informatique et création numérique notamment, suivie à 78,8 % par des garçons en 2nde en 2018) qui permettent de comprendre l’intérêt porté à ces filières ».
Arrivées en première, les filles sont nettement plus nombreuses à quitter les spécialités informatiques à la fin de la première que les garçons. Ainsi en maths 50% des filles quittent la spécialité en fin de 1ère contre 30% de garçons. En SI c’est 70 contre 64%. Et en NSI 66% contre 51%.
Comment le lycée fait partir les filles de NSI en fin de première
Comment expliquer cette fuite de cet enseignement informatique en première ? L’étude montre qu’elle est liée aux conditions de scolarité. D’abord la question de l’inégalité du genre est peu abordée par les enseignants. » L’enquête a montré qu’il leur était difficile d’analyser, au prisme du genre : le placement en salle de classe, le développement de l’impression croissante d’illégitimité des filles, notamment pour prendre la parole en classe, les comportements sexistes de certains lycéens. Les comportements sexistes sont peu souvent évoqués par les professionnel·les, ce qui va à l’encontre des travaux et enquêtes de victimation qui montrent leur ampleur dans le contexte scolaire, tout comme les témoignages des élèves enquêté·es », note l’étude. Elle donne en exemple les propos d’une cheffe d’établissement qui compare la coté laborieux des filles qui réussissent en sciences par rapport aux garçons qui ont une appétence naturelle pour les sciences. Les enseignants ont tendance à « désigner » ainsi les garçons comme faits pour les sciences et n’informatique.
Il y a aussi les conditions d’enseignement. Les filles étant très peu nombreuses en NSI s’installe uen ségrégation filles – garçons dans la classe. Cela joue sur le quotidien de la classe par exemple le travail scolaire. Mais cela joue aussi sur l’orientation. » Le sentiment d’être « à côté » qui en découle est un élément explicatif des trajectoires de sortie de la spécialité NSI et de la reformulation des projets d’orientation des lycéennes ».. L’exclusion des lycéennes provient donc moins des modalités d’enseignement de la NSI en tant que telles (travaux de groupe, exercices pratiques, apprentissage en autonomie) que : de leur mise à l’écart des mécanismes d’entraide ; du postulat, qui leur est défavorable, selon lequel l’enseignement de l’informatique repose sur des acquis antérieurs qui seraient déterminants ; des stéréotypes de genre dont sont porteurs et porteuses les enseignant∙es », dit l’étude. Cela renforce les stéréotypes de genre et le sentiment de ne pas être à sa place en NSI. Pour les auteurs, » c’est donc paradoxalement l’expérience même de la NSI qui exclut, de façon durable, les filles de ces filières ».
Le lycée un outil qui remet les filles à leur place ?
Le Centre Hubertine Auclert émet donc des recommandations pour changer cette situation. Il demande un « guide d’enseignement pour les enseignants » pour les former à la lutte contre les stéréotypes et des actions de sensibilisation des élèves. Cela passe aussi par une communication plus élaborée sur l’orientation des élèves et les métiers des disciplines scientifiques.
Pour le Centre, le lycée est une institution qui fabrique le processus de « mise en conformité » des filles et des garçons. » Il y a un enjeu, tant dans l’enseignement et l’accompagnement des élèves dans leur scolarité et leur orientation, de lutter contre le sexisme dans l’institution scolaire et de donner les moyens aux professionnel∙les d’analyser au prisme du genre leurs pratiques et représentations ».
François Jarraud