Arrivant après JM Blanquer, Pap Ndiaye est accueilli avec soulagement par les enseignants, sensibles également aux qualités intellectuelles de leur ministre. Pour autant, l’entourage du ministre envoie plutôt l’image d’une continuité avec le ministre précédent et d’une fidélité au programme présidentiel. De quelle marge de manoeuvre disposera Pap Ndiaye ?
Un ministre face à une crise profonde
S’il est un ministère où il y a beaucoup à faire c’est bien l’Education nationale. A l’issue du premier quinquennat d’E Macron, une fois la propagande blanquérienne éteinte, tous les signaux sont au rouge. Les résultats ne sont pas meilleurs. Le système éducatif est toujours aussi inégalitaire. Les ségrégations scolaires et sociales n’ont pas reculé d’un pouce, bien au contraire. La réforme du primaire est loin d’avoir fait ses preuves. Celle du lycée va de retouche en retouche sans satisfaire personne. L’action gouvernementale, si l’on en croit le très récent Baromètre Unsa, est quasi unanimement rejetée par les enseignants. Elle l’est aussi majoritairement par les cadres. La crise est si profonde que le nouveau ministre n’arrivera pas à remplir les postes mis aux concours. Le premier quinquennat se termine en crise majeure.
Un programme aveugle
Pour autant le second quinquennat ne promet pas une remise en cause de la politique menée depuis 2017. Le programme d’Emmanuel Macron veut aller au bout des orientations indiquées dès 2017. Il veut aller plus loin dans la réforme du statut des enseignants en imposant une rémunération au mérite. Il veut aussi poursuivre les réformes engagées au primaire comme au lycée. Et la pièce maitresse pourrait être une nouvelle réforme du lycée professionnel l’alignant davantage sur les besoins immédiats des entreprises en réduisant encore les enseignements. Le maintien de l’enseignement professionnel au sein de l’éducation nationale n’est même pas assuré et ses enseignants dénoncent un « séparatisme dans la jeunesse » instituée par cette réforme.
On est là au coeur des contradictions que Pap Ndiaye va rencontrer. Comment maintenir une politique jugée quasi unanimement néfaste par ceux qui doivent l’appliquer sur le terrain ? Comment recruter quand un tiers des enseignants souhaite quitter le métier ? Comment lutter contre les ségrégations sans toucher aux réformes qui les renforcent ? Comment réaliser des réformes aussi profondes quand on est un responsable politique novice ?
Quelle autonomie ministérielle ?
Ces contradictions mettent l’éclairage sur l’entourage du nouveau ministre. Il n’est pas encore totalement connu. Mais dès maintenant il interroge.
Pap Ndiaye a la chance d’avoir un réel appui à Matignon. La nomination de François Weil, ancien recteur, comme conseiller éducation d’Elisabeth Borne est une bonne nouvelle pour le ministre. Les deux hommes se connaissent bien. Ils ont écrit un livre ensemble. Pap Ndiaye trouvera auprès de la première ministre un relais et un appui dont il aura bien besoin.
C’est très différent pour les deux autres nominations connues. Jean-Marc Huart a été un fidèle de JM BLanquer. Choisi comme directeur de cabinet du nouveau ministre, il incarne la continuité. Il a mis en oeuvre les réformes de JM Blanquer. Spécialiste de l’enseignement professionnel, on attend probablement de lui la mise en oeuvre de la réforme de cette branche. Mais une telle réforme , si profonde, engageant les collectivités locales comme les entreprises, pourrait avoir besoin d’un pilote ayant une autorité plus forte dans l’Etat.
La nomination d’Anne Rubinstein comme cheffe de cabinet est dans l’ordre des choses. Pour avoir exercé cette fonction auprès de nombreux politiques, c’est une cheffe de cabinet très expérimentée. Pour avoir été la cheffe de cabinet d’E Macron aux Finances, elle pourra être un relais entre l’Elysée et l’Education nationale.
Ce qui est surprenant c’est sa nomination comme conseillère spéciale. A l’Education nationale, le conseiller spécial est la personne qui propose au ministre une véritable vision de l’Education. Jean-Paul Delahaye fut ainsi le conseiller spécial de Vincent Peillon. Il partagea avec lui une vision de l’Education nationale. Il raconte lui-même comment cette vision eut du mal à être partagée par le cabinet du ministre composé d’anciens très bons élèves issus de milieu favorisé. JM Blanquer eut auprès de lui comme conseillère spéciale Fanny Anor. Chargée d’étude à l’Institut Montaigne, elle indiquait aussi le cap voulu par l’Institut et l’Elysée. Anne Rubinstein n’est pas connue pour porter une vision de l’Education. Sa désignation comme conseillère spéciale marque t-elle que le ministre n’aura pas de vision de l’Education autre que celle de l’Elysée ?
Le ministre doit donc faire ses preuves et d’abord celle de son existence. « Compte tenu de ce qu’il est et de ce qu’il porte, on peut imaginer que le gouvernement s’attaquera enfin aux questions de ségrégation scolaire qui n’ont pas été traitées depuis 5 ans », estime C Nave Bekhti, secrétaire générale du Sgen Cfdt dans le Nouvel Obs. « Il ne serait pas scandaleux de demander à Pap Ndiaye si les analyses développées dans « La Condition noire » nourriront (ou pas) son action ministérielle. Autrement dit, compte-t-il prendre des mesures concrètes pour favoriser le développement du multiculturalisme et consolider les identités minoritaires ? », demande Gérard Noiriel dans un texte posté sur son blog.
Face à toutes ces contradictions déjà énumérées et ces attentes, Pap Ndiaye est-il vraiment équipé pour mener une politique en matière d’éducation ?
François Jarraud